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Townsend : « Galthié a façonné une équipe à son image »

  • Gregor TOWNSEND head coach of Scotland ahead of the RBS Six Nations match between France and Scotland at Stade de France on March 26, 2021 in Paris, France. (Photo by Baptiste Fernandez/Icon Sport) - Gregor TOWNSEND - Stade de France - Paris (France)
    Gregor TOWNSEND head coach of Scotland ahead of the RBS Six Nations match between France and Scotland at Stade de France on March 26, 2021 in Paris, France. (Photo by Baptiste Fernandez/Icon Sport) - Gregor TOWNSEND - Stade de France - Paris (France) Icon Sport - Icon Sport
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C’est dans un Français parfait, hérité de ses cinq années de joueur dans l’Hexagone, que le patron du XV du Chardon, Gregor Townsend, a pris le temps de revenir sur la première victoire des siens à Paris depuis 22 ans, particulièrement significative pour lui.

L’Ecosse n’avait jamais gagné en France dans le cadre du Tournoi des 6 Nations et ne l’avait plus emporté à Saint-Denis depuis 1999, lorsque vous étiez encore joueur. On imagine que vous en avez profité…

Oui, c’est vrai. Pour une fois, on a pu prendre le temps de savourer ce que nous avons réussi, au contraire du match de Twickenham. On a bu quelques bières à l’hôtel tous ensemble ; c’était un moment d’autant plus privilégié que, dans ce groupe, nous sommes très proches les uns des autres. On a pris le temps de réaliser la portée de ce que nous avions fait et c’était extraordinaire. Tout le monde dans l’équipe savait que l’Ecosse n’avait plus gagné à Paris depuis 1999. Mais dans l’euphorie, nous avons fait quelques recherches et nous nous sommes aperçus que la dernière fois que l’Ecosse avait gagné en France et en Angleterre dans le même Tournoi remontait à 1926 ! Il y a 95 ans… Cela replace bien la portée de ce que nous avons fait cette année.

Avez-vous pensé à envoyer un message de remerciement à Brice Dulin,
au passage ?

Non (sourire). D’un point de vue écossais, je me dis que Brice Dulin a bien voulu dégager en touche mais qu’il en a été empêché par la montée de Mike Harris, qui n’a rien lâché alors que tout le monde croyait le match perdu. Les Bleus pensaient sécuriser le ballon dans un ruck mais le travail de Hamish Watson les a poussés à commettre une faute. Ensuite, il fallait tout de même être capable de tenir le ballon pendant vingt temps de jeu, sous la pluie. Franchement, je ne crois pas que nous ayons volé grand-chose sur ce match…

Stratégiquement parlant, vous avez même donné une petite leçon aux Bleus, notamment dans l’occupation du terrain. S’agissait-il de votre plan initial, ou l’avez-vous adapté par rapport à la pluie ?

Jouer autant au pied, ce n’était pas du tout notre plan ! Mais une heure avant le match, on nous a annoncé que la pluie allait s’inviter au coup d’envoi et on a tenu une petite réunion sur le terrain en nous disant : s’il pleut, il faudra être capable de jouer comme contre l’Angleterre, à savoir occuper le camp adverse et tenir le ballon pendant de longues séquences. Nous avons la chance d’avoir deux très bons botteurs qui ont parfaitement occupé la moitié de terrain français dans les 20 premières minutes. On est un peu sorti de cette stratégie ensuite, mais une fois que Stuart Hogg est revenu de son carton jaune en deuxième période on a su y revenir. Et cela a plutôt bien marché.

Vous avez également pris les Français dans un secteur très précis, celui des ballons portés…

Ça non plus, ce n’était pas prévu. Mais comme on a eu un peu de réussite sur notre premier maul, on a insisté. Et on a plutôt bien fait. Nous voulions vraiment remporter ce match et cela nous a conduits à opter à plusieurs reprises pour des pénaltouches… Cela a amplifié ce sentiment. Et même si nous n’avons pas fait 100 % - les Français nous contrent un ballon, et on en perd un autre sur une incompréhension, les gars ont plutôt bien travaillé dans ce secteur. La preuve, c’est qu’il nous a permis de marquer directement deux essais et provoqué le carton jaune de Baptiste Serin.

À la fin du Tournoi, Bernard Laporte a considéré l’Ecosse comme la meilleure équipe du Tournoi. Il a affirmé qu’elle aurait dû remporter sans ce carton rouge reçu face aux Gallois…

Déjà, c’est très gentil de sa part. Contre les Gallois, nous aurions pu le gagner quand même, ça s’est joué à une cuillère, à la dernière minute… Mais ça corrobore ce que nous avons dit à nos joueurs avant le match. Pour gagner à Paris, il faut de la confiance. Et pour leur donner, nous avons présenté des stats à nos joueurs, en leur démontrant que nous étions la meilleure attaque et la meilleure défense, tandis que les Bleus étaient en tête au nombre de franchissements, de plaquages cassés. Clairement, pour nous, ce match était l’affrontement des deux meilleures équipes du Tournoi cette saison.

On avait quitté l’Ecosse en plein naufrage à la Coupe du monde 2019, éliminée en poule après ses défaites contre le Japon et l’Irlande. Qu’est-ce qui a changé, depuis ?

Certains de nos joueurs sont partis à la retraite et le côté positif de ces départs est qu’il a permis de faire émerger des leaders. Stuart Hogg est devenu notre capitaine, des jeunes ont pris leurs responsabilités. Et puis, nous avons évolué au niveau de notre staff. Pieter De Villiers est arrivé pour s’occuper de notre mêlée et Steve Tandy pour diriger notre défense.

Que vous ont-ils apporté ?

Depuis trois ans, nous avions commencé à faire évoluer notre jeu. Notre équipe était capable d’imposer beaucoup de vitesse en attaque, mais nous manquions d’équilibre. Il fallait absolument que nous progressions en défense pour nous adapter aux scénarios de certains matchs, ainsi que de présenter une conquête correcte à haut niveau. Sans vouloir être dominants, nous voulions au moins cesser d’être dominés et, aussi, parvenir à conserver nos ballons. Les arrivées de Steve Tandy et Pieter De Villiers allaient en ce sens, et ils nous ont beaucoup apporté.

On note que l’Ecosse semble plus performante depuis que certains cadres de la sélection ont été autorisés à évoluer dans des gros clubs étrangers…

C’est difficile, comme question. J’ai moi-même joué huit ou neuf saisons à l’étranger et je sais tous les bénéfices que j’en ai retirés à titre individuel. Nos joueurs qui évoluent en Angleterre ou en France, comme Finn Russell, sont dans le même cas puisqu’ils sont devenus importants dans de grandes équipes européennes : ils gagnent en confiance et en expérience. Le revers de la médaille, malheureusement, est qu’on ne peut pas obtenir leurs libérations comme on voudrait. Ça a été le cas pour le match à Paris, puisque nous étions limités à 5 joueurs du championnat anglais. Mais au-delà de ce cas particulier, ça nous pénalise pour ce qu’on appelle les « follow weeks », ce qui ne nous permet pas d’être sur un pied d’égalité avec des nations comme le pays de Galles ou l’Irlande. Le sélectionneur que je suis est donc très partagé sur la question, car tout entraîneur souhaite avoir ses joueurs à disposition le plus souvent possible.

Au sujet de Finn Russell, vos relations n’ont pas toujours été idylliques…

Finn Russell et moi, nous travaillons ensemble depuis presque dix ans. Nous sommes un peu comme un vieux couple et si les joueurs ne sont pas toujours parfaits, les entraîneurs ne le sont pas toujours non plus… Disons qu’après la Coupe du monde, nous étions très déçus de nos performances et un joueur comme Finn avait besoin de prendre un bon « soufflon ». Il a été écarté du groupe pendant un moment mais le confinement nous a paradoxalement permis de nous rapprocher de nouveau. On a pu énormément échanger pendant cette période, de façon beaucoup plus posée. Depuis, il est naturellement redevenu un de nos leaders. D’ailleurs, quand Stuart Hogg a pris son carton jaune contre a France, c’est lui qui est passé capitaine.

Vous noterez que le Racing 92 a été plutôt beau joueur avec vous de libérer son joueur, pour le récupérer suspendu trois semaines…

Oui, c’est vrai. Mais honnêtement, vous imaginez le scandale que cela aurait été si le Racing ne l’avait pas libéré pour ce match ? Cette situation n’était confortable pour personne, honnêtement. Je ne peux que regretter pour tout le monde le carton rouge qui lui a été infligé à la fin du match, qui me semble une décision sévère.

On en parlait en début d’entretien : votre carrière est émaillée de succès historiques face à la France, comme sélectionneur et comme joueur. Entre 1995, 1999 et désormais 2021, lequel constitue votre meilleur souvenir ?

Rude question, ça… 1999, c’est peut-être le meilleur match collectif que j’ai joué avec l’écosse. Tout nous avait réussi au Stade de France et, en plus, le pays de Galles avait battu l’Angleterre, nous permettant de remporter le Tournoi. Quelle fête nous avions fait ce soir-là ! 1995, c’est différent. Nous ne jouions pas pour le titre, mais ça reste peut-être mon meilleur souvenir à titre personnel. J’ai marqué ce jour-là mon premier essai pour mon pays, et nous avions gagné à Paris pour la première fois depuis 26 ans, à la toute dernière minute. Difficile de faire mieux…

Votre chistera pour Gavin Hastings est restée dans les mémoires…

(il sourit) On peut surtout la voir aujourd’hui comme un sacré clin d’œil du destin, puisque c’est son fils Adam qui a réussi la dernière passe sur l’essai de Duhan Van der Merwe, vendredi dernier.

Vos succès en tant que joueur semblent malgré tout avoir une autre saveur que celui de vendredi dernier. Vrai ?

Ce résultat n’aura peut-être pas la même place que les autres victoires à Paris dans l’histoire. On termine le Tournoi à la quatrième place mais ce succès est venu récompenser nos efforts et notre cœur. Il nous donne surtout beaucoup d’espoirs pour les deux prochaines années. C’était important, avec la Coupe du monde qui arrive, d’être capable de gagner dans ce stade, face à cet adversaire.

Sans vouloir jouer les rabat-joie, les victoires mêmes historiquesont-elles vraiment la même saveur dans les matchs à huis clos ?

Oui, sans contestation possible. Bien sûr que nos supporters nous manquent et que ça n’a pas la même saveur de jouer dans ces stades vides. Mais les efforts qui sont produits sur le terrain sont les mêmes, donc les victoires ou les défaites ont le même goût. L’Écosse n’avait plus gagné à Twickenham depuis 38 ans, vous vous rendez compte, j’avais dix ans ! Ça ne pouvait pas être moins savoureux de gagner là-bas.

On parlait tout à l’heure de votre passé de joueur. Durant votre carrière en France, vous avez forcément côtoyé l’actuel staff des Bleus…

Oui… J’ai été le coéquipier de Raphaël Ibanez à Castres, j’ai aussi été le dernier partenaire de chambre de Fabien Galthié, lorsqu’il a disputé son ultime match avec les Barbarians français contre l’Australie en 2004. Au-delà d’être un sacré joueur, c’était surtout un formidable compétiteur. J’ai encore le souvenir d’un quart de finale gagné avec Castres contre Colomiers en 2001 (37-26), où il avait été fantastique. Il a façonné l’équipe de France à son image : terriblement compétitrice, qui ne s’avoue jamais vaincue comme on l’a vu face aux Gallois. Ce qui est drôle, c’est que j’ai aussi travaillé pendant une saison avec Thibaut Giroud, à Glasgow. Autant dire que je connais plutôt bien votre staff.

Le fait de les connaître si bien explique-t-il que l’Ecosse soit la seule équipe que le staff de Fabien Galthié n’a pas encore réussi à battre dans le cadre du Tournoi ?

J’aimerais pouvoir le dire, mais ce n’est certainement pas le cas. Des gars comme Pieter De Villiers ou Finn Russell connaissent mieux le contexte français que moi, en ce moment.

Concernant le match de vendredi dernier, les déclarations d’avant-match des Bleus vous ont-elles servi de motivation ainsi que l’a insinué votre capitaine, Stuart Hogg ?

C’est sûr qu’en voyant des gros titres qui disaient « on veut gagner le Tournoi », connaissant le contexte, c’était un peu arrogant. Alors, on l’a évidemment utilisé comme motivation… Imaginez : les Bleus disaient ouvertement qu’ils comptaient nous battre de 20 points, alors que nous restions sur trois dernières confrontations très serrées et qu’il n’y a pas grand-chose qui sépare nos deux équipes. Que je sache, nous n’avons pas dit avant le match que nous comptions venir battre les Français de 8 points pour avoir la deuxième place. Les Bleus l’auraient légitimement utilisé comme motivation, c’était logique que nous fassions de même.

Quel regard portez-vous sur les Bleus ?

D’abord, c’est une équipe constellée de très bons joueurs, des mecs de classe mondiale comme Ollivon, Dupont, Vakatawa, Fickou. Et à côté de ça, des jeunes qui émergent devant, comme Baille, Marchand ou votre Ecossais, Greg Alldritt…

Qui n’est pas du tout Écossais, au passage…

(Il se marre) Je le sais, j’en avais discuté avec lui l’an dernier après le match de Murrayfield. Mais comme son arbre généalogique est vraiment très compliqué et que beaucoup de membres de sa famille habitent en Ecosse, je préfère l’appeler l’Écossais, comme tout le monde. C’est plus simple (rires). Il y a aussi vos deux ouvreurs Ntamack et Jalibert, j’en oublie certainement… Depuis la Coupe d’Automne des Nations, les Bleus ont prouvé qu’ils avaient une profondeur d’effectif presque unique au monde. Un joueur comme Dulin est revenu de nulle part, d’autres comme Villière sont apparus d’on ne sait où… Pour l’avenir du rugby français, c’est assez énorme.

On a l’impression que la France a cherché pendant ce Tournoi à trouver un équilibre entre la possession et la dépossession qui la caractérisait encore en novembre. Partagez-vous cette analyse, vous qui avez rencontré deux fois les Bleus cette saison ?

Pendant la Coupe des Nations, nous avions joué un match très pauvre, avec beaucoup de jeu au pied et de pénalités. Depuis, tout le monde en Europe a progressé, les équipes sont revenues à des philosophies un peu plus positives, en essayant de tenir davantage le ballon. Je crois que l’équipe de France a toutes les cartes en mains pour pratiquer tous les styles de rugby. Des talents pour jouer au grand large, de la puissance pour un jeu plus direct autour de Dupont avec Alldritt et Marchand, mais aussi une bonne organisation défensive pour se séparer du ballon et mettre la pression à l’adversaire… Sur le papier, il ne lui manque rien, à part trouver un bon équilibre entre les différentes formes de jeu.

Qui sera favori du Tournoi, l’an prochain ? Les Bleus qui ont souvent du succès les saisons suivant les tournées des Lions britanniques et irlandais, ou l’Ecosse qui recevra la France et l’Angleterre ?

C’est vrai qu’historiquement, le XV de France a souvent eu du succès après les tournées des Lions, qui sont extrêmement exigeantes physiquement et mentalement. D’autant que cette année, il s’agit de se rendre chez les champions du monde sud-africains… Mais parfois, après une tournée des Lions, une nation tire des leçons de l’expérience engrangée en tournée. Alors, c’est difficile de prédire quoi que ce soit, d’autant plus que cette saison a été rendue très particulière par la Covid. Alors, je vais utiliser mon joker…

L’Écosse était très peu représentée dans les deux derniers squads des Lions sélectionnés par Warren Gatland. Pensez-vous que ce Tournoi va changer la donne en vue de la tournée en Afrique du Sud ?

Ces dernières années, nous n’avions effectivement que deux ou trois joueurs pour représenter l’Écosse. Je pense qu’ils seront beaucoup plus nombreux cette fois, car ils ont prouvé qu’ils pouvaient gagner à l’extérieur. Je vous rappelle qu’il y a quatre ans, nous avions terminé le Tournoi en encaissant 60 points à Twickenham (61-21). Là, nous l’avons emporté à Londres et à Paris, donc le regard porté par Warren Gatland sur les joueurs écossais va certainement changer. Du moins, je l’espère pour mes joueurs…

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