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1999 : souvenez-vous du doux parfum de fin de siècle

  • Ce 10 avril 1999, les Français avaient été dépassés par le XV du Chardon de Gregor Townsend (22-36).
    Ce 10 avril 1999, les Français avaient été dépassés par le XV du Chardon de Gregor Townsend (22-36).
Publié le Mis à jour
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Il y a 22 ans, l’écosse gagnait son dernier tournoi par un succès surréaliste en France, 36-22, avec cinq essais marqués. Retour sur un vrai chant du cygne.

Ce fut un monde qui s’évanouissait. Le dernier Tournoi des Cinq Nations est le dernier à ce jour gagné par l’écosse, et donc doublement la fin d’une époque. Avec le XXIe siècle, l’écosse ne retrouvera plus la réussite des années 80-90 quand elle était la meilleure des petites nations. La reine de la maximisation, l’experte de la tradition conservatrice, côté terroir avec les Borders (Hawick, Melrose), côté collèges chics avec les clubs d’édimbourg (Herriot’s, FP, Watsonians). Elle souffrira amèrement dès le début des années 2000...

L’année 1999 reste donc une borne historique majeure pour les amoureux du Tournoi, un chant du cygne. L’Écosse gagna donc cette édition, trois victoires en quatre matchs, elle loupa de peu le grand chelem puisqu’elle ne perdit que 24-21 en Angleterre. Elle fut servie en retour par ces Anglais eux-mêmes vaincus à la 77e, 32-31, face au pays de Galles à Wembley à l’ultime journée (le fameux essai de Scott Gibbs, lire sur midi-olympique.fr). L’Écosse se retrouva donc en tête, à la différence générale de points.

En ces premières années du professionnalisme, on sentait bien que l’écosse et ses maigres ressources allaient se retrouver avec des boulets aux pieds. Alors, ce Tournoi 1999, on avait tâché de le vivre intensément à chaque rendez-vous des tuniques bleu nuit. Cette excellence écossaise avait un nom, un cornac, un colosse aux cheveux blancs, pas toujours très drôle : Jim Telfer, ancien troisième ligne dur au mal, qui trouverait sa voie royale dans la peau d’un meneur d’hommes, à Melrose, avec l’écosse, jusqu’au stade des Lions britanniques et irlandais.

L’écosse et ses "Kilt Kiwis"

De cette campagne victorieuse, on conserve deux moments forts, le prologue et l’épilogue. Le prologue, ce fut ce match écosse-Galles à Murrayfield. Avant "leur" Coupe du monde, les Gallois venaient d’embaucher un nouvel entraîneur, Graham Henry, une pointure néo-zélandaise disait-on. Les écossais semblaient déjà en danger mais ils avaient sorti de leur chapeau deux frangins, John et Martin Leslie, Néo-Zélandais eux aussi, trop courts pour les All Blacks qu’avait pourtant commandé leur père Andy.

La SRU avait eu vent d’une ascendance écossaise de leur famille, elle les avait naturalisés fin 1998 pour l’un des plus terribles coups de poker de l’Histoire. Dans cette rencontre initiale, John Leslie ne mit que neuf secondes pour marquer un essai, pulvérisant le record de l’Anglais Bert Price en 1923. Tout fan écossais peut décrire l’action, le coup d’envoi de Duncan Hodge de la droite vers la gauche, et Leslie qui saute à la perfection pour enlever le ballon des mains d’un adversaire et finir seul dans l’en-but. "Ce ne fut pas très simple parce qu’on avait répété cette combinaison toute la semaine et ça n’avait jamais marché. Et puis, le jour du match, il m’a mis le ballon si délicatement en plein dans ma course…" Le recrutement express des frères Leslie disait quelque chose de l’époque. Il traduisait la peur du déclassement de l’écosse et de son réservoir si limité. Ils seraient les premiers d’une série de "Kilt Kiwis". "C’était fou, je jouais pour la province Otago, mais j’avais du mal à trouver ma place au plus haut niveau ? Mais j’avais trouvé un contrat au Japon et j’avais cinq mois sans jouer, puis Jim Telfer m’appelle et me demande si ça l’intéresse de jouer en écosse. Je n’étais jamais venu dans le pays et onze jours après mon arrivée, je jouais en équipe nationale. Cet essai en fait, il est sorti tout droit du cahier de Jim Telfer. Je lui dois beaucoup, il m’a lancé. Ce n’était pas le coach le plus technique que j’ai connu, mais je préfère ça qu’un gars qui vous noie dans les détails. Certains le trouvaient un peu vieux jeu et rigide, mais pas moi. Quel motivateur ! Il nous avait mis dans de bonnes conditions avant le match. Nous sommes entrés sur le terrain sans peur, avec plein de raisons de croire qu’on allait distancer les Gallois." Oui, ils allaient s’imposer 33-20.

Townsend : «Ce France-écosse, c’est le truc qui ne t’arrive qu’une fois ou deux dans une carrière»

Après le prologue, l’épilogue. Il eut lieu au Stade de France, la dernière victoire écossaise en France à ce jour. Un succès qui n’eut rien d’étriqué, une fantaisie même, un 36-22 que personne n’aurait pu prévoir. Les Bleus du duo Villepreux-Skrela étaient un peu remaniés, c’est vrai. Ils vivaient une mini-crise avant le Mondial qui suivrait. Ce 10 avril Greg Townsend n’est pas près de l’oublier. Centre contre les Gallois, il jouait cette fois-ci à l’ouverture : "C’est probablement mon jour préféré sous le maillot écossais. L’un de ses jours dont on sait qu’il aura du mal à se répéter. Un jour où ou tout s’enchaîne à la perfection. On se sentait bien car on se comprenait tous bien et à Twickenham, malgré la défaite, on avait marqué trois essais. Ce France-écosse, c’est le truc qui ne t’arrive qu’une fois ou deux dans une carrière." Pourtant, les Français avaient marqué d’entrée par Thomas Casataignède après une pénalité jouée vite par Emile Ntamack. Puis, la folie : l’écosse qui déboussole totalement la défense française avec cinq essais marqués en vingt minutes. Deux pour Martin Leslie, deux pour Alan Tait et un pour Gregor Townsend lui-même, sur un petit côté avec une simple feinte. Il offrirait aussi un essai à Martin Leslie sur une passe en piston. "Nous avions été vexés d’encaisser ce premier essai. Puis, soudain, on a trouvé des espaces partout dans leur défense. Ça me semblait incroyable de nous voir marquer cinq essais en une mi-temps, là où nous n’avions gagné qu’une fois en trente ans. Mon seul regret, ne pas avoir pu me trouver à Murrayfield le lundi pour présenter le trophée du Tournoi à 10 000 personnes. J’étais encore en France car je jouais à Brive et j’avais un match de championnat à jouer deux jours plus tard."

On a souvent pensé à ce match comme l’exemple type d’un moment où le jeu, technique, physique ou tactique s’est vu modelé par l’aspect mental de la compétition (concept souvent fourre-tout il est vrai). Mais là, le processus semblait si limpide : une France qui marque trop tôt puis qui perd confiance face à des écossais de plus en plus conscients de leurs possibilités. Une sorte d’expérience chimique au grand jour : la France qui se liquéfie, l’écosse qui se sublime. Un déclic et une excuse pour les Français, l’ouvreur vedette, Thomas Castaignède, qui se blesse à un genou en participant à l’essai français et tout qui se dérègle. La France qui sombre dans un grand pandémonium.

De cette partie, on se souvient aussi de l’absolue porosité de la défense française, mal organisée et apathique. Les positivistes diront qu’elle ne fut que le fruit de l’euphorie des attaquants écossais. Un effort de concentration et des éclairs nous sont revenus. Martin Leslie à l’intérieur d’Alan Tait sur une offensive au large ; cet arrière Glenn Metcalfe qui perce sur 80 mètres sur le premier essai de Tait ; puis le même Metcalfe remet ça au soutien intérieur de John Leslie pour retrouver Tait encore à l’intérieur pour son doublé.

Gordon Bulloch, talonneur, détaille et livre ses souvenirs : "Je pense que les Français ne nous avaient pas suffisamment pris au sérieux, pas comme s’ils avaient affronté l’Angleterre par exemple. On l’a vu, ensuite, on s’est pincés. Cinq essais… en 27 minutes. En général, c’était la France qui faisait ça."

Les Bleus dépassés par la force offensive des écossais

Revoir le match rend justice à la justesse de John Leslie dans le jeu et à l’inspiration de Greg Townsend. Alan Tait était un centre physique, issu de Kelso et tenté par les sirènes treizistes avant de revenir au XV quand il passa professionnel. "On attaquait de partout sur le terrain, et ils n’avaient pas de réponse. Je le reconnais, j’étais nerveux car en 97 et 98, on avait pris 47 et 50 points. Mais durant l’échauffement, John Leslie est venu me voir et, dans une attitude néo-zélandaise, m’a dit : "Regarde ! Ils ont peur de nous, ils sont petits bras. Marche leur dessus, rentre leur dedans." J’avais entendu ce genre de discours à treize mais encore jamais à quinze. La foi en nous-même de John m’a totalement stimulé. Je crois que sa confiance était contagieuse." John Leslie, un peu oublié désormais, a vraiment réussi son (assez court) passage dans le XV du Chardon (il ne dura que quatre ans). Visiblement, sans lui, ce succès n’aurait pas été possible.

Retour au match : à la pause, l’écosse avait déjà marqué 33 points. Le plus incroyable, c’est qu’offensivement, les Bleus avaient fait le boulot (trois essais tout de même), mais l’impression de foutoir sautait aux yeux. "Je me souviens de ces huées et des sifflets du public du Stade de France. Ce n’était que ma deuxième sélection, quatre ans après la première. La veille, je m’étais fait engueuler par l’entraîneur adjoint parce que je mangeais un mauvais truc. Vous imaginez mon stress et puis, je ressens ce truc si spécial, vraiment. On était en train de gagner avec autour moi, les Tait, Leslie, Townsend ou Armstrong, notre demi de mêlée. J’étais si fier de participer à ce festival de talents."

Kenny Logan reprend : "Mais attention, nous avions une bonne équipe. Notre arrière Glenn Metcalfe était en feu, John Leslie faisait jouer à la perfection autour de lui, Alan Tait franchissait les lignes en bon treiziste et puis il y avait Greg qui tirait les ficelles. À l’époque, il planait un peu, il était en retard à des réunions, ne portait pas les bonnes tenues. Mais quand il recevait la balle, tout le monde le craignait. Personne ne savait ce qu’il fallait faire. Mais je remercierai toujours Jim Telfer. Il nous avait dit : "Si vous voulez battre ces gars, allez au large. Ne tentez pas le bras de fer avec eux." Son message nous avait éclairé..."

Ce 36-22 ne fut que l’avant-dernière station de la victoire. Car il fallait attendre le match Galles-Angleterre pour gagner la compétition. Évidemment tous les écossais se souviennent où ils étaient le dimanche pour voir ça. Glenn Metcalfe avait quitté ses potes dès l’aéroport à la recherche d’une correspondance pour filer en Nouvelle-Zélande où il devait se marier. Townsend était à Brive. Kenny Logan qui jouait aux Wasps était rentré à Londres, il était colocataire avec Simon Shaw, deuxième ligne de l’équipe anglaise : "J’ai vu le match avec lui, je crois qu’il était pour nous puisqu’il n’était pas dans ce XV de la Rose là."

Alan Tait termine la séquence témoignage : "J’étais à Kelso, je devais rester chez moi. Puis, finalement, je suis allé au pub Black Swan avec des gars du coin. On ne regardait que d’un œil, mais plus avec deux vers la fin. Quand Scott Gibbs a marqué son fantastique essai, on a tous explosé. On était champion, la bière a coulé à flots et j’ai payé mes deux bouteilles de champagne. Bon, il n’était pas très cher. Au Black Swan, à Kelso personne ne boit jamais du champagne"

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