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Nigel Owens : « J'ai désormais embrassé une carrière de fermier »

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    Nigel Owens « J'ai désormais embrassé une carrière de fermier » Icon Sport - Icon Sport
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Bien qu'il s'en défende, le Gallois Nigel Owens est, à 49 ans, la grande star des arbitres. Pour nous, l'homme aux 100 tests matchs évoque son admiration pour Antoine Dupont, sa relation douloureuse aux piliers français, l'essai litigieux de Maro Itoje, la boulimie dont il vient de sortir et même le coude de Jaco Peyper. C'est à vous, Nigel...

Le pays de Galles, en difficulté il y a six mois, est en train de réussir sa métamorphose. Pour quelle raison, au juste ?

Déjà, je pense que les gens ont enterré les Gallois trop vite. Et puis, j'ai surtout l'impression que Wayne Pivac (le sélectionneur) s'est servi de la Coupe d'Automne des Nations comme d'un immense champ d'expérimentation, histoire de voir qui, parmi les jeunes talents des provinces galloises, avait vraiment la carrure pour le rugby international.

Qui sont les joueurs clés de cette équipe galloise ?

L'expérience de Ken Owens (talonneur), Liam Williams (arrière), Dan Biggar (demi d'ouverture) ou Alun-Wyn Jones (deuxième-ligne) est capitale : ils sont les quatre piliers de cette équipe. Derrière ces cadres, Wayne Pivac s'appuie sur quelques vrais diamants, tels les ailiers Louis Rees-Zammit et Josh Adams, le pilier des Scarlets Wyn Jones... A ceci, il faut ajouter le retour en grâce de Toby Faletau : il est aujourd'hui le meilleur numéro 8 du monde.

A ce point ?

Je trouve, oui. Mais si nous avons le meilleur numéro 8 de la planète, la France compte avec Antoine Dupont le meilleur joueur du monde, tout poste confondu. Et vous savez quoi ?

Non.

La première fois que j'ai arbitré Dupont, c'était il y a deux ou trois ans et j'ai aussitôt dit qu'il deviendrait bientôt le meilleur joueur de la planète. Je ne m'étais pas trompé.

En tant qu'arbitre, êtes-vous libre de supporter le pays de Galles ?

Quand je faisais encore partie du circuit international, je ne parlais jamais publiquement de ce genre de choses. Mais maintenant que j'ai terminé (il n'arbitre plus qu'en Ligue Celte, N.D.L.R.), je suis libre de dire que je rêve d'un grand chelem pour le pays de Galles ! (rires)

Avez-vous joué, vous-même ?

Oui, bien sûr. A 11 ans, j'étais pilier. A 12 ans, je jouais numéro 8 et un an plus tard, j'occupais le poste d'arrière. Je butais, même !

Qu'est-ce qui vous avait donné l'envie de jouer au rugby ?

Le premier match de rugby dont je me souvienne remonte à l'hiver 1977. J'avais 6 ans et ce jour-là, le pays de Galles affrontait l’Écosse à Murrayfield. Là-bas, Phil Bennett (ancien ouvreur du XV du Poireau) avait aplati un essai merveilleux après une relance dingue de Gerald Davies (ailier gallois des années 70). Après le match, je suis sorti dans le champ qui jouxtait la ferme de mes parents et j'ai refait le match de Phil Bennett.

Intéressant...

Dans ce champ, il y avait deux ânes, Chocolate et Fudge. A mes yeux d'enfant, ils étaient devenus les défenseurs écossais censés m'arrêter... Ils n'y sont jamais arrivés...

Pourquoi avez-vous basculé dans l'arbitrage, alors ?

Un jour, avec les jeunes de mon club, j'ai eu une pénalité particulièrement importante à taper. Je me suis concentré, j'ai frappé de toutes mes forces et le ballon a échoué... en touche ! Après la rencontre, mon coach, un homme extraordinaire décédé il y a une dizaine d'années, s'est approché de moi et m'a dit : « Nigel, as-tu pensé à arrêter de jouer pour devenir arbitre ? » C'est le meilleur conseil qu'on m'ait jamais donné, je crois. J'avais 16 ans.

Vous avez arbitré votre centième et dernier match de rugby le 28 novembre dernier, jour d'un France-Italie. Le rugby international vous manque-t-il ?

Pas autant que je le craignais... J'ai désormais embrassé une carrière de fermier à Pontyberem, un petit village situé non loin de Llanelli. J'ai une quarantaine de vaches, de race Hereford et pour tout vous dire, cela me prend un temps fou. J'aide beaucoup mon père qui, malgré une santé de fer, commence à se faire vieux.

Quel âge a-t-il ?

85 ans ! Il a toujours été mon juge le plus impartial, au fil de ma carrière. Lorsque j'ai arbitré la finale de la Coupe du monde en 2015 (entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande, N.D.L.R.), ma famille et mes amis s'étaient tous regroupés au siège du club de Mynydcerrig, là où j'avais débuté le rugby. Le bar était plein à craquer ! Après la rencontre, j'ai appelé au club house et quand je me suis annoncé, ils ont tous hurlé pour me féliciter. J'étais en larmes. Alors, mon père a pris le combiné et m'a dit : « Nigel, comment as-tu pu rater cet en-avant entre Milner-Skudder et Kaino, à la 36e minute ? »

Belle anecdote...

Je n'oublierai jamais non plus qu'après cette rencontre, la première personne qui avait croisé ma route à Twickenham fut David Pocock (le flanker des Wallabies). Je m'attendais à quelques reproches, il venait quand même de perdre une finale de Coupe du monde... Mais lorsqu'il s'est approché, il m'a juste serré dans ses bras avant de me dire : « merci, Nigel, d'avoir arbitré ce grand match ». Quelle classe...

Comment s'organisent vos journées à la ferme ?

Je n'ai plus beaucoup de temps pour m'entraîner... Aujourd'hui (mardi, N.D.L.R.), une de mes vaches devait par exemple mettre bas : je me suis donc levé à 1 heure du matin, puis à 3 heures et enfin à 5h30, pour voir si tout allait bien. C'était stressant.

Plus stressant qu'une finale de Coupe du monde ?

Oui, beaucoup plus. Je dormais toujours bien, les veilles de grands matchs.

Diwrnod cyntaf ffilmio. Helper newydd ar y fferm heddi! Dechrau da i daith fi a James. New helper on the farm today as he learns Welsh for the first time. Looking forward to being your mentor James Hook. @S4CDysguCymraeg @S4C#IaithArDaith pic.twitter.com/gV79r4vsJe

— Nigel Owens MBE (@Nigelrefowens) January 19, 2021

 

Quand arrêterez-vous définitivement l'arbitrage ?

J'ai un match de Ligue Celte lundi soir et après, je ne sais pas ce qui se passera... Je ne sais pas ce que les arbitres du Pro 14 décideront, me concernant...

Avez-vous regardé le dernier Crunch ?

Oui.

Le dernier essai du match, marqué par Maro Itoje, était-il valable ?

Cette décision était vraiment très difficile à prendre. Si vous êtes Français, il n'y a pas essai. Si vous êtes Anglais, l'essai est valable.

Ok...

Sur cette action, il est impossible de prouver que l'arbitre (Andrew Brace) avait raison ou que l'assistant vidéo (Joy Neville) avait tort. La décision de l'arbitre vidéo me convient mais si l'essai n'avait pas été accordé, j'aurais également été d'accord. Vous me suivez ? Cette action est un cas d'école, en quelque sorte.

Le débat qui suivit a été vif...

Je sais, oui. Mais le protocole devrait évoluer. A l'heure actuelle, si l'arbitre n'est pas certain de sa décision sur le terrain, il ne peut pas dire à l'assistant vidéo : « J'ai un doute, je n'ai rien vu ; aide moi ».

Qu'est-il en droit de dire à son assistant, alors ?

« De ma position, il y a essai » ou « de ma position, il n'y a pas essai ». Dans un monde idéal, il devrait pouvoir dire au TMO : « Je n'ai rien vu, aide moi à décider ».

Pouvez-vous être plus clair ?

Le débat après France-Angleterre est né parce que M. Brace avait dit « de ma position, il n'y a pas essai » et que l'assistant vidéo a dit dans la foulée : « il y a essai ». Si l'arbitre de champ avait eu la possibilité de dire « je ne sais pas, aide moi », les gens auraient peut-être accepté la décision finale plus facilement. Joy Neville n'aurait pas cristallisé l'amertume de certains supporters. Elle n'aurait pas été celle qui déjugeait Andrew Brace, en fait.

Après ça, Joy Neville a reçu beaucoup d'insultes de la part de certains supporters français. Ce genre de choses fait-il mal à un arbitre ?

Oui, beaucoup. Les gens oublient parfois que nous sommes des êtres humains. […] Vous savez, le match parfait n'existe pas, pour un arbitre. Dans ma carrière, je me suis parfois approché du match à zéro faute mais je n'ai jamais réussi à le faire.

Et pour revenir à l'arbitre irlandaise ?

Joy Neville est excellente. Que l'arbitre soit noir ou blanc, homme ou femme, gay ou hétéro, le respect reste une part capitale de ce jeu. Pour être franc, je remarque aussi que bien souvent, les spectateurs qui respectent le moins les arbitres sont ceux qui regardent un ou deux matchs de rugby par an... (il accélère) Et puis, entre nous, les réseaux sociaux sont parfois des lieux très mal fréquentés...

Quels sont vos recours, dans ces cas-là ?

En 2015, après un Angleterre-France à Twickenham, j'ai reçu plusieurs commentaires homophobes via les réseaux sociaux. Quelqu'un a signalé ces insultes à la police, le coupable s'est excusé en personne et on a passé l'éponge. Voilà tout. Il faut savoir pardonner. L'essentiel est qu'il ne commette plus la même erreur, que ses remords soient sincères.

Acceptez-vous la critique, néanmoins ?

Si elle est juste, évidemment. Je me souviens d'un jour où j'arbitrais, pour rendre service à un ami, un match de moins de 12 ans entre Cwmbran et Pencoed, deux clubs gallois. La veille, j'avais dirigé une rencontre de coupe d'Europe et quand les gamins m'ont vu arriver au stade, ils sont restés sans voix. Puis, l'un d'eux ma lancé : « J'espère que tu seras meilleur que hier soir, Nigel... ».

C'est drôle.

J'ai appris, au fil de ma carrière, qu'il fallait préparer chaque match de la même manière. J'ai par exemple commis le pire arbitrage de ma vie sur une rencontre anodine, entre deux villages du pays de Galles.

Racontez-nous...

Trois jours plus tôt, lors d'un choc entre les Wasps et le Leinster, j'avais été satisfait de mon arbitrage et ce matin-là, au club house des amateurs, j'étais arrivé sans la moindre pression.

Et ?

J'ai été nul. J'ai commis des erreurs, les joueurs ont perdu leurs nerfs et l'un d'entre-eux, agacé par mes bourdes, a même été expulsé par ma seule faute. Après le match, le grand-père d'un joueur s'est approché de moi et m'a dit : « Je vous ai vu arbitrer Wasps-Leinster samedi dernier. Vous avez été merveilleux. Mais n'oubliez jamais que pour ces mômes, ce match était aussi important qu'un Wasps-Leinster. Respectez les ». Il avait raison sur toute la ligne.

Changeons de sujet. Quelle opinion avez-vous de l'équipe de France ?

C'est une superbe équipe de rugby. Je vous ai déjà parlé de mon admiration pur Antoine Dupont. Je citerais aussi Matthieu Jalibert ou Charles Ollivon, deux joueurs très spectaculaires. A bien des titres, les joueurs du XV de France me font penser à ceux de ma jeunesse, cs mecs qui jouaient au rugby avec un grand sourire scotché au visage.

Quel est le joueur français le plus difficile à arbitrer ?

Tous les joueurs français de première ligne sont difficiles à arbitrer !

Ah oui ?

Ils aiment tellement leur mêlée, sont si fiers de combattre que même lorsqu'ils tombent au sol de façon délibérée, ils te dévisagent et te font comprendre que ta décision n'est pas la bonne, qu'ils n'y sont pour rien ! Ils te fusillent du regard, secouent la tête... C'est très drôle, en fait...

Y a-t-il un bon moment pour parler à l'arbitre ?

Il n'y a pas de bon ou de mauvais moment. Il y a une façon de parler, c'est tout. En cela, j'avais le plus grand respect pour Thierry Dusautoir : il était un immense capitaine, toujours très pertinent dans ses interventions, très respectueux envers le corps arbitral et n'élevant jamais la voix... Il a pourtant traversé des moments très difficiles, avec l'équipe de France.

Mourad Boudjellal, l'ancien président de Toulon, a coutume de dire que vous aimez les caméras. Est-ce vrai ?

Ce n'est pas moi qui suis toutes les semaines dans les médias, que je sache... (rires) Au rugby, l'arbitre doit coller à l'action comme un numéro 9, contrairement au foot où il se trouve généralement à 20 ou 30 mètres du jeu. Au rugby, l'arbitre est donc là où se trouve le ballon et les caméras. Mais je n'ai pas d'attrait particulier pour tout ça.

Vraiment ?

Oui ! J'ai été acteur avant d'être arbitre, j'ai fait beaucoup de théâtre et de télé mais je sais faire la part des choses. Je n'ai jamais cherché à être le centre du jeu. Je n'en suis que le serviteur.

Vous n'êtes pas la star des arbitres, alors....

Non. Je n'ai pas choisi l'arbitrage pour devenir une star.

Au cours du Mondial 2019 au Japon, l'arbitre sud-africain Jaco Peyper a expulsé Sébastien Vahaamahina pour un coup de coude et, après ce quart de finale, a posé avec des supporters gallois, en mimant ce geste. Est-ce choquant ou juste drôle, à vos yeux ?

C'est drôle mais vous devez faire très attention, quand vous êtes un arbitre international. Les gens interprètent parfois mal ce que vous pensez anodin. Certains disent que je souris toujours sur le terrain. C'est faux : je ne souris pas quand je mets une pénalité ou lorsque j'exclus un joueur.

Vous avez fait votre coming-out en 2007 et cette annonce a indéniablement secoué le microcosme. Pensez-vous le rugby homophobe ?

Non. Si cela avait été le cas, je n'aurais jamais arbitré une finale de Coupe du monde.

Nigel Owens a dirigé la finale de la Coupe du Monde 2015
Nigel Owens a dirigé la finale de la Coupe du Monde 2015 PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport

Avez-vous reçu beaucoup de témoignages après votre coming out ?

Oui, des centaines. J'ai fait mon coming out parce que je ne supportais plus de vivre avec ce secret enfoui. Je voulais que la parole me libère et je sais, aujourd'hui, que mon histoire peut aider des gens en souffrance. […] Il y a cinq ans, j'ai par exemple reçu une lettre de la part d'une dame d'Exeter. Elle estimait que mon histoire avait contribué à sauver la vie de son fils, qui ne supportait plus l'existence qu'il menait.

Comment ça ?

Quand j'ai tenté de mettre fin à mes jours parce que je ne voulais plus porter seul ce secret, mes parents m'ont dit sur mon lit d'hôpital : « Prends nous avec toi, la prochaine fois. Parce que nous ne supporterons pas de vivre dans un monde sans toi ».

Que disait la lettre, en substance ?

Par un pur hasard de calendrier, World Rugby avait donné le squad des arbitres pour la Coupe du monde 2007 peu après que j'aie fait mon coming out et, à la surprise générale, je faisais partie de cette liste. Cette dame d'Exeter, dont le fils avait fait une tentative de suicide un peu plus tôt sans expliquer les raisons de son geste, racontait donc dans sa lettre qu'elle se souvenait parfaitement de la discussion ayant animé le dîner de famille, le soir où World Rugby avait dévoilé le panel des arbitres. Elle demandait à son mari : « Nigel Owens, c'est l'arbitre gay ? » Son mari avait répondu : « Oui, mais on s'en fiche. C'est un très bon arbitre». En écoutant ça, leur fils, qui ne connaissait rien au rugby, est monté dans sa chambre et a fait des recherches sur ma vie. Le lendemain, il leur a annoncé qu'il était gay. Il n'avait plus peur : la veille au soir, il avait vu dans la réaction de ses parents qu'ils l'aimeraient toujours, quoi qu'il fasse, quoi qu'il soit. A mes yeux, cette lettre fut bien plus importante qu'une finale de Coupe du monde.

Le mal-être dont vous avez souffert à l'adolescence peut-il parfois ressurgir ?

Oui. A 19 ans, j'ai fait des crises de boulimie. Manger m'évitait de me torturer l'esprit. J'avais été éduqué pour avoir une copine, des enfants, des petits-enfants... Je ne voulais pas être gay ! Alors, au fil des crises, je suis devenu très gros et du coup, j'avais du mal à arbitrer. Pour maigrir, je me ruais donc dans les toilettes après chaque repas et me forçais à vomir.

Quand cela s'est-il arrêté ?

En 2009, lorsque ma mère m'a annoncé souffrir d'un cancer de l'estomac. Puis le mal est revenu peu avant la Coupe du monde 2015. J'étais stressé, angoissé et la boulimie m'a rattrapé, pour disparaître il y a environ six mois.

Aurez-vous un enfant, un jour ?

Depuis quelques temps, nous y pensons avec mon partenaire mais la décision n'a pas été arrêtée : peut-être adopterons-nous, peut-être ferons-nous appel à une mère porteuse. Peut-être resterons-nous ainsi, on verra...

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