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« Professeur Dato » : Zirakashvili, l'homme qui a transformé la mêlée rochelaise

Par Romain ASSELIN
  • « Professeur Dato » : Zirakashvili, l'homme qui a transformé la mêlée rochelaise
    « Professeur Dato » : Zirakashvili, l'homme qui a transformé la mêlée rochelaise JF Sanchez / Icon Sport - JF Sanchez / Icon Sport
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Davit Zirakashvili, consultant mêlée de La Rochelle, est le principal bâtisseur d’un pack de plus en plus redoutable et redouté. Sur les bords de l’Atlantique, le professeur Dato fait l’unanimité alors que se profile une nouvelle demi-finale, cap que n’a jamais franchi le Stade rochelais en Top 14.

Mardi 18 mai 2021, 11 heures, Apivia Parc à La Rochelle, entraînement ouvert à la presse. À quatre jours de la finale de Champions Cup face au Stade toulousain, les avants rochelais répètent leurs gammes en mêlée fermée, sous le nez de la poignée de journalistes présents. Pour l’anecdote, le jour J, malgré l’amère défaite (22-17) dans le temple de Twickenham, ils donneront d’ailleurs une petite leçon, dans ce secteur de jeu, au pourtant redoutable huit de devant adverse. Comme à tant d’autres, cette saison. Même celui du Leinster, excusez du peu.

Un homme symbolise avant tout le redressement du pack maritime, loin, la saison dernière, de ses standards façonnés sous l’ère Collazo. Il est là, justement, ce jour-là. Comme tous les mardis ou presque, en qualité d’intervenant ponctuel. Davit Zirakashvili, dit Dato. 37 ans, 337 matchs sous le maillot de l’ASM Clermont Auvergne, sept finales de Top 14 disputées et deux Boucliers de Brennus au palmarès (2010, 2017). L’un de ses mastodontes du rugby envoyés précipitamment à la retraite par la pandémie de Covid-19, sans avoir la sortie qu’ils méritaient tant. Désormais, depuis le début de l’exercice en cours, c’est lui qui donne les consignes. Grégory Alldritt n’avait pas forcé le trait en insistant, quelques semaines plus tôt, sur le fait que "ça bosse très bien, très dur lors des séances de mêlée du mardi avec Dato". Atmosphère studieuse au possible, avant cette fameuse finale européenne. On pourrait entendre une mouche voler.

L’ancien international géorgien (53 sélections) en impose toujours autant, lui qui a tordu à peu près tous les piliers gauches de la planète ovale durant sa carrière de joueur. "Quand il parle, tout le monde l’écoute. C’est quand même Davit Zirakashvili !" en souriait récemment Pierre Bourgarit. Le talonneur gersois, forfait pour ces phases finales du Top 14 après une opération au genou, est conquis : "C’est vraiment quelque chose d’exceptionnel de l’avoir à nos côtés. J’ai 23 ans. Je le regardais à la télé quand j’avais 10 ans ! Quand Reda Wardi évoluait en Pro D2, il le badait, aussi. On est nombreux à l’avoir badé durant sa carrière donc c’est déjà une motivation supplémentaire quand on arrive sur les séances de mêlée. Bien sûr, tu es bien plus à l’écoute que si c’était une personne "lambda", sans manquer de respect à quiconque. Des gens sont passés avant lui, je ne dis pas que les joueurs ne les écoutaient pas, mais peut-être qu’ils avaient moins d’influence que lui en a aujourd’hui. C’est dû à sa prestance, son charisme, sa carrière. C’était un joueur respecté. Il est respecté aussi en tant qu’entraîneur."

Expert des détails

Pour le coup, Davit Zirakashvili n’a pas de diplôme. Pas encore, tout du moins. "C’est un consultant, souligne à juste titre Grégory Patat, coach des avants de l’équipe première du Stade rochelais depuis 2018. Ce n’est pas Dato qui fait l’équipe, donc on peut vraiment échanger librement. C’est une relation fusionnelle. Il est proche des joueurs. C’est vrai qu’il a cette légitimité car il a joué tous les joueurs présents. Il sait ce qu’il se passe sur la ligne de front, il est porté sur le détail et les joueurs sont sensibles à ces petits détails, aujourd’hui." Même les plus expérimentés d’entre eux. À l’instar de Uini Atonio et ses 229 matchs en jaune et noir depuis son arrivée en 2011. "Il nous apprend des trucs que l’on ne savait pas, des petits détails qui nous aident beaucoup. Techniquement, mentalement, sur tout… Forcément on progresse. Avant, j’avais tendance à lâcher plus tôt, prend pour exemple l’international français, indiscutable numéro 1 dans la hiérarchie des piliers droits rochelais. Je poussais, j’avançais, je lâchais, ce n’était pas mon truc, la mêlée. Je n’étais pas passionné. Quand je suis arrivé, je voyais d’ailleurs ça comme une tâche et j’en ai pris, des raclées. Aujourd’hui, il nous apprend à être plus patients, plus rigoureux sur ce qu’on fait. Surtout en dehors du terrain. En salle de muscu, par exemple. On n’avait pas vraiment un spécialiste de la mêlée depuis le départ de "Collaz’" (Patrice Collazo, N.D.L.R.). Dato a joué pendant trente ans à Clermont (rires), il sait tout ! Quand tu vois que tout le monde est investi à fond dans les séances de mêlée, c’est quelque chose d’assez rare. Moi le premier, des fois, je n’ai pas envie le mardi de faire des mêlées parce que ça fait mal aux jambes mais quand on voit la récompense… Dans les matchs, on est souvent à 100 % en mêlée." Au-delà de statistiques bien plus reluisantes que la saison passée, le pack maritime excelle dans l’art de gratter des pénalités. Et celui, aussi, de maintenir à flot le bateau maritime quand il tangue. Comme au Michelin, jardin préféré du Géorgien, lors de la 26e et dernière journée de la phase régulière du championnat, tout début juin. Si le Stade rochelais est parvenu à rester dans le coup pour arracher ce point de bonus défensif (25-20) la propulsant directement dans le dernier carré du Top 14, il le doit en partie au caractère de son huit de devant, lors des épreuves de force.

En parlant de son bastion de toujours, Davit Zirakashvili devrait le retrouver dès la prochaine intersaison. Annoncé avec insistance dans les bagages de Jono Gibbes, futur entraîneur principal du club auvergnat, l’ancien pilier a très vite convaincu dans ses nouvelles missions, conduites de main de maître en parallèle de ses diverses activités de chef d’entreprises. À l’automne dernier, juste avant le déplacement de l’ASM à Deflandre, Franck Azéma avait déjà salué le travail effectué par son ancien poulain. "On voit qu’il apporte de l’efficacité, sa patte, son efficience, soulignait notamment l’actuel manager des Jaunards. Bravo ! Je pense que La Rochelle ne s’est pas trompée avec lui. C’est un bon choix. Très heureux pour Dato, c’est une belle reconversion." Une reconversion impulsée par Gibbes, que le barbu pilier avait côtoyé l’espace de trois saisons à Clermont, entre 2014 et 2017, quand le Kiwi s’occupait des avants. Frappé par la "carrière irréprochable" du natif de Roustavi et la passion que ce dernier cultive au quotidien pour la mêlée, le patron du staff rochelais trouvait en Zirakashvili l’homme de la situation, au profil idoine, pour redonner de l’allant à son pack. " C’est naturel pour lui de transmettre, glissait-il, pas peu fier de son coup, à la sortie de la présaison. Pas juste pour les premières lignes, mais pour tous." Là se trouve d’ailleurs l’une des clés de la réussite de la greffe, à écouter l’ensemble des acteurs rochelais.

« Pas là pour flinguer les mecs »

"Avant, on poussait à trois, à cinq mais jamais vraiment à huit", décrypte Uini Atonio, corroboré par son plus proche voisin de l’effort en question, Pierre Bourgarit : "Davit est vraiment basé sur un travail collectif. Bien sûr qu’il y a un peu de travail technique et individuel mais je pense qu’il a fait prendre conscience à plein de mecs que, la mêlée, ce n’est pas seulement le trois ou le cinq de devant, que c’est vraiment un travail collectif à huit. Ça a beaucoup pesé dans la balance. Il faut que tout le monde soit investi à 100 % dans les mêlées. Il y a tout le temps deux groupes de huit qui se défient, c’est aussi comme ça qu’il a fait prendre la mesure à tous les joueurs. En ayant eu toute sa carrière un troisième ligne qui pousse à son cul, il fait comprendre aux mecs l’importance cruciale des troisième ligne." Parmi eux, Wiaan Liebenberg. "Dato joue un très grand rôle sur nos performances, abondait récemment le flanker, capitaine de l’équipe largement remaniée et rajeunie - mais tout sauf ridicule en mêlée fermée - convoquée pour le déplacement à Montpellier (32-22). On s’est dit en début d’année que l’on voulait une mêlée performante. On a vraiment insisté et beaucoup travaillé là-dessus. Même quand ça tourne, avec les remplaçants, ça tient toujours. On en est très fiers. Dato est très sérieux, il adore ce qu’il fait, c’est sa passion. Il dit toujours la vérité, en fait. Il ne cache jamais rien. On a besoin de quelqu’un comme ça, surtout pour les séances de mêlée. Ce n’est pas pour nous faire mal, c’est pour nous aider."

"Dato n’est pas là pour flinguer les mecs, rebondit le talonneur Bourgarit. Quand il vient ici, à La Rochelle, il se met sur le même piédestal que nous. Il se dit chanceux de pouvoir être avec nous et nous on est chanceux de pouvoir travailler avec lui. Il est là pour tous nous faire progresser et pas pour dire : "Lui, il joue. Lui, il ne jouera pas." Il s’en fiche, de ça." Même ressenti, chez Uini Atonio : "On a l’impression qu’il est vraiment strict mais pas du tout. Pour nous, il reste plus un joueur qu’un entraîneur. Il se met à notre place. Je pense que s’il s’énerve un jour, il va mettre ses crampons et faire des mêlées avec nous (rires)." À défaut de reprendre du service, le Géorgien distille ses vices. Et ça suffit à son bonheur, après une fin de carrière gâchée par le premier confinement et l’arrêt forcé du précédent exercice. "Franchement, ça me fait un p... de plaisir d’être encore autour de gars qui transpirent, qui poussent, clamait le principal intéressé dans les colonnes du journal La Montagne, en novembre dernier. Je suis dans l’action même si je ne joue plus et c’est quelque chose qui me manquait. À La Rochelle, avec ces petits gars, je me régale, même si c’est fatiguant de faire la route." À l’aube de la troisième demi-finale de Top 14 du club à la caravelle, sur les cinq dernières saisons, David Zirakashvili aborde sans doute ses derniers allers-retours de presque 1 000 bornes entre Clermont et La Rochelle. Le voir au Stade de France, le 25 juin, au sein d’un staff maritime sacré champion de France, couronnerait une pige déjà plus que réussie. En l’espace d’une saison, le professeur Dato a laissé une empreinte évidente, en étalant sa science.

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