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Les esthètes (1/4) : Jo Maso, le talent comme un fardeau

  • Jo Maso sous le maillot d’une sélection mondiale qui affrontait l’Angleterre en 1971 pour le centenaire de la RFU.
    Jo Maso sous le maillot d’une sélection mondiale qui affrontait l’Angleterre en 1971 pour le centenaire de la RFU. PA Images / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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lls ont marqué leur époque par leur allure, le buste droit, le port altier, les gestes plein de grâce. Ils étaient tellement doués qu’ils étaient parfois incompris, moqués et mis à l’écart. Le rugby français a produit quelques esthètes qui, qu’on le veuille ou non, ont été ses étendards. Cette semaine, Jo Maso, le trois-quart centre aux boucles blondes dont les caciques de la FFR n’aimaient pas louer le talent. Il a tout de même « arraché » 25 sélections entre 1966 et 1973, sans jamais tomber dans l’aigreur.

Le plus beau de tous les travaux d’Hercule est peut-être de triompher des clichés malveillants. Il existe, dans le monde du rugby, une éternelle ritournelle, un discours faisandé qu’on se passe de table en table dans les cafés du commerce : les méchantes attaques en piqué sur les talents supérieurs. Dans ce domaine, Jo Maso pourrait écrire une somme. Le trois-quarts centre aux boucles blondes fut abonné, toute sa carrière, aux procès les plus faisandés, aux attaques le plus vicieuses. Son talent était tellement manifeste, son allure tellement avantageuse qu’elle ne pouvait qu’attiser les jalousies à défaut des critiques argumentées. « Cette image d’esthète, j’ai vécu avec. M’a-t-elle fait plus de mal que de bien ? Je ne sais pas. Mais je ne suis pas le seul, regardez André Boniface, Denis Charvet, Patrick Nadal, c’était aussi des joueurs qui avaient de l’allure, ils sont nés comme ça. On ne peut pas aller contre… »

Le poète maudit a reçu tellement de giclées de venin qu’on s’étonnerait presque de son total de 25 sélections (mais seulement 10 dans le Tournoi), la dernière à 28 ans, en novembre 1973. « J’ai été un joueur heureux : j’ai fait trois tournées, j’ai joué dans trois clubs magnifiques (Perpignan, Toulon et Narbonne) ; j’ai eu le même entraîneur, Jean Carrère, à qui je dois beaucoup dans ces trois clubs, une rareté. J’ai aussi fait partie d’une sélection mondiale en 1971 (voir les photos ci-dessus), j’ai joué avec les Barbarians anglais. Je ne vais pas me plaindre. Mais je suis fier d’une chose : quand je suis devenu manager du XV de France bien plus tard et président du comité de sélection, j’ai fait en sorte que ce délit de belle gueule ou de sale gueule n’existe plus. »

Il cassait le mythe de la virilité

Que reprochait-on à Jo Maso ? Jean-Pierre Oyarsabal, ancien journaliste de La Dépêche du Midi a vu jouer deux cents fois le centre avec Narbonne. C’est lui qui résume le mieux la situation : « Il y avait, à l’époque, un mythe de la virilité dans le rugby, très différent de ce qui existe aujourd’hui. Et ce mythe, Jo Maso le cassait un peu, avec ses cheveux longs, sa facilité. Il fallait que le rugby sente la sueur. On peut discuter pour savoir si c‘était le meilleur mais c’était assurément le plus beau à voir. » Quand on entend ça, on se dit que dans ce rugby qui cultivait le labeur, Maso ressemblait sans doute au Tadzio de « Mort à Venise », le film de Visconti. L’effet produit était sans doute démultiplié par une télévision, de plus en plus incontournable.

Jo Maso a donc vécu une carrière internationale en sauts de puce, sur sept ans (1966-1973), faites de rappels et de « bannissement ». Elle fut mise en perspective à travers l’hostilité qu’il subissait de la part d’un homme, Guy Basquet, vice-président de la FFR et patron du comité de sélection, l’alter ego d’Albert Ferrasse en plus rugueux. « Oui, cette opposition était réelle mais en fait, Guy Basquet avait d’abord une dent contre André Boniface. Je ne sais pas d’où elle venait d’ailleurs. Et André était mon modèle. Je l’avais affronté avec Toulon dès 1963 et je voulais jouer comme lui, rechercher les intervalles et faire des passes croisées. André était aussi le modèle de Patrick Nadal, un autre Montois qui lui n’a jamais eu une seule sélection. » Pauvre Jo Maso, il payait non seulement pour ses propres défauts fantasmés mais aussi pour ceux de son glorieux aîné. Trop pour un seul homme.

Des inepties en rafale

« Il me reprochait d’avoir les cheveux longs, concède Maso.Excédé, je lui avais répondu que lui portait ses pantalons de smoking trop court. J’avais quand même ma personnalité. J’avais 25 ans mais je marchais droit, je me tenais aux conventions de l’équipe. Je me sentais exemplaire. Mais j’avais un style, je n’allais pas en changer. » Basquet n’était pas un fan des Sixties. Lui qui avait eu 20 ans pendant la guerre avait un penchant naturel pour l’ordre établi et un goût de sa propre autorité. Jo Maso personnifiait la libéralisation de la décennie, il avait même poussé la chansonnette dans une émission de variétés de Michel Drucker (en compagnie de Jean-Louis Bérot). Le Narbonnais amenait donc une touche de « culture pop » en sélection, le Swinging London, Carnaby Street transplanté dans l’Aude : « J’avais un magasin de prêt-à-porter. Je portais les vêtements que je vendais. On m’a tout reproché. On disait que je ne pensais qu’aux filles, des trucs aberrants. J’entendais aussi parler d’un manque de courage physique. Je n’avais pas peur de défendre, je venais du XIII où le plaquage était la base. »

Que n’a-t-on pas dit et pas brodé à partir de cette fracture ? Tout un récit s’est forgé sur l’opposition Basquet-Maso. Jusqu’à faire courir les bruits les plus extravagants. Que Jo Maso avait séduit la propre fille de son tourmenteur, par exemple : « Je ne la connaissais même pas… Comment a-t-on pu dire des âneries pareilles ? » Mais on confirme : on a trouvé, en vingt ans, cinq ou six gars qui nous ont juré du comme fer que l’histoire était vraie. Face à lui, la bêtise trouvait souvent son terreau fertile, presque un bouillon de culture. Deux anciens de Midi Olympique, Georges Pastre et Pierre Verdet avaient rapporté, dans un ouvrage, la confidence d’un troisième ligne anonyme des années 70 : « Mon entraîneur m’avait remonté en me disant : « Tu vas cartonner Maso. Il est mort de peur, c’est pas un homme. » Jo m’a fait les pires misères, il m’a ridiculisé et à la fin, il est venu me taper sur l’épaule en me faisant un clin d’œil amical. Jamais, je ne me suis senti aussi idiot. » On imaginait que sur les terrains, les quolibets allaient bon train pour faire disjoncter ce blondinet. À notre grande surprise, Jo Maso dément : « Non, je n’ai quasiment pas été insulté. Juste une fois, à Lannemezan, un gars m’a dit : « Toi, tu joues en équipe de France parce que Basquet t’a b… » Que faire contre la bêtise humaine ? Je n’ai rien dit, j’ai répondu sur le terrain. »

Mais il le promet, il n’a jamais cédé à l’aigreur : « Je ne me suis jamais complu dans la peau du mal-aimé. Tout ça me motivait pour être encore meilleur avec mon club, en travaillant avec François Sangalli notamment. Je savais, de toute façon, que je devais prouver plus que les autres. Et puis, il y avait une sacrée concurrence à mon poste : les Dourthe, Lux, Trillo, Arnaudet, Bertranne. » C’était l’âge d’or des centres français, les seigneurs du jeu. On adorait les opposer les uns aux autres. Maso avait, paraît-il, trouvé son antithèse, le Dacquois Claude Dourthe, batailleur en diable. « On essayait de monter une dualité entre nous et au final, c’est avec lui que j’ai joué le plus souvent. Nous avions de bons rapports mais on ne parlait pas de toutes ces polémiques entre nous, c’était délicat. Nous étions si jeunes. On se disait juste qu’il ne fallait pas lire tout ce qui s’écrivait à ce sujet. »

Soutien massif des plumitifs

Jo Maso affirme qu’il n’a jamais accusé le coup moralement parce que ses principaux soutiens jouaient de la plume à Paris et à Toulouse : « Les journalistes m’ont toujours défendu. » À une époque où le discours anti-presse fait florès, ses propos sonnent comme un plaidoyer pour la liberté et la beauté de la presse. Il se souvient de ceux qui ont défendu sa cause à coups de formules lyriques ciselées : « Denis Lalanne et Chistian Montaignac à l’Équipe, Henri Gatineau, Raymond Sautet et Georges Pastres à Midi Olympique. » Les plumitifs ont donc participé à l’édification de cette aura, si ambiguë finalement. Soyons honnêtes, elle a aussi peut-être contribué à braquer Guy Basquet contre lui, via la mécanique infernale des ego vexés. « Il ne me disait rien en face. Je découvrais ce qu’il pensait qu’à travers les journaux. Il disait souvent : « Mais pourquoi me parlez-vous sans arrêt de Maso, plus que de Bertranne, de Lux ou de Dourthe. » (voir l’encadré ci-dessous).

Jo Maso n’a pas gagné grand-chose dans sa carrière, un bout de grand chelem en 1968, un Du-Manoir en 1974, avec une passe croisée mémorable pour Gérard Viard, un match d’anthologie en 1972 face à l’Angleterre. Mais combien de conversations a-t-il animées sans le savoir ? Il a alimenté, à son corps défendant, la grande saga du rugby français. Et son goût des polémiques. Jo Maso a tout supporté avec cette magnanimité de bonze thaï, sa patience sous les épreuves infligées, comme une contrepartie offerte aux fées qui lui avaient accordé tant de privilèges. Il a souvent employé ce mot d’ailleurs : « Je suis privilégié. » Notre collaborateur Christian Montaignac l’avait narré dans un ouvrage magnifique, « De la Belle aube au triste soir », décrivant un appel de Basquet à Maso en 1981 : « Jo Maso allume son doux sourire sur un instant de rêverie. » C’était une demande de réconciliation de la part d’un dirigeant à l’aube de la soixantaine qui disait voir la vie différemment : « Finalement, je ne leur en veux pas », avouait le principal interessé. Et Montaignac de saisir le cœur du personnage : « C’est peut-être le comble de la générosité que de laisser à ceux qui vous ont rejeté comme le goût persistant du regret. »

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