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Lombard : "Jacky n’accepte pas de perdre. Enfant, j’étais pareil"

Par Arnaud BEURDELEY
  • "Jacky n’accepte pas de perdre. Enfant, j’étais pareil" "Jacky n’accepte pas de perdre. Enfant, j’étais pareil"
    "Jacky n’accepte pas de perdre. Enfant, j’étais pareil"
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Thomas Lombard (Directeur général du Stade français) Fraîchement désigné vice-président de la Ligue nationale de Rugby, l’homme fort de Paris revient également sur Le départ de Fickou, la perspective d’un échec dans la course aux phases finales et les évolutions à venir dans son club.

La dernière défaite en Top 14 contre l’ASM Clermont a-t-elle sonné le glas des espoirs de qualification ?

C’est un coup d’arrêt car nous n’avions pas perdu à domicile depuis ces deux défaites en début de saison, contre Bayonne et le Racing. En suivant, nous avions bien enchaîné face à Toulouse, Bordeaux, La Rochelle ou même Toulon. Là, dans une séquence un peu difficile où les matchs ne se sont pas enchaînés pour différentes raisons, nous avons perdu un match à notre portée en raison d’une forte indiscipline, notamment. Mais cette défaite ne signifie pas la fin de nos espoirs de qualification.

Dans l’hypothèse d’une non-qualification pour la phase finale, le vivrez-vous comme un échec ?

Non, parce que nous savions que nous avions le besoin d’étoffer notre effectif pour être plus compétitif. L’équipe a un réel potentiel mais sur certains postes, nous n’avons pas assez de profondeur, ni d’homogénéité. Nous devons y travailler car les joueurs doivent être challengés et avoir une concurrence plus intense. Nous devons aussi structurer davantage le centre de formation pour pouvoir nous appuyer sur un renouvellement de l’intérieur. Nous savions qu’avec un peu de réussite et un peu plus de réalisme à l’extérieur, nous aurions pu décrocher le top 6. Seulement, si jusque-là nous avions été épargnés par les blessures, aujourd’hui l’infirmerie est bien remplie : Mavinga, Béthune, Delbouis, Chapuis, Kremer… Ce qui nous complique un peu plus la tâche.

Vous dites qu’il est nécessaire de renforcer la compétitivité de l’équipe. Or, vous avez décidé de vous séparer de Gaël Fickou à la fin de l’année. Pourquoi ?

On parle ici d’un joueur de classe mondiale qui, et ce n’est malheureusement pas de son fait, n’est disponible pour le club qu’un tout petit peu plus de la moitié des matchs de phases régulières. C’est problématique. Oui, nous avons besoin de joueurs qui incarnent le club mais nous avons aussi besoin de joueurs sur qui l’entraîneur peut compter sur la durée d’une saison.

Était-ce aussi une affaire financière ?

Gaël Fickou a un salaire à la hauteur de son statut. Se séparer de Gaël, c’est avoir une enveloppe financière plus large pour recruter et continuer d’étoffer notre groupe.

D’autres joueurs au Stade français ont des rémunérations proches de celle de Gaël Fickou. Peut-on imaginer le club se séparer de ces joueurs-là de la même façon ?

Les joueurs ont des contrats, nous les respecterons. Pour avoir ces salaires, ils n’ont mis un pistolet sur la tempe de personne. Nous avons récupéré un effectif et un fonctionnement qui n’est pas le nôtre. Nous essayons de travailler intelligemment pour corriger les erreurs du passé. Ce qui est sûr, c’est que nous reviendrons à l’échéance juin 2022 à une situation plus homogène au niveau des rémunérations.

N’est-ce pas un crève-cœur de vous séparer d’un garçon comme Gaël Fickou ?

C’est une évidence. Ce n’est pas une "fatwa" lancée contre Gaël Fickou. Nous avons un certain nombre de contraintes. La première d’entre elles, c’est de construire un groupe compétitif. Et dans ce cadre-là, nous avons été amenés à faire des arbitrages. Dans ce genre de situation, il y a du positif et du négatif. Mais n’oublions pas qu’il fait partie des cadres de l’équipe de France et que sur vingt-six matchs de phase régulière, il aura été absent douze fois.

N’est-ce pas le même sujet pour les internationaux argentins Sanchez, Matera et Kremer ?

Absolument. Sauf que lorsque Nico Sanchez a été recruté, il ne devait plus jouer pour les Pumas. Malheureusement pour nous, il a été de nouveau appelé. Ce sont des aléas que nous subissons. Ensuite, si l’on parle d’un joueur comme Marcos Kremer, par ailleurs très impliqué dans le projet sportif lorsqu’il est au club, il aura manqué sept journées de Top 14. Mais c’est un problème global. Peut-on continuer à vivre des situations où une entreprise doit se séparer de ses meilleurs salariés durant un laps de temps très conséquent, sans même une compensation financière ? Je parle ici des joueurs étrangers. C’est un vrai problème. La saison prochaine, ces joueurs-là vont partir jouer le Rugby Championship qui débutera en août, pour se terminer en octobre. Ils vont revenir quelques jours avant de repartir pour la tournée de novembre. Ce sont des joueurs que nous paierons du mois d’août à décembre sans pouvoir les utiliser. Il y a un plus juste équilibre à trouver.

Pensez-vous que World Rugby doit dédommager les clubs ?

Je ne sais pas, mais on doit pouvoir trouver un système moins contraignant pour les clubs. Ce sont des joueurs de classe mondiale, ils ont droit à des émoluments à la hauteur de leur talent. Sauf que leur talent, ils ne peuvent le mettre au service du club que 50 ou 60 % du temps, ce qui n’est pas normal. Avoir un international ne doit pas devenir un problème pour un club.

Vous êtes depuis peu vice-président de la LNR. Est-ce un sujet que vous allez traiter dans les semaines ou les mois à venir ?

Ce n’est pas un sujet nouveau. La crise n’a fait qu’accentuer le ressenti des clubs. On sait très bien que dans la perspective du Mondial 2023, les fédérations vont chercher à avoir plus souvent les joueurs pour bien se préparer, à jouer plus de matchs pour récupérer l’argent qu’elles n’ont pas pu gagner pendant la période Covid. Nous avons les mêmes contraintes sauf que la réglementation ne nous permet même pas de nous opposer à quoi que ce soit, ni même d’avoir des échanges. L’idée n’est pas d’aller à l’affrontement. On veut juste être invité à la table des discussions et essayer de construire un modèle qui, même si l’on sait qu’il ne sera pas idéal, pourra satisfaire un peu plus de monde et qu’il soit arrêté une bonne fois pour toute pour avoir une meilleure visibilité.

C’était en partie le même propos tenu par l’ancienne gouvernance de la LNR…

C’est vrai mais les rares fois où les dirigeants de la LNR ont été invités à la table des négociations, je ne vais dire qu’ils ont été pris de haut, mais ils n’ont pas été réellement considérés. Or, si le rugby génère de l’argent, c’est aussi parce que le modèle des clubs en France ou en Angleterre existe, que le rugby en Europe est très lucratif. Sauf qu’il y a ceux qui dépensent l’argent et ceux qui l’encaissent. Ça, ce n’est plus possible.

Pour revenir au Stade français, peut-on imaginer une ouverture du staff pour apporter plus de compétences ?

On peut tout imaginer. Cela passe peut-être par là. L’équipe a progressé cette saison. En témoignent les nombreuses victoires à domicile avec le bonus offensif. Seulement, elle reste fragile à l’extérieur, sur la discipline et sur la durée. Ce sont des choses que nous devons corriger. Tout comme l’envie de se dépasser chaque semaine. Un manager a trois étapes à franchir : l’année une, ce sont ses débuts avec un groupe qu’il n’a pas construit, la mise en place d’un système, d’un fonctionnement ; l’année deux, il construit un peu plus son effectif et enfin la troisième année il doit tirer les bénéfices des deux premières. Nous sommes dans les temps, un travail non négligeable a été accompli. Seulement, quand on est le Stade français, on est toujours un peu plus attendu. Quand on a gagné trois, quatre matchs de suite, c’était le retour du grand Stade français. Et si on ne se qualifie pas, on se fera tirer dessus. Mais nous sommes lucides sur notre situation.

Êtes-vous en contact avec Xavier Garbajosa pour renforcer le staff ?

Je connais bien Xavier, nous avons discuté…

Pourquoi vouloir une nouvelle entrée dans le staff ?

On demande aux joueurs de plus s’impliquer, d’absorber de plus en plus d’informations. Notre niveau d’exigence est plus élevé. Et pour y parvenir, c’est aux entraîneurs d’être de plus en plus pointus, de plus en plus spécialisés. Nous travaillons avec trois entraîneurs. Quand je vois ce qui se fait ailleurs, je me dis qu’on a besoin d’étoffer notre staff. Cela donnera aussi plus de temps à Gonzalo pour aller dans le détail et consolider les bases qu’il a mises en place cette saison. Après, il faut trouver la bonne personne, celle qui a compris le projet du club et qui veut s’inscrire dedans.

Gonzalo Quesada a évoqué dans un entretien à nos confrères de l’AFP une éventuelle prolongation de contrat. Est-ce d’actualité ?

Gonzalo a signé un contrat de trois ans. Il lui reste donc deux années avec nous, pour accompagner le club dans son projet et faire progresser l’équipe. Nous formons une équipe complémentaire qui va s’inscrire dans la durée, j’en suis convaincu.

Vous avez évoqué la formation du Stade français. Pourquoi peu de joueurs sortent au plus haut niveau de votre centre de formation ?

D’abord, c’est un secteur qui a longtemps été négligé. Ensuite, il y a une problématique liée à notre positionnement géographique : avoir une unité de lieu pour notre centre en plein cœur du XVIe arrondissement de Paris, ce n’est pas simple. Le modèle du centre de formation que l’on voit dans beaucoup de clubs, nous ne l’aurons jamais. Mais ça ne me dérange pas plus que ça. Comme je l’ai déjà dit : je veux que les gamins soient dans la vraie vie, qu’ils prennent le bus pour aller à l’université, qu’ils reprennent le bus pour venir à l’entraînement. Je sais bien que l’unité de lieu simplifie la transmission, le bien-être, l’inclusion… Pour autant, on ne reste pas sans rien faire. Notre projet de club, labellisé RSE par l'Afnor, en atteste. Nous avons tissé des liens avec de nombreux clubs partenaires pour identifier les bons jeunes et leur proposer un projet de vie. Mais ça prend du temps. Nous ne sommes là que depuis un an et demi. Notre structure « Stade Académie » sera très bientôt une référence.

Souffrez-vous de la concurrence du Racing 92 pour séduire les meilleurs jeunes d’Ile-de-France ?

C’est pour cette raison que nous avons un projet différent du leur. Nous voulons attirer des jeunes pour un projet de vie, pas uniquement sportif. C’est aussi pour cette raison, entre autres, que l’attractivité du Stade français reste très importante.

Quid du recrutement pour l’effectif professionnel ?

Nous allons recruter cinq joueurs. Nous l’annoncerons quand tout sera conclu.

Samedi aura lieu le derby entre le Racing 92 et le Stade français. Peut-on résumer cette rencontre à une opposition Lorenzetti-Lombard ?

(il rigole) J’espère que non ! Jacky a été mon président à la fin de ma carrière et j’ai du respect pour lui. Il a construit un club superbe mais le Racing ne sera jamais le Stade français Paris. On a quatorze titres de champion de France. Et 45+45, ça ne fera jamais 45 chez nous. Jacky le sait et ça doit l’énerver. Ce match, c’est surtout un rendez-vous important pour nous, sportivement et en termes d’image. Au-delà de la course à la qualification, de la revanche du match aller, le derby c’est le derby…

Jacky Lorenzetti a qualifié la nouvelle équipe dirigeante de la LNR de "fédéraliste"…

Jacky n’accepte pas de perdre. Enfant, j’étais pareil, j’en voulais toujours à ceux qui me battaient. Parce que Bernard Laporte a été mon entraîneur en équipe de France et au Stade français, parce que Serge Simon a été mon partenaire de club, je serai à la solde de la FFR ? C’est très réducteur, quand même, non ?

À vous de nous dire…

Les arguments de Jacky sont obsolètes et caricaturaux. La menace de la création des franchises ? Qui y croit ? Arrêtons un peu. Si on reste sur ces idées, on tombera dans une inertie qui ne profitera à personne. Le rugby a besoin d’autre chose. Ce n’est pas parce qu’on parle avec les dirigeants de la FFR qu’on a des œillères ou qu’on se laissera manipuler. Vous pensez vraiment que Didier Lacroix sera à la solde de la FFR ? Non, nous voulons simplement contribuer à transformer durablement la LNR et à développer notre sport. Nous sommes inféodés à personne. D’ailleurs, nous allons travailler avec toutes les forces vives du rugby pro. Il ne vous aura pas échappé que Yann Roubert a été nommé vice-président chargé des relations internationales.

On vous suit…

Et pourtant, Yann était plus proche de la mouvance Vincent Merling. Yann est quelqu’un de précieux et compétent qui a déjà traité de nombreux dossiers importants, notamment avec l’EPCR. Et j’aimerais demain que Jean-Michel Guillon (président de l’ASM) apporte ses idées, s’il en a l’envie. Il n’y a pas l’ancienne équipe et la nouvelle, il y a le rugby professionnel et trente clubs qui font face à leurs enjeux d’évolution et de transformation.

Vous avez été nommé vice-président de la LNR, en charge du développement économique et de l’innovation. Quels seront vos chantiers ?

Nous devons réfléchir à la façon dont nous allons sortir de cette crise, à l’offre que nous pourrons offrir autour du rugby des clubs, pour maximiser les revenus. Que peut-on faire sur le digital ? Quels contenus pouvons-nous créer ? Le champ des possibilités est immense. Nous pouvons compter sur une masse de supporters, aujourd’hui, dont l’âge oscille entre 35 et 55 ans. Nous devons séduire un nouveau public, notamment les 18-35 ans. Une catégorie très volatile, consommatrice de réseaux sociaux, de contenus digitaux. Nous devons peut-être travailler avec le diffuseur sur cet aspect-là.

Quelles sont vos idées de développement ?

Quand la situation redeviendra normale, je crois à une appétence forte de la part du public pour consommer. Il faut qu’on anticipe et qu’on travaille pour proposer de nouvelles choses. Je n’ai pas d’idée arrêtée mais ce que font les Anglais à Twickenham avec trois ou quatre matchs joués sur un même week-end dans le stade, je trouve le concept formidable. Pourquoi ne pas y réfléchir ? Et puis, l’innovation et le développement, pourquoi ne pas les conceptualiser sur certains secteurs avec la Fédération ou France 2023 ? Il y a des passerelles à trouver.

On vous imaginait en charge des relations avec la FFR…

Personnellement, je n’ai rien exigé. J’ai dit à René Bouscatel que j’étais à sa disposition pour travailler avec lui. Rien d’autre. L’avantage de cette nouvelle génération qui est aujourd’hui à la Ligue, c’est sa flexibilité et sa capacité de travail. Nous sommes pour la plupart des salariés de nos clubs, nous n’avons pas d’activité annexe. Le rugby, c’est notre job. Didier (Lacroix), qui s’occupera des relations avec la FFR, a aujourd’hui de nombreux joueurs appelés à jouer en équipe de France et beaucoup d’expérience à faire valoir.

Regrettez-vous que Paul Goze ait procédé à l’attribution des droits télé avant les élections ?

C’est la source de revenus du rugby professionnel et de la Ligue. De l’extérieur, on aurait aimé être plus intégré aux discussions. Ceux qui étaient en place nous ont expliqué, ce qui est entendable, que ça aurait fuité dans la presse. In fine, nous avons une capacité de projection importante sur six ans. Je suis très favorable à ce que les gens avec qui nous avons bien travaillé, moi le premier, continuent de collaborer avec nous. Mais dans la lignée de ce qu’on va mettre en place, Canal + va devoir nous aider dans la construction de nos projets.

Pour résumer, quels sont les gros chantiers de la Ligue pour les années à venir ?

Conquérir de nouveaux publics, sceller des partenariats durables avec de grandes entreprises, retrouver un modèle de formation plus équilibré pour revenir à ce qui faisait la singularité du rugby, capitaliser sur le développement des nouvelles pratiques et les féminines, s’engager autour du sport santé, de la RSE et évidemment, ce qui est même prioritaire, travailler à l’harmonisation du calendrier entre le rugby des clubs et celui des sélections nationales.

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