Abonnés

Jean Bouilhou : « Contre La Rochelle, il ne fallait pas se défiler »

Par Jérémy FADAT
  • L'entraîneur des avants du Stade toulousain a évoqué la dernière finale de Champions Cup.
    L'entraîneur des avants du Stade toulousain a évoqué la dernière finale de Champions Cup. Patrick Derewiany
Publié le
Partager :

L'entraîneur des avants du Stade toulousain revient avec lucidité sur son évolution personnelle et évoque la dernière finale de Champions Cup.

Mola, Lacroix et Cazalbou vous trouvaient transformé dès le début de semaine avant la finale européenne…

J’ai senti une énergie différente. Pour l’entraîneur, le début de semaine est ultra-important. On y délivre les messages stratégiques. C’était mon moment. Je devais être précis et clair.

Est-ce le timing qui change par rapport au joueur ?

Joueur, plus la semaine avance et plus tu engranges de matière. Entraîneur, tu prépares le match dix jours avant et le début de semaine doit être très dense, avec beaucoup d’informations à donner. Puis les entraînements appartiennent de plus en plus aux joueurs. Même si je reste en alerte sur des stratégies de dernière minute, je deviens moins acteur.

Est-ce frustrant de ne pas tout maîtriser ?

On doit l’accepter. Le plus frustrant est quand tu vois des choses, qu’on les fait dans la semaine et que les joueurs ont du mal à les reproduire. L’adversaire travaille aussi et a le droit de décrypter. À part quelques retouches à la pause, on ne peut presque plus rien faire. Si le boulot n’a pas été réalisé avant, il n’y a pas de mots magiques à la mi-temps. Il y a le talent des joueurs. Je regarde le match presque comme tout amateur de rugby.

Contre La Rochelle, n’avez-vous pas retouché des choses à la pause vu la guerre imposée devant ?

Non, on en avait parlé avec les joueurs. Je leur avais dit que, face à eux, les autres équipes avaient un peu refusé ce combat devant. Pour moi, il fallait s’affronter, passer par cette étape. La Rochelle nous attendait dessus, voulait marquer ainsi, a essayé en première mi-temps. Ce fut, je crois, son erreur.

Votre équipe semblait souffrir…

On a été comme un roseau. On a subi mais on n’a jamais rompu. Physiquement, on a aussi dominé par instants cette équipe ensuite. En début de deuxième mi-temps, j’ai en tête plusieurs séquences où on leur fait mal, celle où Rory Arnold tombe sur la ligne d’essai. L’équipe a été résiliente et a trouvé les ressources pour cabosser La Rochelle quand il le fallait.

Devant, les matchs ont souvent basculé en votre faveur à l’heure de jeu…

Sans faire la guerre entre avants et trois-quarts, le Stade toulousain possède un pack puissant qui, c’est basique mais vrai, permet de délivrer des ballons importants derrière. Tout est question d’alchimie. Dire que Toulouse, ce n’est que le jeu de mains, est faux. C’est aussi et culturellement le jeu de conquête.

Est-ce donc dur d’entraîner les avants de Toulouse ?

Pas du tout, il n’y a pas d’ego à avoir. Je me régale avec un pack qui, honnêtement, a rarement été aussi conquérant depuis vingt ans. Par sa qualité, sa quantité et sa jeunesse. Je suis heureux quand on gagne, d’autant plus quand les avants font le job !

Entraîner est-il plus usant que de jouer ?

Oui. Après le titre, j’étais heureux mais surtout soulagé.

Pourquoi ?

Il n’y a pas l’extase du joueur, qui est dans le présent. L’entraîneur fait le sale job : on arrive tôt, on prémâche les vidéos et on doit donner peu et bien. Ce métier est énergivore mais, dans ces épopées, c’est plaisant d’aider de jeunes mecs à s’éclater.

Jean Bouilhou donne ses consignes à Antoine Miquel.
Jean Bouilhou donne ses consignes à Antoine Miquel.

Vous avez été vite catalogué futur entraîneur…

Pendant le Mondial 2011, Yannick Bru était pressenti pour intégrer l’équipe de France. Guy Novès m’a demandé de lui succéder. J’avais 32 ans et ne me voyais pas entraîner des potes, les commander, les choisir sur les feuilles de match. J’ai refusé.

Vous n’aviez pas prémédité le basculement ?

J’ai mis du temps à me mettre dans la peau de l’entraîneur mais j’avais des appétences sur la stratégie. J’aimais réfléchir le rugby, sans me rendre compte que cela pourrait me permettre de le transmettre. C’est venu sur la fin, à Pau. À la base, je voyais surtout les côtés négatifs de l’entraîneur.

Maintenant, vous les vivez !

(Il rit) Voilà, mais je pensais à tort. Mon gabarit ne m’offrait pas les mêmes qualités athlétiques que d’autres. J’ai vite compris qu’il me fallait réfléchir un peu plus. Quand tu es joueur, tu penses d’abord à toi. Aujourd’hui, j’ai peut-être la même approche sur le jeu mais, pour le coup, c’est plus intéressant car la stratégie est primordiale. J’aime réfléchir autour de ça.

Vous insistez sur l’importance d’être concis…

C’est l’un des aspects les plus durs. Au début, j’ai eu tendance à donner trop d’infos. Tu peux noyer le joueur. Les plans de quarante touches, c’est contre-productif. Il faut se faire violence pour réduire, réduire, réduire… Chaque entraîneur court après le temps. Le vrai talent, c’est de faire passer, en dix minutes, les clés décisives. Il faut aller vite pour que le joueur comprenne bien, capte tout en deux clips et ne perde pas d’énergie. Ça doit être si évident que ça s’impose comme la solution. Il ne sait pas que j’ai bossé dix heures dessus, mais je n’ai pas à lui montrer.

Vous évoquiez récemment une combinaison sur touche ayant conduit à l’essai de David Skrela lors de la demi-finale contre le Leinster en 2010. Est-ce l’illustration ?

Tout à fait. Yannick Bru avait insisté : "Si on fait la feinte entre les deux blocs, on aura le ballon à 100 %." Ça m’a marqué. Il nous a convaincus dans la semaine, on l’a fait, ça a marché. La relation entre entraîneur et joueur ne peut qu’être renforcée. J’ai adoré les années avec lui. Il avait ce côté analytique et précis.

Y a-t-il eu une action marquante en Champions Cup ?

La première qui me vient, c’est une combinaison en Ulster où Joe (Tekori) se retrouve sur un "peel off", qui traverse la touche. On fait un maul porté sur lui un peu involontaire qui amène un essai. L’essai aussi de Julien Marchand au Munster, après une touche, qui nous remet dans le match. Ces deux moments ont été décisifs et découlent de tactiques travaillées à l’entraînement.

« Le rugby est fait d’hommes, certains sains, d’autres tordus »

Comment amenez-vous les joueurs à la réflexion ?

Les Anglo-saxons s’approprient plus le jeu que les Français, avec le staff en retrait qui coache les leaders de jeu. Avec Virgile (Lacombe) sur la mêlée et moi sur la touche, on commence à le faire. On briefe les joueurs en amont et ils se présentent les choses. Ils ne doivent pas avoir peur de se conseiller, se chambrer, de m’interpeller aussi. Jerome (Kaino) ou Charlie (Faumuina) sont très inspirants. Ils n’hésitent pas à interagir et les autres le font. Ça permet parfois de modifier ce que je n’avais pas vu.

Que vous a apporté Jerome Kaino ?

Lui et Charlie te transforment. Ils ont une attitude impressionnante, singulière. Je l’avais remarqué à Pau avec Conrad Smith et Colin Slade. Ce qu’ils dégagent dans leur rugby et humainement, c’est simple, naturel, humble. Quand tu es Français, ça te marque. J’en connais qui ont gagné et roulent des mécaniques. Pas eux.

À ce point ?

À Pau, Conrad Smith, double champion du monde, est arrivé en 2015. On l’attendait comme le messie. À la fin du premier entraînement, il prend un mec et fait des passes à cinq mètres. Nos trois-quarts, qui voulaient toujours faire des arabesques et des passes compliquées, ont regardé ça… Je les avais chambrés : "Vous voyez, c’est pas compliqué le rugby." Au fur et à mesure de la saison, nos jeunes trois-quarts faisaient aussi des passes simples. C’est pareil avec Charlie et Jerome. À la fin des séances, ils font des petits ateliers, pas compliqués et toujours bien pensés. Ils ont cette simplicité ancrée en eux. Ils dégagent un truc… disons assez éloigné de la culture française. Ce sont des superhéros. Jerome Kaino, c’est Batman sans le chapeau (rires).

Mais on ne leur parle pas comme à d’autres…

C’est certain, surtout qu’on est presque de la même génération. Jerome, je ne lui apprends pas grand-chose. Quand j’échange avec lui, il me file deux ou trois conseils, sans en faire trop. Il ne le dit pas devant tout le monde pour montrer qu’il sait mieux que toi. Il me parle en aparté. Lui ou Charlie, ce sont des puits de savoir. Mais, si tu ne vas pas les chercher, ils ne te l’imposent pas.

En 2016, vous avez débuté comme entraîneur de la touche. Aviez-vous peur d’être enfermé dans ce rôle ?

Oui. C’était une volonté, quand Didier (Lacroix) m’a envoyé avec les espoirs (en 2018), de m’occuper d’autre chose. Quand Jeff (Dubois) m’a appelé pour le rejoindre à Montauban, l’objectif était aussi de m’aguerrir sur tous les aspects du jeu.

En 2019, vous quittez Toulouse pour aller en Pro D2…

Il manquait des cordes à mon arc. J’avais démarré ici sur un poste pas très défini, c’était une période disons charnière. En fin de saison, j’avais croisé Christian Gajan et dit : "Au moins, je sais ce qu’il ne faut pas faire." Il avait répondu : "Sais-tu ce qu’il faut faire ?" Je ne savais pas forcément. Pour un baptême du feu, ce fut compliqué pour ma gueule. Ugo (Mola) entraîne depuis qu’il est jeune, pas moi. Je devais me nourrir d’expériences.

Qu’a changé l’année à Montauban ?

Les deux années, en espoirs et à Montauban, m’ont fait évoluer. Là-bas, avec Jeff, on était en charge de l’équipe en général, avec les aspects contractuels, la relation avec les présidents, etc. Quand tu en es loin, tu ne comprends pas vraiment les mécanismes sous-jacents. Cela a donc été enrichissant avec les joueurs et sur ce qu’il ne faut pas faire avec les dirigeants.

Vous semblez méfiant sur cet aspect du rugby…

Il y a toujours cette vitrine que tout le monde aime regarder du rugby. Mais il est fait d’hommes, certains sains, d’autres tordus. Dans d’autres sports, c’est carte sur table : t’es tordu, tu entres dans un milieu, tu le sais. Dans le rugby, c’est plus dur à avaler car on te dit que c’est le meilleur des mondes. Il y a un peu d’hypocrisie. On se cache derrière cette bonhomie de la fête et de la valeur.

« Je savais qu'Ugo ne me rappelait pas pour me faire plaisir » (Jean Bouilhou)
« Je savais qu'Ugo ne me rappelait pas pour me faire plaisir » (Jean Bouilhou)

Avez-vous été surpris l’an passé de recevoir un coup de fil d’Ugo Mola ?

Je partais pour deux ans. Même si j’avais une clause pour revenir, j’étais conscient que c’est rare quand on quitte le Stade. J’étais surtout surpris que Régis (Sonnes) donne sa démission si vite, mais content qu’Ugo fasse appel à moi.

Avez-vous hésité ?

J’ai dû réfléchir deux minutes !

Vous aviez les cordes qui manquaient à votre arc ?

Je sentais que j’étais plus aguerri, que j’avais des choses à proposer. Je savais qu’Ugo ne me rappelait pas pour me faire plaisir car il a aussi un devoir de résultats. J’avais envie de participer à cette aventure. Avec cet effectif, c’était dur de refuser.

Vous avez un rôle plus transversal…

Oui, mais c’est le quotidien qui fait ton rôle. Il ne suffit pas de le clamer, il faut apporter de la valeur ajoutée. On est sur le grill toutes les semaines.

Votre équipe a franchi un cap cette saison sur les ballons portés qui, même lors du Brennus en 2019, n’était pas un point fort…

J’avais un deal avec les joueurs en début de saison. Je leur ai montré le pourcentage de réussite en touche. Tu peux avoir 90 %, si tu ne marques jamais après une phase ou deux, ça sert à quoi ? La touche, c’est une rampe pour avoir des ballons et marquer ! J’ai dit deux choses. D’abord bien donner le ballon au neuf. Cela paraît con mais ne l’est pas quand tu vois la défense rochelaise fermer et mettre beaucoup de pression sur le neuf. Ensuite, marquer sur ballon porté. C’était un bon de commande. On a encore une marge mais c’était vraiment important d’inscrire des essais ainsi.

Que voulez-vous dire ?

Il faut qu’on ait tous les aspects du jeu en mains. Quand on veut nous casser la gueule, on doit casser la gueule. Quand les mecs veulent nous jouer comme Clermont, on doit jouer plus qu’eux. L’idée, c’est ça. On veut être multicartes pour sortir la bonne à chaque fois. Si on nous en sort une, on contre. Je reviens sur la finale : on n’a pas tout réussi mais c’était primordial d’affronter les Rochelais devant. Il ne fallait pas se défiler.

Pour ne faire aucun complexe ?

Aucun ! On a des joueurs incroyables qui feront ensuite la différence. Quand Yannick Bru m’entraînait, on nous reprochait d’être champions sans marquer d’essai mais on avait l’arme des phases statiques. Aujourd’hui, on marque davantage. Mais, lors du quart à Clermont sous la pluie, heureusement qu’on avait les ballons portés en magasin.

Après la demie européenne perdue en septembre à Exeter, maître en la matière, vous avez aussi joué des pénalités proches des lignes à la main...

On avait tête depuis longtemps de faire la "Jolimont", une combinaison que Toulouse réalisait à l’époque. Jérôme Cazalbou était sur les cinq mètres, les autres joueurs se lançaient depuis les vingt-deux, puis il choisissait à qui donner. Ça marquait à tous les coups. La demie nous a fait dire qu’il fallait accélérer. Virgile a trouvé une petite animation. Avec les joueurs qu’on a, ça nous a fait marquer un paquet d’essais.

Clément Poitrenaud dit que votre staff est un bouillon de cultures...

Ce ne sont pas des réunions formelles. On est dans le même bureau, il faut bosser et écouter pour intervenir. C’est stimulant. Avec Ugo, ça tourne vite. Il est à l’initiative sur une question ouverte et il aime avoir des échanges, être nourri, créatif. On rebondit sur les propositions, on change, on rechange. Après, quand ça s’arrête ? (rires) ça dure cinq ou dix minutes. Quand il y a la bonne idée, on s’agenouille. Sinon, Ugo décide.

Comme pour les compositions ?

À 80 ou 90 %, ça fait consensus. Si Ugo n’est pas d’accord, il tranche mais il accepte l’opposition, nous pousse à faire des contre-argumentaires. On n’est pas tous en rang d’oignon derrière le chef, ça fait partie de sa richesse de manager.

Cette année, il y a eu des choix forts à effectuer…

C’est le plus dur. Quand ils sont évidents et factuels, c’est facilement explicable. On réfléchit de manière globale : qui démarre, qui finit, etc. Mais ça ne soulage pas le joueur s’il n’est pas dans le groupe. Sortir Selevasio (Tolofua) de la demie, qui fut titulaire et performant en huitième et quart, n’était pas simple. C’était stratégique. Pareil pour Manny Meafou qui n’a pas fait les phases finales européennes alors qu’il réalisait de grosses prestations en Top 14. On a aussi trois talonneurs de haut niveau (les frères Marchand et Mauvaka) pour deux places. Choisir, c’est notre responsabilité.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?