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Et à la fin, c'est Toulouse qui gagne...

Par Marc DUZAN
  • Vendredi soir, au Stade de France, les Toulousains ont conquis un doublé historique.
    Vendredi soir, au Stade de France, les Toulousains ont conquis un doublé historique. Midi Olympique - Patrick Derewiany
Publié le Mis à jour
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Toulouse, c'est un pack de fer, un buteur sévèrement burné, « une certaine habitude de la gagne » et, surtout, une soif de titres inextinguible. Pour longtemps ?

Il était 23 heures, à Saint-Denis, lorsque rebondirent sur les parois du Stade de France les premières notes du tube des Stones. De loin, « I can't get no satisfaction »* avait le mérite de réchauffer l'atmosphère douchée par le déluge et, surtout, de coller si bien au destin de la bande à Mola, jamais repue de titres, déjà vainqueur de trois des cinq trophées majeurs mis en jeu sur le vieux continent, depuis 2018. Autour de la scène qu'avait bâtie à la hâte les gaziers de la Ligue, se jouait la dualité d'émotions que l'on retrouve naturellement en pareilles circonstances. D'un côté, Joe Tekori et Cyril Baille se déhanchaient sur du rock à papa, les frères Arnold faisaient péter une bouteille de champagne et le virage Sud chantait sa vieille ritournelle : « Tou-lou-sains ! Tou-lou-sains ! » De l'autre, Romain Sazy et Grégory Alldritt observaient le spectacle d'un œil éteint, le corps brisé de trop de luttes, bel et bien conscients de revivre en ce 25 juin ce qu'ils avaient vécu un mois plus tôt, à Twickenham. Très vite, on apprendrait d'ailleurs que les festivités prévues le dimanche à La Rochelle seraient pour partie annulées, l'information faisant résonner en nous le souvenir de Vern Cotter, rétif au défilé qu'avaient prévu pour lui les dirigeants de l'ASMCA au soir de la première défaite en finale de son équipe : « En Nouvelle-Zélande, disait le Kiwi, quand on perd, on se cache... »

Thomas Ramos : vous avez deux heures... 

Au Stade de France, les plus obscènes ne se gênaient pas pour dresser un parallèle hasardeux entre la saison rochelaise et les croisades maudites de Clermont dans les années 2000, trouvant dans l'inconsolable Ihaia West une sorte de Brock James contemporain : tout puissant tout au long de la saison, le Maori aux cheveux de feu fut comme absent des matchs importants, maladroit en finale de Champions Cup puis tout aussi malhabile vendredi soir, au Stade de France. C'est qu'on aurait tous besoin d'un Ramos, mortecouille !

A Saint-Denis, Thomas Ramos, auteur de quinze des dix-huit points de son équipe, fut le grand artisan de la victoire toulousaine.
A Saint-Denis, Thomas Ramos, auteur de quinze des dix-huit points de son équipe, fut le grand artisan de la victoire toulousaine. Midi Olympique - Patrick Derewiany

On aurait tous besoin d'un gonze de 80 kg se transformant en géant au gré des matchs qu'il dispute, jouant cette finale comme celle qu'il avait cadenassée deux ans plus tôt face à Clermont, nous abandonnant finalement à ces interrogations fondamentales : pourquoi un tel joueur n'a-t-il jamais été bon en équipe de France ? Est-ce le système de Fabien Galthié qui entrave aux entournures sa liberté ? Ou alors, tel le David Berty qui brillait en club et déjouait en Bleu, la « cocotte » lui fait-elle brutalement perdre toute confiance en lui ? Vous avez deux heures et, puisqu'il est à présent question de la psychologie du champion, on ne saurait passer sous silence la cinglante réponse de Cheslin Kolbe aux sinistres crétins l'ayant fait passer pour mort au fil d'une saison moins aboutie que les précédentes. Auteur d'un drop de cinquante mètres et d'une performance quasi parfaite au fond du terrain, le champion du monde a sans le vouloir relancé vendredi soir la guerre autour de son contrat, à propos duquel les « sugar daddies » du monde ovale n'ont pas fini de se déchirer, dans les mois à venir. Après la rencontre, l'entraîneur des trois-quarts toulousains Clément Poitrenaud avouait : « À l'échauffement, Cheslin m'a demandé de lui donner quelques ballons. Sur les cinq drops qu'il a alors tentés, il en a manqué quatre. Mais il avait réussi le dernier... »

Comment Toulouse a abattu le géant Skelton 

A ce match vilipendé comme « cadenassé », « peu spectaculaire » et globalement « dépourvu de suspens », on trouvera pourtant le charme désuet d'une finale, d'une vraie finale, de celles qui attire à elle quatre millions de téléspectateurs et dont l'issue se joue in fine sur le duel que se livrent les paquets d'avants s'y trouvant mêlés. A ce titre, convenez avec nous que les Toulousains, à bout de souffle et vivement secoués huit jours plus tôt par l'UBB, ont étouffé le pack qui avait réduit à néant celui du Racing. Ce fut âpre, sauvage, parfois violent aux abords des rucks. Mais ce fut surtout la preuve que cette équipe, dont on loua seulement le panache au fil de son premier titre en 2019, avait dès lors qu'elle le décidait les points forts des Saracens ou du Leinster, les épouvantails de ces dix dernières années.  « Le Stade toulousain était dix fois meilleur que nous, plaidait Ronan O'Gara en conférence de presse. La vérité, c’est que cette équipe tape plus fort que les autres. Cela nous a perturbés : Will (Skelton) a perdu le ballon deux ou trois fois et d'évidence, ça leur a donné de l'énergie. » En abattant le géant d'en-face sans couteaux ni revolvers, les Rouge et Noir ont mis les Rochelais hors service. Flinguer Skelton, hein ? Il fallait y penser. Mais il fallait surtout pouvoir le faire. Ugo Mola, le coach ayant soudainement ringardisé la célèbre maxime de Guy Novès (« le doublé est impossible »), analysait face aux journalistes : « Je crois qu'il transpire, dans ce club, une impalpable habitude de la gagne. Et ça pèse, dans les grands matchs. » Maxime Médard, que l'on enterrera un jour avec son trésor (cinq boucliers de Brennus et trois coupes d'Europe), ne disait pas autre chose, dans les entrailles du Stade de France : « La notion d’héritage est la grande force du Stade toulousain. Un joueur espoir qui entre en équipe une s’y intègre sans problème, parce qu’il connaît le plan de jeu. Nos systèmes sont tous les mêmes », de l'école de rugby au sommet de la pyramide.

Pour qui se lever, désormais ? 

Cette saison, Toulouse fut injouable, insatiable et Antoine Dupont, si fort au « SDF », peut à présent scander que le « Stade ne s'arrêtera pas là », il va de soi que les leviers psychologiques à disposition d'Ugo Mola ne sont plus légion. Pour qui, pour quoi se lève-t-on après avoir conquis l'Europe et arraché deux Boucliers ? La coupe du Monde des clubs, vous dîtes ? Elle n'aura lieu que dans trois ans et, en attendant celle-ci, les champions de France devront trouver d'autres ressorts que ceux que recycla Mola au fil de cette interminable saison : conscient que ses joueurs étaient à bout de souffle, le manager toulousain se servit à la fois des réserves émises à l'encontre de son groupe par les observateurs de tout poil et des louanges adressées par ces mêmes zouaves aux titans rochelais, pour resserrer les siens autour du credo suivant : « c'est vous et moi contre le monde entier, jeunes gens ! ». Excellent dans ce rôle, que jouèrent d'ailleurs tous les plus grands coachs à une époque de leur vie, Mola eut même du mal à s'en départir après la victoire, assénant dans un demi sourire à son public : « N'en déplaise à certains, nous aurons cette saison été les meilleurs ». Mais « n’en déplaise à qui », nom de Dieu ? À la reine d’Angleterre, au Grand empire de Chine ou à l’homme de Tautavel ? S’il y eut, vis-à-vis du Stade toulousain ayant pris en otage le Brennus de 1994 à 1999, une défiance, une lassitude ou une jalousie évidente de la part de tous les autres territoires de l’Hexagone, la bande à Mola a pour elle le mérite d’incarner l’armature d’un XV de France pour lequel le rugby français dans son entièreté a d’autres ambitions, en 2023. Alors, oublions tout esprit de complotisme.

* Je ne peux trouver aucune satisfaction

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