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Exclusif - Philippe Sella : « Je n'ai pas perdu ma joie de vivre »

  • Philippe Sella.
    Philippe Sella. Midi Olympique. - Patrick Derewiany.
Publié le Mis à jour
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L’ancien trois-quarts centre international nous a reçus chez lui à Agen pour un long entretien direct sans langue de bois. Il parle sans détour de son club, de sa vie, de ses engagements auprès des enfants et de la maladie contre laquelle il vient de livrer un dur combat.

Vous sortez d’une période difficile où vous avez eu des soucis de santé ?

On m’a dit que l’on m’imaginait immortel, pourtant je peux vous confirmer que je suis bien un être humain lambda. Lors d’un dépistage, que j’effectue chaque année depuis que j’ai 50 ans, mon médecin a trouvé que mon PSA (examen qui mesure la quantité d’une certaine protéine dans le sang qui permet de diagnostiquer le cancer de la prostate), était élevé, ce qui n’est pas bon signe. J’ai donc fait une biopsie. Et sur les prélèvements, on a trouvé des cellules cancéreuses. C’était la fin de l’année 2020, juste avant le Covid, et j’ai dû subir une intervention chirurgicale pour m’enlever mon cancer.

De quel type de cancer avez-vous souffert ?

Un cancer de la prostate.

Quand on vous annonce la nouvelle, quelle est votre réaction ? Avez-vous eu peur ?

Le médecin ne m’a rien caché. Sur le coup, bien évidemment que j’ai eu peur, d’autant plus que je suis un inquiet de nature, mais mes proches et notamment ma fille, Philippine, et mon ex-associé à Sella communication qui est toujours mon ami, Jean-Claude Bonetti, m’ont poussé à me battre dès le début. Lui a été victime d’une leucémie il y a quelques années, et jusqu’à sa greffe osseuse, il en a bavé mais ne s’est jamais plaint. Il a été un véritable mentor dans le combat que j’ai dû mener. Et mon cancer n’était rien à côté du sien. Lui s’en était sorti donc, il m’a permis de passer au-dessus de mes peurs et de me focaliser sur ma guérison. Grâce à lui je n’avais pas de mauvaises pensées.

Il y a eu, on suppose toutefois des moments très difficiles ?

Oui, mais je préfère parler de ceux plus faciles, de la vie qui reprend son chemin. J’ai récupéré, enfin pas encore complètement, mais je sens que j’ai tourné une page. Bon, je manque encre un peu d’énergie. J’ai recommencé à courir, me suis fixé l’objectif de terminer en novembre prochain les 20 kilomètres de San Sebastián, même si je suis en retard sur ma préparation. Ce qui a été dur, c’est de repartir presque de zéro dans le sport. Mes premiers joggings, le long du canal à Agen, j’étais très lent. Le lendemain, j’avais des courbatures terribles.

Est-ce la chimiothérapie qui vous a autant fatigué ?

Je n’en ai pas subi, juste l’ablation de la tumeur. Avant l’opération, lors de mon scanner, mon chirurgien a vu que mon cancer était uniquement concentré sur la prostate. Le fait de me faire suivre régulièrement a sûrement empêché quelque chose de plus grave. Si j’ai une consigne à donner, c’est de ne pas hésiter à aller consulter, surtout à partir de 50 ans. Respectez les prescriptions. Je remercie mon médecin traitant qui a fait de la prévention avec moi.

Vous parlez du cancer avec une vraie facilité…

Je sais qu’en parlant je fais du bien aux autres. Même en 2021, le mot cancer reste tabou. Il faut que les langues se délient, que l’on en parle. Cela n’arrive pas qu’aux autres et ce n’est pas une fin. Oui, il y a des moments de vie qui sont complexes, mais il ne faut pas se recroqueviller. Cela libère d’en parler.

Comment se passe une hospitalisation pour un cancer de la prostate.

J’ai été suivi à Toulouse, par le professeur Nicolas Doumerc. Il opère avec un robot. Si elle reste une intervention lourde, elle a duré près de quatre heures, cette technique permet d’avoir une vie post-opératoire plus simple pour les hommes. Ce médecin a su m’apporter une confiance immédiate. Il m’a dit, il faut faire ça et ça notamment à votre âge. Je lui ai répondu que j’étais considéré comme un expert en rugby mais pas en médecine, donc j’ai suivi ses conseils. Il m’a opéré à la fin du printemps 2021, et je suis très satisfait du résultat. Cela a été pris et soigné rapidement.

Philippe Sella en 1993 face à l'Ecosse durant le tournoi des V Nations.
Philippe Sella en 1993 face à l'Ecosse durant le tournoi des V Nations. Allstar / Icon Sport - Allstar / Icon Sport


Vous proches ont-ils été importants dans la prise de décision ?

Cela a été une affaire de famille. C’est Philippine, ma fille, qui m’a poussé à me faire soigner sur Toulouse. Avec mon épouse et mon fils, ils ont été très présents et je les remercie.

Avez-vous encore quelques séquelles ?

Je l’ai dit, je n’ai pas encore retrouvé mon niveau physique d’auparavant. Bon, je sais qu’à 59 ans presque 60, je n’aurai plus jamais les cannes que lorsque j’étais joueur… J’en ai un peu bavé après mon opération. Bavé, je n’aime pas le mot, mais j’étais fatigué très rapidement. J’avais besoin de faire pas mal la sieste, c’est le contrecoup de l’opération. Et puis tu te retrouves avec des problèmes que tu n’avais pas auparavant. Le chirurgien m’a rassuré sur le fait que ce sera temporaire, mais il faut que tu gères tes soucis urinaires, ce n’est pas évident il faut être patient. J’ai porté des couches pendant quelques semaines, le temps que le périnée se remuscle. J’ai encore à l’heure actuelle des séances de travail avec un kiné pour résoudre définitivement cet aléa.

Aujourd’hui, je mets encore des protections de jour, mais je peux vivre quasi normalement. Avec le temps tout s’arrange, la nature revient, mais il faut travailler sur soi. Tout ne revient pas d’un claquement de doigts. D’avoir fait du sport et de reprendre assez rapidement t’aide aussi bien physiquement, que psychologiquement. Le psy est important, quand tu es un homme et que tu as des soucis érectiles, ce n’est pas évident, même quand on te dit que cela va revenir. Le sport sert d’exécutoire. Aujourd’hui, physiquement tout va bien, il reste juste un côté psychologique où je pense encore à cette opération. Le fait de ne pas avoir retrouvé tous ses moyens, cela perturbe. Le fait de ne pas avoir encore, la même capacité de concentration, t’interroge. Ok, ça va revenir, mais bon sur le moment… D’en parler, de partager son point de vue, fait du bien.

Vous évoquez vos problèmes, mais avec un large sourire ?

D’abord, parce que je crois que je n’ai pas perdu ma joie de vivre. Je suis aussi heureux, de rencontrer de nouveau du monde. Ce qui a été dur à vivre, c’est que j’ai combiné mon cancer avec la pandémie de Covid 19 et les différents confinements. Moi qui adore le contact humain, j’en étais privé. Ce week-end, on a fêté les 20 ans de l’association, les Enfants de l’Ovale, je suis crevé ce lundi (jour de l’entretien, N.D.L.R.), mais de bonheur. Depuis quelques semaines, la vie reprend. Et pour moi doublement. La vie sociale est le meilleur médicament, mais bon ces derniers mois, on était obligé de s’en priver.

Avez-vous ressenti le fait qu’au moment où les bruits sur votre maladie sont sortis dans le milieu du rugby, beaucoup de gens s’inquiétaient de votre état de santé ?

Un de vos confrères de la Dépêche du Midi, m’a appelé en mai 2021, pour parler de la situation compliquée du SUALG. J’étais en plein dans les soins, et j’ai osé évoquer ma maladie. J’ai reçu énormément de marques de sympathie, j’ai surtout découvert que certains de mes ex-partenaires avaient vécu la même chose que moi, mais l’avaient passé sous silence. Cela m’a fait quelque chose, mais cela m’a donné envie d’en parler, de parler de ma propre expérience, sans chercher à jouer les donneurs de leçon. Chacun fait ses choix, mais le mot cancer ne doit plus être un tabou de nos jours. Il ne faut pas rester dans son petit monde pendant cette maladie, mais continuer à s’ouvrir aux autres.

Et sur l’inquiétude ressentie par vos ex-partenaires en équipe de France ?

Dès que j’en avais un au téléphone, je le rassurerai. Ce qui m’est arrivé était sérieux, mais cela a été bien soigné. L’important c’est que dès le départ, il n’a pas été question de vie ou de mort. Il fallait régler le cancer qui je le répète, avait été dépisté à temps. Après quand on m’appelait mais lors de la phase post-opératoire, je n’allais pas me plaindre, car le reste, c’est bénin.

Aujourd’hui, vous vous sentez guéri ou en rémission ?

Je suis guéri, et il ne manque plus qu’à retrouver mon peps ! Je suis pressé même. Le fait de pouvoir à nouveau faire du sport, rencontrer des personnes, je revis. Le contact humain est important pour moi. Les réunions ou discussions en Zoom, ce n’est pas ma tasse de thé. Le distanciel, même si j’ai dû moi aussi y passer, ce n’est pas pour moi. Je suis quelqu’un de tactile.

Qu’est-ce qui a changé dans votre vie ?

J’ai l’impression d’avoir ressenti quelque chose dans cette épreuve. Pris conscience de certaines choses. Durant le début de ma convalescence, j’ai passé beaucoup de temps à marcher, pour remettre le corps en route. Au départ autour de chez moi en ville, puis de plus en plus loin. J’ai redécouvert la nature mais aussi les méfaits des hommes. Je vois qu’il y a pas mal de boulot pour protéger la nature. J’ai eu une prise de conscience, lors de mes balades. C’est un chantier sociétal, où l’on est tous impliqués. On doit agir contre cette bêtise humaine, qui pousse à trouver des papiers à des endroits où ils n’ont rien à y faire. On doit diminuer nos déchets. Et chacun d’entre nous, à notre niveau, on doit faire l’effort. Au SUA, d’ailleurs, il y a une prise de conscience sur ces sujets-là.

Est-ce que le rugby vous a manqué ?

Quand il m’est arrivé cette maladie, le rugby amateur était à l’arrêt et les matchs des pros se déroulaient à huis clos. J’en ai été privé comme l’ensemble des fans de ce sport. Je l’ai regardé à la télévision comme tout le monde. J’ai débranché physiquement avec mon sport, mais avec les moyens de communication, j’étais connecté. Mon isolement a fait que j’ai observé de loin ce qui se passait notamment à Agen.

Quel est votre ressenti sur le début de saison très difficile de votre club ?

Dans les deux dernières années, il y a eu pas mal de mutations au sein de l’équipe première. Il y a dix ans, on a eu une période de construction et de formation et ces dernières années, on arrivait à conserver des joueurs formés au club, même en Pro D2, il y avait toujours une ossature de joueurs du club qui portait le groupe. Là, et je les comprends, nous avons perdu trop de bons joueurs qui souhaitaient évoluer au niveau au-dessus, jouer les phases finales de Top 14, et aussi avoir des émoluments plus en adéquation avec leur souhait. Et je le répète, c’est légitime. Au final, un garçon comme Mathieu Lamoulie fait office d’exception. Il est le dernier survivant de ce que l’on a appelé les « fantastiques de 2010 », c’est-à-dire ces joueurs nés en 1990 et qui ont percé en équipe première, je pense à Balès, Erbani,… Or, nous n’avons plus que Mathieu qui est au club. Et l’an passé dans la difficulté, il nous a manqué ces joueurs que l’on dit de club, qui ,dans la tempête, sont capables de maintenir un groupe à flot. Mathieu était trop seul.

Cette saison sans aucune victoire, n’a-t-elle pas laissé trop de traces psychologiques qui font que le SUA ne sait plus gagner des rencontres, même en Pro D2 ?

C’est peu dire que la saison a été complexe. En tant qu’observateur, car je ne suis plus en prise directe avec l’équipe pro, j’ai l’impression qu’il y a un blocage par rapport à ce qui s’est passé l’an dernier. Les joueurs donnent l’impression de se brider, d’être inhibé par le sort du match. Ils travaillent, tout l’été le staff a cherché à évacuer ce qui s’était passé. Autant l’an dernier, le groupe pouvait afficher un mauvais état d’esprit, autant là, sur ce que j’en sais, il fonctionne en équipe.

Reste que le SUALG, n’a pas le droit de perdre à domicile face à Béziers, Bourg-en-Bresse et laisser filer le match à Mont-de-Marsan. Est-ce qu’un problème psychologique ?

Je pense que ce qu’ont vécu les joueurs l’an dernier, et le staff, forcément cela laisse des traces. Pour ceux qui vont sur la pelouse tous les jours, ont dû vivre avec cela au quotidien. C’est terrible. Il faut pourtant réussir à switcher, basculer. Des erreurs, tout le monde en a fait, joueurs, staff, dirigeants. Je crois qu’il faut essayer de dépenser le moins d’énergie possible, dans des querelles intestines, qui font encore plus mal. L’heure est à la solidarité. Il faut que tout le monde dans l’entourage du club, tire dans le même sens. Gardons la foi en ce club ! Le « y a qu’à faut qu’on » ! C’est trop facile. Soyons solidaires, tous. Que tout le monde soit derrière ce qui doit être la vitrine, l’équipe première.

Vous savez très bien, que dans ces cas-là, seule une série de victoires apaisera les tensions ?

Oui mais ces tensions empêchent les prises d’initiatives des joueurs. Le mot victoire ne doit pas faire peur au club. On a l’impression que l’on a complètement oublié cette saveur. Je n’ai pas eu l’occasion d’échanger avec Régis Sonnes là-dessus, mais sur ce que j’ai pu observer, des séances d’entraînement, il y a pas mal de travail de réaliser. On voit que l’on a un vrai potentiel pour jouer un vrai rôle dans cette Pro D2. Il faut arriver à casser ce verrou psychologique. Je sais que c’est facile à dire pour moi, depuis mon bureau mais in ne nous manque pas grand-chose.

Combien de maillots vous reste-t-il sur vos 111 sélections ?

Plus beaucoup, j’en ai donné pas mal, échangé certains. Ceux qui me restent sont encadrés et dans ma résidence secondaire à Bassussary. J’ai aussi un maillot des Bleus, d’Agen et des Barbarians que j’ai mis sur des fauteuils. Mais c’est vrai que sur 111, il n’y en a plus beaucoup qui sont en ma possession. (Après avoir vérifié) J’ai en fait mon premier maillot du Tournoi des 5 Nations, un maillot de la tournée face à l’Australie de 1993 car j’égalisais au nombre de sélection Serge Blanco, celui de la victoire à Auckland en 1994 qui correspondait à ma centième sélection, j’ai d’ailleurs aussi le ballon du match que j’avais fait signer par les joueurs. J’ai aussi le maillot de l’équipe de France en Nike 1985. En cherchant, je me rends compte que je n’ai plus aucun maillot d’Agen. J’en ai eu plein, mais j’ai fait plaisir en les donnant. Pourtant le blanc d’Agen avec le logo Fruit d’Or était mythique.

En revanche, on aperçoit dans votre bureau, que vous conservez pas mal de ballons ?

J’aime l’objet même si je ne le collectionne pas. J’en ai un de la Coupe du monde 1995, l’un de marque australienne car ils étaient particuliers (légèrement plus petit au niveau du diamètre, N.D.L.R.). J’en ai aussi en cuir, de décoration.

Et en amateur de rugby, vous avez aussi une belle collection des Années du Rugby ?

Oui et vous remarquerez que mis à part le dictionnaire Robert, je n’ai que des bouquins de rugby ! Si tu les enlèves, tu peux penser que je suis illettré (rires).

Avez-vous conscience d’appartenir à l’histoire de notre sport, d’être l’une de ses rares légendes ?

C’est un terme qui est très affectif. On parle de légende pour des sportifs que l’on aime. Au club à Agen, tout le monde m’appelle comme cela. C’est valorisant, cela flatte l’ego. Au quotidien d’être nommé ainsi, cela fait énormément plaisir. Après je ne me prends pas la tête avec cela. Mon premier éducateur, Vincent Milan, n’arrêtait pas de me dire : « N’oublie pas d’où tu viens ! » Et il a raison. On n’est rien sans les autres, surtout au rugby. Et puis j’aime le contact humain. J’ai besoin de sentir les gens, leur regard. Rien ne remplace le direct. Je ne suis pas fan des visios. Même si quand on ne pouvait pas se voir en réel, c’était pratique. J’ai l’impression d’être un ancien.

Bon, cela me fait drôle de le dire, mais j’approche les 60 ans grands pas ! Même si dans ma tête, je crois, qu’il n’y a pas encore de la place pour la poussière. J’ai encore envie de vivre. Le rugby m’a permis de passer des moments extraordinaires. Maintenant, ce sont des moments de partage avec les miens dont j’ai envie, avec ma fille Philippine ou mon fils Geoffrey. Les deux ont d’ailleurs pratiqué le rugby. À un bon niveau. Le rugby leur a permis aussi de se construire. Ils sont tous les deux installés au pays Basque.

Ont-ils eu peur pour votre santé ?

Je ne pense pas car j’ai joué cartes sur table avec eux, dès le début. D’ailleurs, avec toute ma famille. Agen c’est chez moi. Mis à part mes enfants, ma famille est encore aux alentours, ma belle-maman, ma maman qui vit toujours dans la ferme familiale, mon frère, mes cousins. Je suis depuis toujours très famille et tout le monde a su tout de suite pour mon cancer. Je ne leur ai pas caché. Il ne faut pas. C’est ce que l’on disait en début d’entretien, le cancer ne doit plus être un tabou. Il faut en parler.

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