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De Nouméa au Stade de France, l'incroyable destin de Matthieu Jalibert

Par Vincent BISSONNET
  • De sa première sélection contre l’Irlande en 2019, au cours de laquelle il s’est gravement blessé au genou, au dernier crunch samedi dernier à Twickenham, Matthieu Jalibert gravit un à un les échelons du rugby international. L’ouvreur de l’UBB doit notamment composer avec la concurrence de Romain Ntamack. Photos Icon Sport
    De sa première sélection contre l’Irlande en 2019, au cours de laquelle il s’est gravement blessé au genou, au dernier crunch samedi dernier à Twickenham, Matthieu Jalibert gravit un à un les échelons du rugby international. L’ouvreur de l’UBB doit notamment composer avec la concurrence de Romain Ntamack. Photos Icon Sport MB Media / Icon Sport - MB Media / Icon Sport
  • Matthieu Jalibert, l’incroyable destin Matthieu Jalibert, l’incroyable destin
    Matthieu Jalibert, l’incroyable destin
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Propulsé titulaire au début du Tournoi avec l’absence de Romain Ntamack, le Bordelais, Matthieu Jalibert en est une des principales révélations. À 22 ans, la trajectoire du numéro 10 a déjà connu de nombreux rebonds.

L’amour, encore plus quand il est passionnel, a décidément ses raisons que la raison ignore. Vaincu avec les Bleus le week-end dernier à Twickenham, Matthieu Jalibert (22 ans, 11 sélections) a pourtant été élu meilleur joueur de la quatrième journée du Tournoi par les suiveurs du Tournoi des 6 Nations. Avec une marge défiant toute logique, à 49,1 %. Josh Navidi (29,6 %), Tom Curry (14,5 %) et Anthony Watson (6,8 %), pourtant consacré homme du crunch, n’ont pu rivaliser avec l’ouvreur français. La nouvelle coqueluche du Tournoi. "Quel talent !", se sont ainsi enthousiasmés, dimanche, nos confrères du Guardian, à propos du "très talentueux" chef d’orchestre du XV de France.

Avec 82,1 % de réussite dans les tirs au but, quatre passes après contacts, dix défenseurs battus et un franchissement, le Bordelais prend une part importante dans le parcours convaincant des Bleus. Mais au-delà des chiffres, son aisance naturelle et sa gestuelle rare séduisent le plus grand nombre. Sa relance, avec feinte de passe, en première période, samedi dernier, a émoustillé des millions de téléspectateurs des deux côtés de la Manche. Match après match, notre éminent chroniqueur Richard Dourthe n’en finit plus de succomber à ses charmes : "Quel match, Matthieu Jalibert ! Lui sembla, à Londres, libéré comme il l’est habituellement à l’Union Bordeaux-Bègles : élégant, racé, culotté et décisif comme je l’aime." Après avoir dû se contenter de 99 minutes de jeu lors de l’édition 2020, le Tournoi 2021 représente une parenthèse enchantée pour le natif de Saint-Germain-en-Laye, jusqu’alors considéré comme un remplaçant de luxe. Une opportunité inespérée de prouver sa valeur et ses qualités, permise par la double fracture à la mâchoire subie par son concurrent Romain Ntamack… face à Bordeaux-Bègles.

Matthieu Jalibert, l’incroyable destin
Matthieu Jalibert, l’incroyable destin

Les compliments de Galthié

Depuis près de deux mois, il justifie pleinement la confiance accordée en ouverture par Fabien Galthié, sur la lancée d’une Coupe d’automne des Nations aboutie : "Il est prêt, assurait le sélectionneur avant le séjour italien. Il a beaucoup d’expérience individuelle et collective. C’est un joueur qui monte en puissance, qui a trouvé sa place et qui apporte son talent au collectif." La semaine passée, à l’heure de choisir entre ses deux ouvreurs prodiges, le technicien s’était montré encore plus élogieux à son sujet. De Rome à Londres en passant par Dublin, Matthieu Jalibert a converti son potentiel en points : "Matthieu est sur une dynamique. Il a participé à toutes les semaines de préparation avec nous. Il a été très performant, il répond à ce qu’on attend de lui. […] C’est de la logique sur la forme du moment et sur l’enchaînement des matchs qui se sont déroulés auparavant." La prestation de "MJ" lui a donné raison.

Selon toute vraisemblance, le XV de France va poursuivre et achever sa quête d’une première victoire dans le Tournoi depuis 2010 avec le Girondin à la baguette. Des promesses les plus belles au succès final, il reste un pas considérable à franchir pour le maestro. Troisième réalisateur de la compétition, avec une rencontre de moins, Matthieu Jalibert peut tout rafler d’ici la fin du mois. L’Europe du rugby l’attend désormais au tournant.

 

Nouméa, drôle de point de départ

Rien que de par sa biographie, Matthieu Jalibert a de quoi surprendre. Lui qui est perçu comme un enfant de Bordeaux est en réalité né à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), dans l’Ouest parisien. à 5 ans, soit en 2004, il s’envole avec ses parents en Nouvelle-Calédonie. à Nouméa, où son père militaire est muté. à 16 000 km de la métropole, il commence à manipuler le ballon ovale. Pendant les trois ans de la mission professionnelle paternelle, il se prend de passion pour le rugby : « J’ai toujours suivi mon père, j’allais le voir à tous ses entraînements et ses matchs. Pour moi, faire du rugby était naturel », avait expliqué l’intéressé sur le site de la FFR, avant sa première sélection, en janvier 2018. En 2006, à la faveur d’une nouvelle mutation familiale, Matthieu Jalibert pose ses crampons en Gironde et intègre l’école de rugby béglaise. Depuis, il n’a plus quitté la Gironde. Mais, dans les archives de la FFR, sa première licence reste rattachée au Stade calédonien, où il a effectué ses premiers pas dans la discipline, de 2004 à 2007, jusqu’à ses 9 ans, quand tout n’est encore que plaisir.

Avec Romain Ntamack, le chassé-croisé permanent

C’est une ombre qui, depuis le début de sa carrière, plane au-dessus de Matthieu Jalibert. Et il y a fort à parier que cela dure encore longtemps… On se souvient en effet que, lors de la Coupe du monde moins de 20 ans 2017 en Géorgie, le Bordelais n’était pas le premier choix. Ce dernier s’étant vu supplanter dans la hiérarchie par Romain Ntamack, surclassé pour l’occasion à la demande de Guy Novès qui rêvait d’en faire son ouvreur pour 2019. Toutefois, c’est bien Jalibert qui avait disputé la demi-finale perdue face à la Nouvelle-Zélande, profitant d’une entorse à la cheville subie par son cadet. Un chassé-croisé qui ne faisait que commencer, les deux graves blessures au genou subies par Jalibert en 2018 ayant largement contribué à la promotion expresse de Romain Ntamack en bleu, pour la Coupe du monde au Japon. Mais alors que ce dernier semblait bien installé, patatras ! Le Toulousain se fracturait la mâchoire quelques semaines avant le Tournoi, dans un match de championnat face à… l’UBB de Matthieu Jalibert ! Un coup du sort dont le Girondin a profité pour reprendre la main, preuve en étant que Fabien Galthié l’a maintenu comme titulaire malgré le retour dans le groupe de Ntamack. En attendant le prochain rebondissement… 

Une première sélection polémique : Marti mord, Serin répond

Deux mois après avoir battu les Maoris sous le maillot des Barbarians à Bordeaux (19-15), Matthieu Jalibert est sélectionné pour la première fois en équipe de France le 3 février 2018. Au moment où il affronte l’Irlande dans le Tournoi des 6 Nations, le « golden boy » de l’Union Bordeaux-Bègles n’est âgé que de 19 ans et, sur l’un de ses premiers ballons, se blesse lourdement au genou. Au terme de cette défaite tricolore survenue sur le gong et au gré d’un drop de 40 mètres de Johnny Sexton, le président de l’UBB Laurent Marti avait du mal à avaler le choix du sélectionneur tricolore, Jacques Brunel : « Peut-on se permettre de lancer comme ça un gamin de 19 ans et 80 kg dans un rugby qui va beaucoup plus vite et qui tape beaucoup plus fort qu’il y a quinze ans quand on avait lancé Frédéric Michalak ? » Quelques jours plus tard, Baptiste Serin répondait à son président, prenant à Marcoussis la défense du staff tricolore : « Matthieu était prêt. J’ai évolué à ses côtés en Top 14 et à mes yeux, il a été le meilleur numéro 10 de la première partie de saison. Cela aurait été bête de ne pas le prendre, non ? Je comprends Laurent Marti parce qu’il a envie de protéger son joueur. Mais en France, on se plaint toujours parce que les jeunes ne jouent pas. Et quand ils jouent pour montrer leur talent, on se plaint encore. » Baptiste Serin, lucide et courageux vis-à-vis de celui qui était alors son employeur, concluait ainsi : « Quand j’ai commencé en équipe de France, je faisais 75 kg. À Bordeaux, j’ai joué la moitié d’une saison en numéro 10. Je me suis fait renverser par moments. J’ai pris Tuisova dans la gueule… Mais je ne m’étais pas sorti… C’est le rugby… C’est notre sport… C’est ainsi… » Le premier débat entourant Matthieu Jalibert en équipe de France était né…

Recalé par le pôle espoirs

Matthieu Jalibert a une particularité : alors qu’il était lycéen, il n’a pas été admis au pôle espoirs de Talence, antichambre classique des centres de formation des clubs professionnels. Difficile de donner une raison particulière, il est des joueurs comme ça qui se révèlent un peu plus tard que les autres. « Sur le plan scolaire, il avait un an d’avance, alors il y avait un décalage. Quand il aurait pu entrer au pôle, il était déjà au niveau universitaire. » se souvient David Ortiz, ancien patron du centre de formation de l’UBB. Vincent Manta, directeur du pôle espoirs girondin ajoute : « Contrairement à ce que je lis à droite et à gauche, il n’a jamais été oublié. Mais il n’entrait pas dans le plan de succession de la FFR, il y avait une limite sur le plan national. On prenait six ouvreurs, pas plus. Il n’y était pas alors qu’en plus c‘était un excellent élève sur le plan scolaire. Mais nous avions un œil sur lui, il participait avec nous aux compétitions interpôles à sept. Il était déjà très fort, mais à quinze, il a vraiment explosé chez les moins de 18 ans. »

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