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Nicolas Tachat : « J’y repense tous les jours »

Par Jean-Christophe LECLAIRE.
  • Nicolas Tachat, aujourd’hui troisième ligne du Stade niçois, se confie pour la première fois en trois ans sur ce plaquage qui a changé sa vie. Nicolas Tachat, aujourd’hui troisième ligne du Stade niçois, se confie pour la première fois en trois ans sur ce plaquage qui a changé sa vie.
    Nicolas Tachat, aujourd’hui troisième ligne du Stade niçois, se confie pour la première fois en trois ans sur ce plaquage qui a changé sa vie.
Publié le Mis à jour
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Incontournable au Stade niçois, le parcours du troisième ligne a été loin d’être linéaire. Le drame survenu lors de la mort de Louis Fajfrowski en aout 2018 sur le terrain Jean-Alric à Aurillac a forgé en lui un caractère hors norme.

Large débardeur échancré sur les épaules, casquette à l’envers et fine moustache à la Clark Gable, Nicolas Tachat a l’allure d’un homme tranquille et affable. Sur la vidéo YouTube qu’il enregistre pendant le confinement en avril 2020, il se laisse aller à quelques confidences et insiste sur le recul, et analyse les conséquences de la pandémie sur son activité quotidienne de rugbyman. "Nous ne sommes pas les plus à plaindre, confesse-t-il, entre deux aboiements de son chien "Prince". Je relativise, il y a tellement pire que mon cas personnel. Il n’y a pas mort d’homme." Le troisième ligne niçois sait de quoi il parle. La mort, il l’a côtoyée et de près.

Retour au début du mois d’août 2018, sa nouvelle équipe, Rodez, affronte en match de préparation le club d’Aurillac. 50e minute : lancer en touche pour Rodez, sur les 22 mètres aurillacois. Le ballon, cafouillé, retombe chez les locaux. Relance immédiate. Une passe, puis une deuxième vers Louis Fajfrowski qui s’empare du ballon. Et, presque immédiatement, il prend un énorme tampon au niveau de la zone poitrine-sternum. Suite au choc destructeur, une clameur résonne et s’élève de la tribune. Les copains, les copines, les familles sont là. Sur l’action, les Ruthénois récupèrent le ballon abandonné au contact et filent à l’essai, en contre. Bien que régulier, les conséquences du plaquage sont dramatiques, Louis Fajfrowski succombe à un traumatisme thoracique. Le jeune centre de 21 ans perd connaissance une vingtaine de minutes plus tard et ne pourra être ranimé. Nicolas Tachat est l’auteur du plaquage et se souvient de tout, trois ans après les faits : "J’y pense tous les jours, le matin, lorsque je m’entraîne, quand je joue, ça ne me quitte pas, ça repassera en boucle toute ma vie."

"Lorsque j’apprends la nouvelle, je sors du vestiaire, raconte Nicolas, mes coéquipiers tentent de me réconforter, il y a du bruit autour de moi mais je n’entends rien. Je suis seul au milieu des gens et je n’ai qu’une idée en tête : rentrer chez moi. Si le club ne me soutient pas à ce moment-là, je me jette d’un pont." Arnaud Vercruysse, le coach de Rodez, et son joueur sont convoqués au commissariat pour une longue déposition. Le procureur mène une enquête qui aboutira en novembre 2018 à la conclusion d’une mort accidentelle. Le parquet précise que rien "a démontré qu’il y avait une quelconque faute imputable à qui que ce soit". Un dénouement qui n’ôte pas pour autant la culpabilité du jeune joueur ruthénois qui refuse toute aide ou tout accompagnement psychologique. "Je n’en ai parlé à personne, seulement à mes parents et à ma famille proche. Je le cache, c’est à moi, ce sont des sentiments trop personnels. C’est mon jardin. Pour moi, à ce moment j’étais le coupable." Les parents de Louis Fajfrowski tentent de prendre contact pour le soutenir dans une attitude d’une dignité absolue, ce sera en vain : "Je pense aujourd’hui qu’ils avaient assez de tristesse en eux pour que moi, je leur en rajoute encore un peu plus."

Nicolas Tachat, aujourd’hui troisième ligne du Stade niçois, se confie pour la première fois en trois ans sur ce plaquage qui a changé sa vie.
Nicolas Tachat, aujourd’hui troisième ligne du Stade niçois, se confie pour la première fois en trois ans sur ce plaquage qui a changé sa vie.

Un parcours mouvementé

Philosophe, le troisième ligne du Stade niçois ne l’est pas devenu par mimétisme mais plutôt par nécessité. Ses origines, son parcours, l’ont poussé à le devenir comme un bouclier, une protection face à des événements de la vie souvent plus destructeurs qu’un mauvais déblayage ou un plaquage cathédrale.

Arrivé à Nice, durant l’été 2019 au côté de son ami de toujours Razvan Ilisescu, ses nouveaux coéquipiers l’accostent : "C’est toi le Roumain ?" Nicolas Tachat ne vient ni de Bucarest, ni de Cluj-Napoca, mais du quartier de Sainte-Ève, dans la proche banlieue de Dreux. Difficile de placer la sous-préfecture d’Eure-et-Loir sur une carte qui a pour seule heure de "gloire" d’avoir élue la première une maire frontiste au milieu des années 80. "Je viens d’un milieu ouvrier. Mon père a travaillé à Norgine Pharma, ma mère aux Ateliers 28, elle a été licenciée après 28 ans de présence suite à un plan social. Elle est au chômage depuis deux ans. Ma famille est une victime de la crise. De ce fait, mon père m’a toujours dit de faire ce que je voulais : boulanger, sportif ou n’importe quoi d’autre, il fallait que je le fasse à fond. "Trouve ta voie et fonce !" me répétait-il." Le "petit" Nicolas commence par le judo. Mais ça se passe mal. Au collège, c’est encore pire. Il sombre dans la petite délinquance de quartier.

Le salut arrive par l’intermédiaire de son cousin qui pratique l’ovale à l’université d’Orléans et qui, peu à peu, canalise son agressivité en s’entraînant à ses côtés. "Tout de suite, le rugby m’a piqué. J’ai décidé au fond de moi-même : je veux gagner ma vie en jouant !" Sa vocation est tracée. Suivent quelques années d’apprentissage au sein du club de Dreux qui oscille entre Honneur et Fédérale 3 puis une longue vie d’errance entre déracinement et différents pôles espoirs qui n’en ont que le nom.

Après Dreux, "j’ai filé à Orléans avec mes amis de Dreux. Puis, je suis parti à Massy pour une autre aventure sans lendemain." Sans jouer. S’ensuit le sud, Bourg-en-Bresse où le club joue la montée en Pro D2, un boulevard lui est promis mais son passé de jeune turbulent le rattrape : "à l’époque j’ai 21 ans, mais dans ma tête j’en ai quinze. Mes anciens démons me reprennent et je dois partir à cause de nombreux démêlés avec la justice." Le tour de France de l’instabilité continue : Carcassonne, où l’entraîneur le positionne au centre, ce qu’il vit mal. En plus de son hygiène de vie très éloignée des standards du rugbyman professionnel, Nicolas Tachat se retrouve aussi confronté au regard de ses entraîneurs qui le trouvent trop petit pour jouer en troisième ligne, trop grand pour jouer au centre ou au talonnage. Pour ce joueur d’un mètre 84 et 105 kilos, il faut toujours s’user à convaincre, à prouver trois fois plus. "Très vite, j’ai compris qu’il fallait, pour être meilleur que les autres, bosser sans arrêt et me construire un métal à toute épreuve. J’ai dû travailler dans l’ombre pour prouver que ma place était dans le pack avec le numéro 7." Ses preuves, Nicolas les fera à Graulhet, où lors de sa dernière saison, son entraîneur le fige en troisième ligne.

Arnaud Vercruysse, une rencontre particulière

Son destin bascule lors de la dernière journée du championnat de Fédérale 1, au moment où Graulhet joue sa survie et affronte Rodez, le leader. Arnaud Vercruysse alors entraîneur du club de l’Aveyron se souvient : "Notre première rencontre est due à un concours de circonstances, Graulhet s’impose chez nous et je remarque parmi le pack adverse un joueur omniprésent, athlétique avec une activité incessante. En plus, Laurent Pakihivatau, son entraîneur à Bourg, m’avait interpellé en me disant que c’était un joueur qui allait me plaire." La rencontre avec Arnaud Vercruysse va être déterminante, vitale. Nicolas signe dans la foulée à Rodez. De cet événement dramatique, de ce "cataclysme" comme le souligne Nicolas, est née une amitié rare avec Arnaud Vercruysse. Ce lien indéfectible construit dans une double peine fatalement inconsolable.

"Ce que l’on a vécu, c’est une sorte d’accélérateur de notre relation humaine. Certaines étapes ont été très très particulières, au-delà de l’aspect dramatique. Nous nous sommes livrés mutuellement, nous avons eu de longs moments d’échange. C’est presque déplacé ce que je vais dire dans ce contexte, mais Nicolas fait partie d’une des plus merveilleuses rencontres humaines et rugbystiques que j’ai pu construire dans ma vie. Il est d’une loyauté, d’une fidélité rare et d’une extrême sensibilité. D’ailleurs, il doit songer à se protéger le plus possible. Se créer une carapace", confesse Arnaud Vercruysse entre deux longs silences. Aujourd’hui, Nicolas Tachat a poursuivi son parcours loin de l’Aveyron. Joueur le plus régulier du Stade niçois, il fait le bonheur de ses dirigeants et de son entraîneur David Bolgashvili. Nommé vice-capitaine cette année, plus personne n’oserait lui contester ni sa taille ni son poids, lui confier un autre maillot que le numéro 7.

Plus question d’accepter les "Tuez-le !" des supporters accoudés à la rambarde. À 28 ans (il les fête ce vendredi), trois ans après le fait divers qui a marqué sa vie à jamais, Nicolas Tachat "n’a plus honte d’en parler". Il souhaite aujourd’hui tout simplement pouvoir se livrer librement en brisant les tabous qui rôdaient autour de lui. "Au fond de moi, je n’ai pas changé. J’ai juste appris à vivre avec. Je reste toujours le même en m’impliquant davantage, en mettant toujours autant d’intensité dans ce que je fais. Le jour où ce ne sera plus le cas, je saurai qu’à ce moment-là : il faudra que j’arrête." Arnaud Vercruysse l’espère heureux à Nice et conclut : "Au final, il a besoin de l’épreuve de force, de se confronter à elle pour ne pas la subir."

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