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Berty : « Je n'ai plus honte de ma maladie »

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Publié le Mis à jour
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Ancien ailier du Stade toulousain et du XV de France (6 sélections) évoquant sa maladie, la Sclérose en plaques, avec sincérité, le quintuple champion de France retrace le fil d’un destin hors du commun. Une leçon de vie.

Comment allez-vous, pour commencer ?

Toujours à Toulouse, je me maintiens en forme en pratiquant le rugby à XIII en fauteuil. Je suis aussi très heureux de la saison effectuée par le Stade toulousain. La jeune génération a réussi la même chose que nous, un doublé. Chose rare.

En tant qu’ancien joueur de ce club, comment jugez-vous le renouveau du Stade toulousain, symbolisé par la prise de fonction du trio Lacroix-Cazalbou-Mola, trois personnes que vous connaissez bien ?

Cela m’a fait super plaisir pour eux, ce qui est arrivé au club. Cela fait quelque temps que l’équipe redonne du plaisir à ses supporters. Le jeu pratiqué est plaisant à voir et je m’y retrouve parfaitement. Et voir trois copains réussir, être récompensés de leurs efforts et leur travail, c’est chouette. Je suis impressionné par le boulot effectué par Didier Lacroix. Il a fait un travail en profondeur, notamment sur la journée du match. Avant la crise du Covid, j’ai eu la chance de pouvoir me rendre au stade : le match n’est presque plus qu’un prétexte. On passe du temps et un bon moment au stade. Quand, en plus, durant 80 minutes, vous vous régalez… Vous avez envie de rester après, de prolonger le plaisir ! C’est tout bénéfique pour le club.

Qu’est-ce qu’il vous reste de votre carrière rugbystique ?

Des maillots, au grand désespoir de mon épouse car ils prennent trop de place. Aussi des trophées, à savoir les Boucliers de Brennus et une réplique de la première Coupe d’Europe. D’ailleurs, elle est aussi solide que le trophée originel ! Je la préserve car si on la touche à peine, elle risque de se casser.

Comme le véritable trophée ?

Qui pour la petite histoire s’est cassé à peine arrivé dans le vestiaire de l’Arms Park !

C’est tout ?

J’ai aussi ma cape de Barbarians, et celle d’international. Je conserve précieusement ces reliques, dans mon bureau. Je les regarde de temps en temps.

Votre élan fut stoppé par votre maladie, la sclérose en plaques. Comment s’est-elle déclarée ?

Les premiers symptômes se sont manifestés en 1997, quand je jouais au Stade toulousain, mais on ne l’a décelée qu’en 2002.

Comment cela est-il possible ?

Dès qu’on augmentait la cadence des entraînements, j’étais très fatigué. J’ai longtemps pensé que c’était de ma faute, que je n’étais pas fait pour le monde professionnel. Je me disais que j’étais un gros fainéant. Ma force, c’était la vitesse et sur la fin de ma carrière, avant qu’on me diagnostique la maladie, je me suis posé pas mal de questions. Je n’avançais plus. Des joueurs, à qui je mettais normalement 20 ou 30 mètres, me rattrapaient. Je n’avais plus de vivacité sur les crochets.

Est-ce ce qui vous a alerté ?

Le premier symptôme concret a été comme une névrite optique, j’avais des troubles de la vue. En mars 1997, je passe une IRM et on décèle des taches blanches. On a pensé que j’avais un souci au nerf optique. On m’a soigné pour cela, et c’était reparti. J’ai pu disputer la fin de saison avec le Stade, on a d’ailleurs remporté le titre face à Bourgoin (1997, N.D.L.R.). J’ai joué la finale, sans souci. Et puis, pendant l’été, j’ai décidé de me préparer seul pour anticiper la reprise. Les sensations étaient encore bizarres. À chaque footing, j’avais l’impression d’avoir fait un marathon. Je faisais des fractionnés, j’avais la sensation d’avoir les jambes lourdes. Parfois, je trébuchais car je croyais que j’avais la jambe devant et que je pouvais prendre appui, alors que pas du tout ! En reprenant l’entraînement, je me suis retrouvé dernier des tests physiques. Les premiers matchs de la saison, je n’ai pas été bon. On m’a mis au placard, je me suis retrouvé à jouer avec les espoirs.

N’étiez-vous pas inquiet ?

Non, plutôt interrogatif. Je commençais à être convaincu que le rugby professionnel n’était pas fait pour moi. Ma saison 97-98 ne fut pas bonne, je crois que je n’ai même pas joué un match de Coupe d’Europe. Des bruits de couloir me venaient aux oreilles, sur le fait que Toulouse ne comptait plus sur moi, que le club ne voulait pas me conserver malgré mes deux ans de contrat. J’ai essayé de me relancer en partant à Brive, une équipe ambitieuse. J’ai signé pour une seule saison, persuadé que je pourrais ensuite revenir à Toulouse. Cela ne s’est pas bien passé. J’ai enchaîné les pépins physiques et les blessures.

Et donc ?

Au mois de juin suivant, Montauban m’a appelé. J’étais semi-professionnel, donc je pouvais reprendre mon emploi dans une banque. Au premier entraînement avec l’USM, les ligaments du genou ont lâché sur un crochet. Le staff médical du club m’a dit qu’il n’y avait pas besoin d’opération, que la musculation et la rééducation suffiraient. À ma reprise, j’avais mal au genou, j’enchaînais les déchirures et je ne jouais pas une minute. J’ai décidé d’arrêter le rugby, le moral atteint, persuadé que mon corps ne supportait pas ces charges intensives d’entraînement. Un ami m’a appelé pour me demander de venir donner un coup de main à Blagnac. J’y suis allé mais les sensations n’étaient toujours pas bonnes. J’ai décidé de me faire opérer du genou, persuadé que mes maux venaient de là. Mais après un an de convalescence, toujours pareil. Les jambes lourdes, pas de vitesse, l’impression d’être fatigué très rapidement.

Et toujours pas d’inquiétude ?

Non car dans ma vie de tous les jours, je n’avais aucun souci. Je le répète, je croyais que c’était dans ma nutrition, ma préparation ou mes entraînements que se trouvait le mal. Le rugby entrait dans l’ère professionnelle, les séances s’étaient rallongées. La musculation avait débarqué et pour moi, tout était de ma faute.

Comment la sclérose en plaques a-t-elle finalement été diagnostiquée ?

Quand j’ai décidé d’arrêter définitivement ma carrière sportive, mon épouse m’a dit de prendre rendez-vous chez un généraliste extérieur au rugby, quelqu’un qui n’était pas du milieu. J’ai pris rendez-vous avec le premier venu dans l’annuaire. Il m’a conseillé de consulter un neurologue. Nouveau rendez-vous. Après m’avoir écouté, ce dernier m’a prescrit une ponction lombaire. Nouvel examen. Et juste avant mon rendez-vous pour les résultats de la ponction, je suis tombé sur un article de La Dépêche du Midi qui détaillait les symptômes de la sclérose en plaques. Immédiatement, je me suis dit que j’en avais quatre sur cinq.

Et alors ?

Lorsque j’ai revu la neurologue avec mon épouse, le verdict est tombé : sclérose en plaques. Paradoxalement, sur le coup, j’étais content. J’avais enfin une explication à mon déclin physique au rugby. Ce n’était pas de ma faute. Je n’avais pas triché. Après, très vite, je suis tombé dans un puits sans fond.

C’est-à-dire ?


L’image de terminer dans un fauteuil roulant, c’était dur à accepter. Je pensais devenir dépendant des autres, perdre mon boulot et ne plus servir à rien. Je suis tombé en dépression.

Carrément ?
 

Durant quatre ans, une longue descente aux enfers. Je me suis coupé de tout le monde, je me laissais aller. J’avais des idées morbides, j’avais honte de ce qui m’arrivait. Dans ces cas-là, c’est un cercle vicieux. Cela rejaillit sur votre activité professionnelle, puis après ce sont les ennuis financiers. Une spirale négative sans fin.

Comment vous en êtes-vous sorti ?
 

Cela s’est passé en deux fois. La première : un jour, alors que je changeais la couche de ma deuxième fille, je me suis dit que je voulais encore être en vie pour le mariage de mes filles. Je me suis dit : « Stop, il faut que tu te reprennes en main. »

Et la seconde fois ?
 

Une rencontre avec un journaliste de L’Équipe, Henri Bru. Quand je lui ai parlé de ma maladie et de mon mal-être, il a évoqué sa situation personnelle. Il commençait tout juste à se remettre de la perte de son épouse, disparue dans le tsunami qui a touché l’Asie du Sud-Est en 2004. Il m’a dit une phrase qui a tout déclenché chez moi : « Je prends la vie comme un long parcours à vélo, avec des cols plus ou moins durs à franchir. Pour accomplir ce parcours, il faut pédaler. Si tu t’arrêtes, tu tombes. » Je ne sais pas pourquoi, ce discours m’a marqué. J’en ai encore des frissons quand j’en parle. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à remonter la pente. Je me suis dit : « Tu dois avancer, pédaler. » À chaque fois que j’ai un coup de mou, je repense à cette phrase.

 

David Berty évoque sa maladie, la sclérose en plaques avec sincérité.
David Berty évoque sa maladie, la sclérose en plaques avec sincérité. Stade Toulousain Handisport - Stade Toulousain Handisport


Aujourd’hui, vous pratiquez même la course à pied…
 

Le running est venu dans ma vie au moment où j’ai décidé de me battre. Quand j’ai écrit mon premier livre, la personne qui m’aidait à la rédaction de celui-ci a eu l’honnêteté de me dire : « David, il faut que tu te calmes sur les repas. » Il faut dire que, même si je ne me voyais pas gros, je pesais 106 kilos. À ce moment-là, je pensais que le sport, c’était terminé pour moi. J’en ai alors essayé plein : du foot en salle, du basket, de la natation, du cyclisme… À chaque fois, je n’arrivais pas à m’épanouir. Un jour, un copain vient me voir en me proposant de rejoindre le club qu’il était en train de monter : du rugby à XIII en fauteuil ! Au départ, je n’étais pas favorable. Le mot « fauteuil » était rédhibitoire. Je ne voulais pas me sentir et être reconnu comme handicapé.

Alors ?
 

À force d’insister, j’y suis allé. Je suis entré dans ce gymnase, avec l’idée de trouver là des gens tristes, qui ont du mal à se déplacer. J’ai trouvé tout l’inverse. J’ai vu des personnes véritablement jouer au rugby, avec une vraie vitesse d’exécution et du plaisir. J’ai essayé et j’ai tout de suite été convaincu.

Sans appréhension ?
 

J’avais peur de ne pas savoir maîtriser le fauteuil. Il m’a fallu quelques minutes pour accepter de m’asseoir dedans. Mais très vite, mes réflexes rugbystiques sont revenus. J’ai retrouvé mes sensations et depuis, je le pratique encore. C’est un vrai sport, qui me permet de me défouler et de retrouver des codes du rugby. J’ai trouvé mon sport. Depuis 2013, je n’ai pas lâché. Cela a été une renaissance.

Et la course à pied, donc ?
 

Et pourquoi pas ? Je ne m’interdis plus rien. Un ami m’a lancé un défi, j’ai répondu. Je travaille mon « cardio  » dans une salle de sport et j’ai eu envie de voir si mon corps acceptait encore ce genre d’objectif. Ce printemps, je me suis préparé à cette course sur route : un 5 kilomètres, à Grenade, en compagnie d’un collègue atteint lui aussi de sclérose en plaques et qui prépare le marathon de Paris.

En vous écoutant, on ne vous sent pas comme handicapé ?
 

Moi non plus. J’ai d’ailleurs honte, parfois, des avantages que cela peut m’apporter. Aujourd’hui, je ne me sens pas handicapé. Je n’ai plus honte de ma maladie. Au contraire, je suis prêt à en parler. Avant le premier confinement, je préparais un support pour faire des interventions dans les entreprises, des écoles, des associations, des clubs de sports ou autres. Pour parler de mes rencontres, de mon parcours avec la sclérose en plaques. J’ai toujours regretté de ne pas avoir croisé une personne, pendant mes quatre ans de dépression, qui m’aurait parlé du fait que malgré la maladie, j’allais pouvoir continuer à travailler, à faire du sport, à fonder une famille. À vivre, en fait.

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Les commentaires (1)
Doorsj Il y a 2 années Le 20/08/2021 à 20:47

Je suis admiratif félicitation .