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Tolot, le pilier dont on parlait du nez

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    Tolot, le pilier dont on parlait du nez.
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Il est sans doute la "gueule" parmi les gueules. La trogne du rugby par excellence, c’est lui, Jean-Louis Tolot, pilier gauche d’Agen, le visage barré d’une moustache, fréquente à son époque, mais singularisé par un "nez", aussi célèbre que celui de Cyrano de Bergerac ou de Cléopâtre. Ce n’était pas un cap, ni une péninsule, mais un monument cabossé, à la gloire du rugby d’avants et d’avant.

"Je me le suis plusieurs fois cassé. La première fois, je crois que c’était à Dax, dans un regroupement. Je me le suis fait arranger, mais ça n’a pas duré longtemps. J’ai voulu me faire réopérer, avec Pascal Ondarts d’ailleurs. Mais pour moi, ça s’est avéré compliqué. Après ma première intervention, il aurait fallu me mettre une prothèse en plastique ou une greffe de hanche. Comme ça ne me gênait pas plus que ça, j’ai décidé que ce nez, je le garderai comme ça, tout le temps."

Ce signe distinctif est donc comme la médaille d’un vieux grognard, le souvenir des campagnes agitées avec son club unique. "J’y suis arrivé en minimes, j’y ai joué quatre ou cinq saisons avec mes deux frères, Bruno et Éric."

Une première ligne cent pour cent agricole

Jean-Louis Tolot était un pilier de mêlée, position passe, au sein d’une première ligne 1982 de poids plume, même pour l’époque. Une première ligne d’agriculteurs aussi, avec Jean-Louis Dupont et Daniel Dubroca : "Jean-Louis, pesait 75 kilos, Daniel n’était pas à cent, moi tout juste. Pour compenser, on a beaucoup travaillé nos positions et nos appuis." Cette première ligne avait une autre particularité, elle était composée à cent pour cent par des agriculteurs.

C’est à ce genre de détails qu’on mesure combien on a changé d’époque. Jean-Louis Tolot travaillait la terre à Montagnac-sur-Auvignon : "Je faisais de la culture de semence, des céréales, et nous avons des vaches. Mon fils a repris, mais je l’aide." En 2001, à 43 ans, il est devenu maire de la commune, il l’est toujours. "Nous avons voulu lui conserver son caractère rural. Mais la fonction est de plus en plus difficile, il faut que je m’occupe de tout, tout le monde veut voir le maire. Avec le Covid, je trouve que les gens sont devenus compliqués."

Administrer un village de 600 habitants relève du sacerdoce, du don de soi comme à l’époque où il portait le maillot. Jean-Louis Tolot aura été l’une des figures de la deuxième période dorée du SUA, en gros 76-92, les trois Boucliers, les deux Du-Manoir, neuf finales majeures ; des équipes à dix internationaux. Sa finale 1982 face à Bayonne fut à notre sens son chef d’œuvre, son zénith de rugby complet. Il vécut aussi deux demi-finales d’anthologie face à Perpignan à 1981 et Toulon en 1986, du Du-Manoir 1992, chant du cygne, du grand SUA. "Finir sur ça, c’était très fort. Le Du-Manoir avait de l’importance à l’époque." Il fut aussi couronné avec la Nationale B en 1991 avec Philippe Sella et Olivier Campan.

Son rugby s’entretenait dans sa ferme : "On chargeait les balles de foin à la force des bras. On manipulait des sacs d’engrais très lourds. Tout ça n’existe plus. Mais au niveau du rugby pur, ce qui faisait notre force, c’était notre préparateur physique, Bernard Deyres, Toutes les équipes n’en avaient pas. Nous étions en avance de ce côté-là, nous faisions souvent la différence dans le dernier quart d’heure. J’adorais le ballon, mais il y avait des matchs où je ne le touchais guère, voire pas du tout. Nous avions des gars qui jouaient bien du piano, moi j’étais là pour le porter. Quand je voyais derrière moi Philippe Sella, jouer, je me disais que je ne pouvais pas tout faire. Philippe Sella, c’était un peu notre bébé, on le protégeait."

Les Dubroca, Erbani, Gratton, Pujade, Bèguerie ont été ses compagnons de longue date. Chez les entraîneurs, c’est René Bénésis qui l’a le plus influencé. "Il y en a eu d’autres, bien sûr, mais ce fut lui le plus important. Il avait d’abord été mon coéquipier."

Jean-Louis Tolot était un vrai client, dur dans le duel et sans concession. Un après-midi d’hiver 1983, on l’avait vu avec stupeur s’expliquer avec la première ligne du Boucau : Gaye-Pascal-Yanci (les connaisseurs apprécieront). Un mélange de savate et de kung-fu, symptomatique de la liberté qui régnait alors sur les pelouses. "J’avais le sang chaud, il m’est arrivé de dégoupiller."

Il manque le dernier titre du SUA sur sanction

À se repasser le fil de sa carrière, on prend soudain conscience que le dernier Brennus d’Agen en 1988, il ne l’a pas vécu sur le terrain. "J’ai été victime d’une entorse du règlement. C’était à domicile, contre Pau." Il s’était asticoté avec Jean-Bernard Duplantier, talonneur solide de l’époque. "Je crois que j’avais pris huit mois de suspension."

Les témoins se souviennent de son désarroi d’accompagner la marche de ses amis vers le Brennus sans lui. Le rappel de cet événement nous fait remarquer combien certains clichés sont cruels, on disait qu’Agen, le club des pontes de la FFR, Albert Ferrasse et de Guy Basquet, était favorisé. Sur ce coup n’a pas sauté aux yeux. Deux ans plus tard Jean-Louis jouerait et perdrait sa dernière finale de championnat (sa cinquième) face à un talonneur du Racing (Jean-Pierre Genet) suspendu, mais gracié par Guy Basquet en personne.

Jean-Louis Tolot marqua aussi l’opinion par sa sélection tardive, pour la Coupe du monde 1987, il avait 30 ans, et n’avait séduit aucun sélectionneur jusqu’alors. "À cause des suspensions diverses, j’étais passé à côté. Fouroux m’avait dit que j’aurais pu avoir quinze capes, c’est vrai, j’ai parfois dégoupillé mais je ne regrette rien. J’ai joué avec tellement de grands joueurs dans mon club. "

Il se contenta d’une seule cape contre le Zimbabwe. Évidemment, sur le moment, le choix avait fait jaser, un Agenais, appelé, comme ça, en fin de carrière. Certains imaginaient le Toulonnais Manu Diaz ou le Montferrandais Philippe Marocco à sa place. Si Tolot est monté dans l’avion, c’était au nom d’une certaine fraternité d’armes, forgée au gré des affrontements dominicaux.

"Ce sont les autres piliers, Pascal Ondarts, Jean-Pierre Garuet, Louis Armary qui m’ont sélectionné. Il en fallait un quatrième, ils ont pensé à moi. Avec Ondarts et Garuet, j’entretenais une vraie rivalité sur les terrains. Certains venaient au stade pour voir nos affrontements, c’était chaud."

Pour ce XV de France cornaqué par Fouroux, la notion de "groupe" et la cooptation n’étaient pas des vains mots. Les codes et les références étaient plus affectifs, plus subjectifs sans doute. Les surnoms étaient les reflets d’une vie rurale séculaire. On surnommait Jean-Louis Tolot, "La matole". Du nom d’un piège destiné aux oiseaux, spécialité des campagnes aquitaines et passe-temps d’une jeunesse qui n’était pas obsédée par les smartphones. "C’est René Bénésis qui m’a donné ce surnom, parce qu’en allant à Brive, dans le bus, j’ai prononcé ce mot en parlant avec mon frère. C’est resté." Son rugby à lui a presque disparu : "Il est plus organisé désormais, mais je trouve que les jeunes Français ne peuvent plus s’exprimer." C’est sûr, le SUA des années 70 n’aurait jamais eu l’idée d’aller chercher un pilier gauche dans l’hémisphère Sud, dans un département limitrophe à la limite.

Aujourd’hui, les héritiers de Jean-Louis Tolot remueraient ciel et terre pour se faire remodeler le nez pour avoir un profil de médaille. Les priorités ont changé. Mais son sacrifice n’a pas été vain : si son appendice avait été plus droit, la face du SUALG n’en aurait peut-être pas été changée, mais nos souvenirs en auraient été moins puissants et plus aseptisés.

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