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Faut-il écarter l’Italie du Tournoi ?

  • à l’image de la naturalisation de l’ailier Monty Ioane, l’Italie a fait le choix ces dernières années de se renforcer en visant des joueurs étrangers évoluant dans les franchises transalpines de Pro14... Photo Icon Sport
    à l’image de la naturalisation de l’ailier Monty Ioane, l’Italie a fait le choix ces dernières années de se renforcer en visant des joueurs étrangers évoluant dans les franchises transalpines de Pro14... Photo Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Le chemin de croix de l’Italie dans le Tournoi des 6 nations 2021 pose bien des questions. Cette équipe de moins en moins compétitive a-t-elle encore sa place dans l’élite européenne ?

Les chiffres ont beaucoup circulé, ces derniers temps. Six ans de disette et trente-deux défaites consécutives : le bilan dans le Tournoi des 6 Nations de l’Italie est catastrophique. Il jette un soupçon de discrédit sur le Tournoi. Et l’on ne voit poindre aucune lueur à l’horizon. Cette année, l’Italie a encaissé au moins quarante et un points à chaque match. L’addition est montée à cinquante-deux en écosse. La France lui a passé cinquante points à Rome. Dire que dans les années 90, elle damait le pion aux nations du Tournoi… Vingt et un ans après son entrée dans la compétition, l’Italie n’a pas progressé, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle est même devenue nettement moins compétitive que dans les années 2000, quand elle parvenait à limiter les dégâts et à arracher des succès de-ci, de-là.

Que 2007 semble loin

En 2007, par exemple, sous la direction de Pierre Berbizier, elle avait gagné deux matchs, en écosse et face au pays de Galles. En 2011 et 2013, elle avait battu la France à Rome sous l’autorité de Nick Mallett puis de Jacques Brunel. On a senti une cassure, en gros, après la Coupe du monde 2015. L’Irlandais Conor O’Shea et le Sud-Africain Franco Smith se sont retrouvés à la tête d’une équipe vraiment dépourvue de talents supérieurs, à l’exception de Sergio Parisse, qui a poursuivi sa carrière jusqu’en 2019. L’Italie ne semble désormais chercher son salut que dans la naturalisation de joueurs barrés dans leur pays d’origine (Braam Steyn, Jake Polledri, Monty Ioane, Stephen Varney). C’est désolant moralement, mais cela semble inévitable au vu du maigre réservoir local.

L’Italie est actionnaire

2021 a marqué une sorte de rupture. De plus en plus de voix évoquent la sortie de l’Italie du Tournoi, tant elle ne lui apporte plus rien sportivement. On est même parfois gêné de voir ces joueurs se faire humilier ainsi, match après match. Une équipe virée du Tournoi, ce serait triste, forcément. Mais c’est déjà arrivé, en 1931, avec la France pour des raisons de discipline et de professionnalisme.

Quatre-vingt-dix ans plus tard, une "expulsion" de l’Italie serait plus difficile à mettre en place car la Fédération italienne est actionnaire de la société commerciale qui gère la compétition. Le pays compte des médias puissants pour apporter de l’argent. Et puis, par qui la remplacer ? Oserait-on revenir à cinq (soit cinq matchs de moins à diffuser) ? La Géorgie ferait-elle mieux ? Ce n’est pas évident et, en termes de déplacements, ça changerait beaucoup de choses. Sans compter la question des diffuseurs. Une arrivée d’une nation non-européenne (Japon, Afrique du Sud) serait-elle vraiment raisonnable ? En fait, l’Italie semble bien arrimée, par défaut, à cette compétition. Même si elle y vit un calvaire.

Voici ce qu'en pensent quelques grandes personnalités du rugby.

"Aucune autre équipe ne ferait mieux"

Alessandro Stoica - Ancien international italien (71 sélections, 1997-2007) :

"Bien sûr que l’Italie doit rester dans le Tournoi des 6 Nations. Vous croyez que les supporters n’ont plus envie d’un week-end à Rome ? (rire) Plus sérieusement, je crois d’abord qu’aucune autre équipe européenne ne ferait mieux que l’Italie à sa place. Ensuite, j’ai toujours été convaincu que pour devenir une équipe de haut niveau, il faut se confronter le plus régulièrement possible aux meilleurs. Ce n’est pas en la sortant du Tournoi qu’on va aider l’Italie. Elle a besoin de jouer ce Tournoi pour progresser. D’ailleurs, ce constat explique aussi, à mon avis, les difficultés actuelles : il y a une dizaine d’années, la Fédération a choisi de construire deux provinces fortes, justement pour confronter les joueurs au haut niveau. Mais elle a choisi d’inscrire ces équipes en Ligue celte. Sur le papier, c’est un championnat de très haut niveau, pas de problème. La vérité est différente : les meilleures équipes n’en font pas une priorité et se concentrent sur la Coupe d’Europe. Toute l’année, les équipes italiennes n’affrontent pas le Munster ou le Leinster. Elles affrontent les académies du Munster et du Leinster. La différence est énorme. Et quand ils arrivent dans le Tournoi, les joueurs transalpins se confrontent au très haut niveau, le vrai. L’écart est immense. Ils tiennent une demi-heure puis ils explosent. Mais il ne faut pas les incriminer : on le voit, ils donnent tout quand ils enfilent le maillot de l’Italie. Simplement, ils ne sont pas habitués au meilleur niveau mondial. Ils ne peuvent pas l’inventer."

 

« Des choix politiques préjudiciables »

Pierre Berbizier - Ancien sélectionneur de l’Italie (2005-2007)

"Le constat, c’est que l’Italie n’est plus au niveau du Tournoi des 6 Nations. La question de remplacer cette équipe se pose logiquement. Mais quelles nations peuvent prendre la place de l’Italie ? A-t-on une meilleure équipe, pouvant la suppléer ? Il y a deux façons d’aborder ce sujet. Soit on aide cette nation à progresser et à revenir à un meilleur niveau, soit on la remplace. Mais est-ce que la Géorgie peut présenter une équipe compétitive sur la durée ? Souvenez-vous qu’il y a quelques années, l’Italie était un adversaire compétitif. Pourquoi l’Italie a régressé ? Je crois qu’il y a eu des choix politiques préjudiciables, notamment la concentration des meilleurs joueurs au sein de deux franchises engagées dans le Pro 14. La Fédération italienne a négligé son championnat domestique alors que la formation est bonne. Seulement, les jeunes n’ont pas de débouchés parce que les deux franchises concentrent aussi de nombreux étrangers. Et le championnat domestique a, à peine, le niveau de Fédérale 1 en France. Sans doute la Fédération aurait-elle dû développer un meilleur championnat plutôt que de concentrer ses meilleurs joueurs au sein de deux formations. Géographiquement, ça n’incite pas les gamins vivant loin de ces franchises à venir au rugby. L’Italie paie les pots cassés d’un choix politique. Avant, les meilleurs joueurs évoluaient en France : Parisse, Lo Cicero, Festuccia, Troncon, les frères Bergamasco, Canale, Castrogiovanni, Dellape et j’en passe. Aujourd’hui, les meilleurs ont déserté le Top 14 parce qu’ils n’en ont plus le niveau."

« Les Italiens n’auront plus aucune perspective d’évolution »

Guilhem GUIRADO Ancien capitaine du XV de France

« J’ai beaucoup d’admiration pour ce qu’a réalisé l’Italie par le passé. Cette équipe, à mon époque, nous a régulièrement posé des problèmes. Beaucoup d’Italiens évoluaient alors en Top 14, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Je ne sais pas si on doit mettre en place un match de barrage ou s’il faut revenir aux 5 nations mais sur les résultats de l’Italie sur deux derniers Tournois, la question se pose légitimement.
Paradoxalement, une province comme Trévise commence à tirer son épingle du jeu en Pro 14, sans être au niveau non plus des grosses provinces celtes qui gèrent ce championnat tranquillement en priorisant la Champions Cup. Malheureusement, il y a peu de joueurs cadres italiens qui ont l’habitude de jouer ces matchs de haut niveau. Et quand arrivent les rencontres du 6 Nations, le manque d’expérience est criard. C’est dommageable pour l’Italie. Pourtant, cette équipe me semble au-dessus de la Géorgie par exemple. Lors de leur dernière confrontation, les Italiens se sont imposés (28-17, novembre 2018, N.D.L.R.). Faut-il les aider à progresser, à développer leur formation ou leur tomber dessus et les critiquer à tout-va ? En sortant les Italiens du Tournoi, ils n’auront plus aucune perspective d’évolution. Et puis, souvenons-nous que l’écosse, en son temps, la France, plus récemment, ont aussi connu des gros passages à vide. Évidemment, ces équipes avaient les ressources pour permettre l’éclosion d’une nouvelle génération et bâtir quelque chose. C’est là que le bât blesse pour l’Italie : la Fédération doit construire un projet pour permettre à ses jeunes de jouer au plus haut niveau. C’est le seul moyen de progresser. »

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Les commentaires (1)
fojema48 Il y a 2 années Le 18/01/2022 à 11:29

Ce serait bien que les fédérations collaborent et échangent plus, que des stages pour jeunes joueurs italiens (et autres) soient plus fréquents avec les nations du Rugby !