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Dallas au Stade français, comment Paris a perdu « sa » finale 2001

  • 19 mai 2001 : la finale de Coupe d’Europe perdue par les Parisiens de Diego Dominguez face à Leicester.
    19 mai 2001 : la finale de Coupe d’Europe perdue par les Parisiens de Diego Dominguez face à Leicester. Midi Olympique - Patrick Derewiany
Publié le Mis à jour
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Il y a vingt ans quasi jour pour jour, le Stade français disputait une finale de Coupe d’Europe presque à domicile, au Parc des Princes face au champion d’Angleterre, Leicester Tigers. Tout était réuni pour que cela soit une fête, mais voilà en coulisses, Paris s’est tiré une balle dans le pied.

Il fait grand soleil, presque chaud en ce 19 mai 2001 à Paris. Un peu plus de trois ans après le funeste France — Afrique du Sud (52-13), le rugby retrouve son ancienne maison : le Parc des Princes. L’antre du PSG est aussi une enceinte légendaire pour tout amoureux du ballon ovale et passes croisées, en France. Le stade de la Porte de Saint-Cloud se trouve être le théâtre de la sixième Coupe d’Europe de rugby. Le triple champion d’Angleterre en titre face au double champion de France 1998-2000. Leicester Tigers contre le Stade français. L’affiche idéale.

D’ailleurs, le Parc est plein comme un œuf. Les drapeaux zébrés bleu et rouge ont été disposés sur chaque siège des tribunes, presque en personne par le président du Stade français, Max Guazzini. Les brasseries des Trois Obus, les Deux Stades ou Les princes ont fait le plein, comme aux plus belles heures du Tournoi des 5 Nations. Le peuple rugbystique francilien est venu en nombre assister au sacre annoncé du Stade français. Un club qui, cinq ans plus tôt, végétait en Deuxième Division et qui, depuis trois ans, sous la houlette du duo Guazzini-Laporte est redevenu un grand de l’Ovalie.

« Ce titre nous tendait les bras. Cette année-là, jusqu’à ce match, l’équipe marchait sur l’eau. On avait enchaîné quatorze victoires consécutives en championnat », témoigne en premier Sylvain Marconnet, pilier gauche indéboulonnable des Stadistes. « L’Europe était l’objectif de la saison, surenchérit celui qui poussait à sa poupe, le deuxième ligne David Auradou. Nous n’avions que ce rendez-vous en tête. »

Dallas au Stade français, comment Paris a perdu « sa » finalle 2001
Dallas au Stade français, comment Paris a perdu « sa » finalle 2001 Midi Olympique - Patrick Derewiany

« Une finale au Parc des Princes, pour nous qui jouions à côté dans le petit Jean-Bouin, c’était énorme. Là, il explosait de monde. Je me souviens encore de l’échauffement, quand je m’entraînais à taper. De voir tous ces supporters pour nous, je me suis qu’on ne pouvait pas perdre », développe depuis l’Argentine, le jour de son anniversaire cette année, Diego Dominguez, des trémolos dans la voix.

Car oui, ce match, le Stade français va le perdre sur un essai de Lloyd, après un tour de passe-passe d’Austin Healey à la 79e minute. « Suicide, mode d’emploi », titrera Jacques Verdier dans son commentaire général. Un titre fort à propos, qui explique tout. Pourtant, le directeur de la rédaction ne savait alors rien de l’histoire qui s’était nouée quelques jours plus tôt. Vingt ans après, on est en droit de penser que jamais un match ne s’est autant joué dans les coulisses, dans les jours précédents.

Laussucq-Dominguez faisaient les séances vidéo

Cet échec est d’abord né d’un choix cornélien, celui d’un homme qui a suivi jusqu’au bout sa nature profonde. L’Australien John Connolly avait pris les rênes techniques du Stade français au printemps 2000, assistant d’abord effaré à l’autogestion particulière de l’équipe professionnelle qui avait abouti au deuxième Bouclier de Brennus de l’ère moderne, celle de Guazzini.

Pragmatique, Connolly n’était venu à Paris qu’avec un seul adjoint, son compatriote Paul Healy. Il s’appuyait  dans son management et ses entraînements novateurs sur les cadres du groupe: Juillet, le capitaine, mais aussi les hommes de la charnière Laussucq-Dominguez. Ces deux derniers animaient notamment les séances vidéos du début de semaine, un des restes de l’autogestion de la saison précédente. Diego Domiguez:  « Il avait changé la forme de nos entraînements. On s’entraînait comme des fous, mais il ne changeait presque jamais le XV de départ. C’était une bonne façon, mais il nous a fallu un temps d’adaptation, notamment pour que nos corps s’habituent à ces doses d’entraînement. Ce changement de rythme dans les corps était terrible. Il aurait fallu que cela soit plus progressif pour que l’on digère plus facilement ».

La greffe Connolly prend finalement. La finale de Heineken Cup doit l’entériner définitivement. Pour se qualifier, le Stade français a effectué un parcours quasi sans faute en disposant notamment par deux fois des London Wasps en poule, et du Munster en demi-finale. Un match disputé à Villeneuve-d’Ascq, où Christophe Laussucq avait déclaré forfait la veille, en raison d’une légère entorse du ligament latéral du genou droit. Une petite blessure qui va lui jouer un bien vilain tour.

« Kiki était le papa du paquet d’avants »

J-5 avant la finale à Paris. Le Stade français a choisi d’effectuer un stage dans l’Essonne, à Evry. Les joueurs parisiens viennent de prendre leurs quartiers dans leur hôtel. Ils doivent y rester jusqu’au vendredi avant de partir au château de Maffliers, dans le Val d’Oise, leur habituel antre d’avant-finale à Paris. Après le dîner, John Connolly frappe à la porte de la chambre de Christophe Laussucq. Il souhaite s’entretenir avec lui. Calmement, il lui indique qu’il compte aligner la même équipe qu’en demi-finale, que le Canadien Morgan Williams sera titulaire au poste de demi de mêlée même s’il ne compte que trois titularisations depuis le début de la saison (toutes compétitions et matchs amicaux confondus). Laussucq encaisse mais ne digère pas.

Christophe Laussucq ne rentra pas sur la pelouse, l’entraîneur parisien John Connolly (en dessous) lui préfèrant Morgan Williams au poste de numéro 9
Christophe Laussucq ne rentra pas sur la pelouse, l’entraîneur parisien John Connolly (en dessous) lui préfèrant Morgan Williams au poste de numéro 9 Midi Olympique - Patrick Derewiany

Pour le symbole de la passation, Connolly lui demande même de féliciter le Canadien le lendemain, au petit-déjeuner. Toute la nuit, Laussucq rumine sa colère. « Je n’en ai pas dormi. Je ne comprenais pas. J’avais joué une semaine avant, 40 minutes face à Pau en championnat pour tester mon genou. Cela faisait six ans que j’étais au club. Avec Peter De Villiers, nous étions les plus anciens. John m’avait supplié de jouer la demi-finale. J’avais sa confiance, il a tout cassé », glisse-t-il vingt ans après, peinant à contenir ses larmes.

Au matin, Laussucq s’éclipse discrètement de l’hôtel. Il est, accompagné de Patrice Collazo, recruté durant l’été 2000 mais que Connolly ne fait presque jamais jouer.

Dans le hall de l’hôtel, Laussucq croise le manager du club, Alain Elias. Il lui annonce qu’il rentre chez lui « à Lacanau, par le premier avion ». Il laisse son partenaire Collazo à Orly et file s’enfermer dans son appartement parisien. « Je ne voulais voir personne. » Durant vingt-quatre heures, Laussucq coupe son téléphone. Dans les rangs du Stade français, c’est la panique, notamment chez les gros. « L’annonce de sa non titularisation et son départ avaient déstabilisé le groupe. « Kiki » était le papa du paquet d’avants, il avait la main sur nous, surtout depuis que Bernard Laporte n’était plus notre coach. J’ai la faiblesse de penser qu’avec Christophe sur le terrain, nous aurions été champions d’Europe. Je n’ai pas de regrets sur la finale de 2005 face à Toulouse, mais là oui », témoigne Sylvain Marconnet. Le mardi et mercredi, les joueurs se réunissent et tentent de faire infléchir John Connolly sur sa décision, tout en essayant de joindre sans succès Laussucq. Auradou se souvient : « Ce n’était pas le choix le plus judicieux de John durant ses deux saisons à Paris. En tant que joueur, je le trouvais incompréhensible mais en tant qu’entraîneur aujourd’hui, je peux le comprendre. Le départ de Christophe avait été préjudiciable pour notre préparation mais sa réaction était normale. C’était le patron des gros. On a cherché à faire changer d’avis John, en vain. Avec lui, on survolait le championnat mais à la fin, on était sur les rotules. Il ne faisait pas tourner, sauf sur blessure. Ce n’est que comme ça que tu gagnais ou perdais ta place dans le XV de départ ». L’ancien deuxième ligne admet aussi une certaine retenue dans leur réclamation pour le retour de Laussucq, ne voulant pas rééditer le coup de janvier 2000, quand le groupe avait demandé (et obtenu) la peau de l’entraîneur d’alors, Georges Costes.

« Ce match a cassé le ressort »

Sans le savoir, Connolly a eu la tête sur le billot. Laussucq raconte : « Le jeudi, je réponds à Max qui insiste pour que je revienne dans le groupe. Il veut envoyer Elias me chercher en voiture en Gironde. Je lui dis alors la vérité. Que je suis à Saint-Cloud. Il me propose de virer John si je reviens. Je refuse, bien évidement. Et devant son insistance, je lui promets de revenir. Je rejoins donc le groupe à l’hôtel, la veille de la rencontre. »

Le président du Stade français Max Guazzini et Bertrand Delanoë, Maire de Paris
Le président du Stade français Max Guazzini et Bertrand Delanoë, Maire de Paris Midi Olympique - Patrick Derewiany

De toutes les façons, vingt ans après, Connolly reste sûr de son fait. « Christophe revenait de blessure et Morgan avait fait un très bon match contre le Munster. Dans ces cas-là, vous suivez la même ligne de conduite et vous reconduisez l’équipe qui a gagné. Pour moi, Williams avait trouvé ses marques avec Dominguez. Christophe avait certes une passe exceptionnelle mais Morgan était une menace constante, ballon en mains. Ils avaient deux styles différents. J’ai beaucoup de respect pour les deux joueurs, qui étaient aussi de gros bosseurs. Le match contre le Munster fut la clé de mon choix. Surtout que Laussucq relevait de blessure... », glisse-t-il depuis Brisbane, en Australie, où il coule une retraite heureuse à près de 70 ans.

L’armistice entre le demi de mêlée et son coach n’est pourtant pas prête d’être signée. « On ne s’est plus jamais adressé la parole depuis ce lundi soir. Si je le croise, je ne sais même pas si je lui serre la main », enchérit Laussucq, rancunnier.

Christophe Laussucq ne rentra pas sur la pelouse, l’entraîneur parisien John Connolly (en dessous) lui préfèrant Morgan Williams au poste de numéro 9
Christophe Laussucq ne rentra pas sur la pelouse, l’entraîneur parisien John Connolly (en dessous) lui préfèrant Morgan Williams au poste de numéro 9 Midi Olympique - Patrick Derewiany

« Il y avait quelque chose de conflictuel entre eux, depuis le lundi. John est resté fidèle à ses principes. Pourtant, le côté gestionnaire de Christophe nous aurait servis.  Je pense que s’il avait été titulaire, on aurait été champion. Son association avec Diego Dominguez était l’une des meilleures charnières d’Europe. Les deux hommes se trouvaient les yeux fermés. John n’a pas pris en compte l’aspect émotionnel et affectif », regrette Thomas Lombard. Finalement inscrit sur la feuille de match et remplaçant, Laussucq passera les quarante minutes de la deuxième mi-temps à s’échauffer dans l’en-but, attendant désespérément un signe. En vain. « Sur le terrain même en toute fin de match, il aurait tout changé », résume Sylvain Marconnet. Paris a donc perdu son match avant de l’avoir disputé sur une décision qui, vingt ans après, reste pour Christophe Laussucq une véritable blessure. Toujours pas cicatrisée. Ni pour lui, ni pour certains partenaires d’antan. « Je pense à cette défaite tout le temps. Quand je vois un match de Coupe d’Europe, je me dis qu’il nous manque que ça, merde… (sic) », indique Dominguez. « Ce match a cassé le ressort. On ne s’en est jamais remis jusqu’à l’arrivée du Nick Mallett », poursuit Marconnet.

Laussucq quittera le Stade français sur ce match, bien qu’encore sous contrat. Connolly continuera encore six mois avant de se faire virer à son tour. Sans les deux hommes sous la présidence Guazzini, Paris décrochera encore trois Boucliers de Brennus (2003, 2004 et 2007) et perdra une nouvelle fois en finale de Coupe d’Europe (2005), en prolongations face à Toulouse. Mais ce 19 mai 2001 comme le disait Midi Olympique dans sa Une : « Le Stade français a tout perdu, une finale européenne et l’occasion de séduire un nouveau public. » Tout ça pour un simple choix de neuf…

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