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Il y a dix ans, les « sales gosses » (3/4) : autogestion à Auckland, entre mythe et réalité

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    Il y a dix ans, les « sales gosses » (3/4) : autogestion à Auckland, entre mythe et réalité Amandine Noel / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Dans notre saga consacrée à la Coupe du monde 2011, nous revenons sur l’épisode de « l’autogestion », déclenchée par une thérapie alcoolisée après l’infamante défaite en poules face au Tonga. Largement fantasmée car provoquée par Marc Lièvremont qui voulait voir en elle une responsabilisation, cette prise de pouvoir des joueurs n’en demeure pas moins un morceau de gauloise bravoure, toute proche de conduire les Bleus sur le toit du monde.

C'est l’une des histoires les plus célèbres de l’histoire récente du XV de France. L’une des plus mal comprises et méconnues, aussi. Celle d’un groupe de «sales gosses » qui décida enfin de prendre son destin en mains. Avec la bénédiction de son sélectionneur, quand bien même l’essence de cette mobilisation des joueurs consistait à se retourner contre lui… Une manœuvre qui fut évidemment caricaturée à l’extrême en France. En effet, le décalage horaire et la distance géographique aidant, on parla probablement un peu trop vite et trop facilement d’autogestion en métropole, ce qui n’était pas tout à fait exact au pays du long nuage blanc. Un terme qu’on ne peut que réfuter dix ans plus tard, sans toutefois le balayer tout à fait d’un revers de main, la vérité résidant comme souvent dans un entre-deux bien difficile à verbaliser.

Marc Lièvremont n’en démord pas, et à raison: c’était bel et bien lui qui était en charge des compositions d’équipe, affirmant notamment son choix fort de placer Morgan Parra au poste de demi d’ouverture à la place de François Trinh-Duc. «Depuis que j’ai confié à Thierry Dusautoir mon souhait de les laisser s’approprier le projet de jeu, après l’humiliation subie face au Tonga, les joueurs sont devenus autonomes », a toujours expliqué le sélectionneur. Une brèche dans laquelle ces derniers se sont engouffrés d’une manière pratiquement jusqu’au-boutiste, l’entraîneur du jeu au pied Gonzalo Quesada prenant progressivement des responsabilités au cœur du tumulte tandis que la défense revenait toujours au spécialiste David Ellis. «Le système de jeu, on le faisait ; le contenu des entraînements, on le faisait ; le discours d’avant-match, on le faisait, se souvenait le demi de mêlée Dimitri Yachvili. Les joueurs d’expérience ont pris des responsabilités, on a imposé quelque chose. » Jusqu’à tracer un chemin qui fut tout proche de les mener sur le toit du monde…

Lièvremont : « On a pissé sur nos supporters »

Mais comment, exactement, le XV de France s’en est-il retrouvé à adopter ce mode de fonctionnement improbable? La raison en revient à une crise qui secoua le groupe France du côté de Wellington, après l’humiliante défaite subie face au Tonga lors du dernier des matchs de poule, le 1er octobre 2011. Une Bérézina que Lièvremont lui-même n’avait pas hésité à comparer au naufrage subi par les footballeurs un an plus tôt à Knysna en indiquant que, quelque part, les joueurs avaient ce jour-là «refusé de descendre du bus ». Arguments à l’appui, livrés en direct d’une nouvelle conférence de presse lunaire. «On est quand même dans une société où l’image est très importante. J’ai vu des joueurs à l’hôtel avec leur agent, avant le match. Des joueurs avec leur agent après le match, plutôt que de se rassembler et de parler entre eux. »

Ce que Lièvremont n’avait pas digéré, en réalité, est qu’alors qu’il avait voulu fêter malgré tout la qualification de ses joueurs à l’ancienne, en faisant livrer trois packs de bière, celui-ci s’était vu opposer une fin de non-recevoir de la part de ses hommes, davantage désireux de retrouver leurs familles spécialement venues pour l’occasion. Un camouflet pour le sélectionneur et l’image romantique que celui-ci se faisait d’une Coupe du monde en Nouvelle-Zélande. L’épisode lui valut de provoquer une nouvelle fois ses hommes dans l’intimité, avant l’incontournable visite à l’ambassade de France qui devait clôturer le court séjour des Bleus dans la capitale administrative de Nouvelle-Zélande. «Je prends la parole lors du débriefing collectif précédant notre visite à l’ambassade de France en Nouvelle-Zélande et je leur dis : «J’ai honte, les gars. Il y a des mecs qui sont venus du bout du monde pour nous encourager. Qu’est-ce qu’on fait? Quand va-t-on se rebeller? Envoyez-moi chier, putain! Prenez-vous en mains, faites quelque chose! Je ne suis peut-être qu’un petit entraîneur de Pro D2 pour certains, mais on a pissé sur nos supporters. » Puis je prends alors l’un des cadres à témoin devant les autres, notre talonneur William Servat: «William, c’est ça ta Coupe du monde? Tu te régales? Quel souvenir veux-tu en garder?» Nous ne pouvions pas continuer ainsi. »

Un discours qui valut, évidemment, à Lièvremont de générer de nouvelles rancœurs au sein d’un groupe pas franchement acquis à sa cause et qui ne le jugeait, depuis le début de l’aventure, pas taillé pour le poste. Mais qui eut le mérite de provoquer un déclic dans l’esprit de certains cadres du groupe. À commencer par Pascal Papé…

La cave de l’ambassadeur

Arrivé en position de numéro 4 au début du Mondial, l’ancien Berjallien n’en avait pas moins doublé à la régulière Julien Pierre et Romain Millo-Chluski, pour s’installer dans la cage aux côtés de son vieux compère Lionel Nallet. Un changement de statut qui, à quelques jours d’un quart de finale de Coupe du monde, allait le décider à prendre la décision de sa vie. «Ce matin-là, nous étions reçus à l’ambassade de France, au lendemain de s’être fait siffler par 20 000 Français. C’était vraiment la merde. Pourtant, quand ils nous ont reçus, les gens de l’ambassade ont été adorables, prévenants, naturels. Ils nous ont ensuite fait visiter la cave, où l’on a tous goûté à quelques verres de rouge. » Tous? Plus ou moins, en réalité… «Tout le groupe était là, mais les coachs, eux, étaient en haut, à cirer les pompes de l’ambassadrice. Avec la fatigue, l’alcool a commencé à faire effet. Après avoir demandé la permission à Thierry Dusautoir et Lionel Nallet (capitaine et vice-capitaine), mes couilles ont poussé: j’ai donc pris le micro et demandé aux joueurs de me retrouver dans l’après-midi, simplement vêtu d’un short, d’une chemise et d’une cravate, sur le toit de notre hôtel à Auckland. »

Une bringue en short cravate sur le toit d’Auckland

Une bouteille à la mer, un pari hautement risqué pour celui qui n’était jusqu’alors qu’un titulaire en probation, au vu des différents «clans » qui composaient alors le groupe France, entre les filières toulousaines, biarrotes, clermontoises et berjalliennes comme autant de courants de pensée. Pourtant, ce qui était presque impensable se produisit. «Tout le monde a répondu présent. On a fait venir de la vodka, du gin, du whisky. Les coachs ont compris qu’on voulait rester seuls. Là-haut, nous avons tous pris conscience que notre Coupe du monde partait en vrille, qu’il était temps de réagir, d’être dignes de ce maillot. Là-haut, nous avons décidé de nous prendre en mains.» Dimitri Yachvili prolonge. «Il y avait un staff et un sélectionneur, mais qui était ridicule sur le terrain ? C’était nous. On ne pouvait plus l’accepter. »

C’est donc passée cette bringue d’anthologie, avec les maux de crâne qui vont avec, qu’un groupe de cadres (Dusautoir, Servat, Nallet, Harinordoquy, Bonnaire, Rougerie, Mas, Papé…) prit alors la direction des opérations. «On a parlé d’autogestion mais ce n’était pas vraiment le cas, conclut Papé. Marc Lièvremont, Didier Retière et Emile Ntamack animaient l’ouverture et la fermeture de la séance. Mais avant d’affronter les Anglais en quarts de finale, nous avons dit aux coachs que nous voulions, par exemple travailler, seulement la défense, avant de leur donner un programme précis pour la semaine. Le staff avait compris qu’il était impossible de changer les thématiques d’entraînement que nous avions choisies. Ce fonctionnement s’est poursuivi jusqu’à la fin. » Presque pour le meilleur, mais au moins pour éviter le pire…

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