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Les esthètes (3/4) : Jacky Bouquet, l’Ange blond n’en faisait qu’à sa tête

Par Jérôme PRÉVÔT
  • Jacky Bouquet était grâcieux ballon en main.
    Jacky Bouquet était grâcieux ballon en main. Photo archive
Publié le Mis à jour
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Ils ont marqué leur époque par leur allure, le buste droit, le port altier, les gestes plein de grâce. Ils étaient tellement doués qu’ils ont été parfois incompris, moqués et mis à l’écart. Le rugby français a produit quelques esthètes qui, qu’on le veuille ou non, ont été ses étendards. Cette semaine, Jacky Bouquet, « l’Ange Blond » du rugby rhônalpin. Instinctif et individualiste, il incarnait un rugby aussi brillant que différent de celui qui se pratiquait dans les académies lourdaises et montoises. Double inversé d’André Boniface.

« L’Ange blond » fut le magicien d’un match où aucun point ne fut marqué. On veut parler du fameux 0-0 de 1961 face aux terribles Springboks, le « match des matchs », furieuse empoignade narrée et romancée à l’excès. Mais s’il y a une image de ces quatre-vingts minutes qui n’a rien de surfaite, c’est bien l’accélération de Jacky Bouquet en seconde mi-temps.

Un « tchic-tchac » de l’espace, un cadrage-débordement venu d’une autre planète qui transperça la défense sud-africaine, sur 25 mètres avec passe à Moncla à son extérieur. « Oh, ce Bouquet, il a mis sept Springboks dans le vent » proclama Roger Couderc. Justement, trente ans après, le centre John Gainsford confia à notre confrère Richard Escot, auteur de « Rugby au centre » : « Les Français semblaient acculés sur leur ligne. Albaladéjo ne savait pas quoi faire du ballon, n’importe qui aurait dégagé en touche… Jamais je n’avais subi une telle feinte. Je suis resté les deux pieds dans le ciment. J’ai vu passer sa chevelure blonde comme une virgule dans le ciel de Colombes. »

Jacky Bouquet, c’était un visage, une dégaine d’enfer. Il était le James Dean du rugby français de ces années 50. « Son élégance le faisait sortir du lot, incontestablement mais sur le terrain. Il était très fort, en attaque comme en défense. Sur l’état d’esprit, je n’ai jamais eu à m’en plaindre », détaille François Moncla, son capitaine en 1961, qui n’aimait pas spécialement les esthètes narcissiques. Ses compliments pèsent donc de tout leur poids. « C’est le gars le plus doué que j’ai vu. Il avait tout, la vitesse, la technique, le plaquage. Et puis quel beau mec ! Une sorte de Jean Marais. Toutes les filles lui couraient après », se souvient Henri Garcia, l’un des derniers journalistes à l’avoir vu jouer.

Au moment de la mort de Bouquet en 2009, un de ses amis, le docteur Michel Mabillon, nous avait expliqué que sur le moment, on le comparait plutôt à Henri Vidal (un acteur, mari de Michèle Morgan, qui s’est suicidé à 40 ans). En tout cas, Paris Match lui avait consacré deux pages centrales : on le voyait danser avec Françoise Sagan. Il était si brillant qu’il avait débuté chez les Bleus à 20 ans, alors qu’il jouait encore en seconde division avec Bourgoin.

Peu soutenu par la presse parisienne

Les récits sur Jacky Bouquet nous sont toujours parvenus enveloppés d’un halo d’insatisfaction. Malgré ses 34 sélections, il a toujours flotté autour de lui ce parfum d’inachevé. Il est vrai qu’avec son physique, il aurait dû crever l’écran, mais de son parcours nous sont toujours parvenus des propos nuancés. Ils émanaient de spécialistes, d’historiens pointus ou de conteurs régionalistes.

En fait, Jacky Bouquet n’est pas resté dans la mémoire collective, contrairement à d’autres attaquants pas plus géniaux que lui. « Les frères Boniface étaient soutenus par la presse parisienne, jusqu’à la mythification notamment par Denis Lalanne. Lui n’était soutenu par personne », explique Richard Escot.

Jacky Bouquet avait un handicap majeur, il était du Sud-Est. De Romans, de Bourgoin-Jallieu, puis de Vienne. Cette ligne de démarcation avait tout son sens à l’époque. Les clubs des Alpes et du Rhône ne charriaient pas le romantisme de Lourdes ou de Mont-de-Marsan. Au fil des ans, plus d’un supporteur à l’accent traînant de l’Isère nous confia que « Jacky Bouquet était le plus fort de tous, il aurait mérité deux fois plus de sélections. Il était meilleur qu’André Boniface. » Bouquet-Boniface. On a souvent opposé ces deux profils surdoués.

« En plus, André était ce qu’on appellerait aujourd’hui un bon client. Jacky Bouquet était plus « rural » dans son approche », poursuit Richard Escot. Cette dichotomie, André Boniface en parle sans problème : « Mais j’avais de très bons rapports avec lui. Il n’avait pas le tempérament des gars du Sud-Ouest, il était plutôt froid et rigoureux de prime abord. Mais il avait un bon fond, il était même très sympathique. Nous étions à la fois très proches et très éloignés. »

Ce qui séparait le totem du Stade Montois de l’artiste du Dauphiné, c’était une vision du jeu. Pierre Albaladéjo témoigne : « D’abord, il était d’une gentillesse extrême. Il ne s’est jamais plaint d’un mauvais ballon que j’aurais pu lui envoyer. Ça m’arrivait. André, lui, m’a parfois fait les gros yeux. Jacky Bouquet me sidérait par son culot. Il tentait l’impossible. Il était un joueur d’instinct, porté par des moyens exceptionnels. Quand il avait le ballon, je me méfiais : « Qu’est-ce qu’il va encore inventer ? ». Le rugby des frères Boniface était plus travaillé, plus répété, plus collectif. À trois contre un, Jacky pouvait vous faire une feinte de passe. »

Bala a tout dit. Jacky Bouquet était un soliste. On disait que ça en énervait certains, les Lourdais par exemple, rois des combinaisons millimétrées. André Boniface poursuit : « J’ai voulu le faire venir à Mont-de-Marsan. Nous l’aurions fait jouer à l’ouverture, avec mon frère et moi au centre. Ça a failli se faire. Nous aurions fait un malheur. En fait, Jacky Bouquet évoluait dans des clubs qui n’avaient pas vraiment de projet de jeu de ligne. Il était livré à lui-même. À Mont-de-Marsan, nous travaillions pour le collectif : tu dépends des autres, les autres dépendent de toi. » Henri Garcia reprend : « Il disait toujours « moi, quand je vois une occasion, je la prends. ».

Jacky Bouquet était une vedette à Bourgoin et à Vienne. Tout le monde attendait ses exploits personnels. « Il a été souvent taxé d’individualisme car on ne savait jamais ce qu’il allait faire », poursuivait Michel Mabillon. Louis Marchand, mémoire du rugby berjallien, nous avait aussi confié qu’« il avait ce fameux regard qui trompait toujours l’adversaire sur la feinte qu’il allait choisir. » Avant de reconnaître que ce n’était pas toujours marrant, pour ses partenaires, de s’accorder avec lui sur le terrain. Il nous glissa aussi que Jacky Bouquet n’avait rien d’un précurseur du professionnalisme, il n’était pas un forcené de l’entraînement…

Il était si doué, mais il eut le loisir d’offrir à Bourgoin sa première montée dans l’Élite (1965). Puis, crampons raccrochés, il fut embauché par la société Ricard. Destin classique et périlleux, on le voyait sur plein de manifestations en Rhône-Alpes. Il n’avait plus la vivacité, ni la silhouette de ses jeunes années. Mais il brillait désormais à la pétanque. Une seconde carrière plus discrète, qui lui permettait d’exprimer encore ses dons innés.

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