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Débat : le micro-arbitre a-t-il changé les relations avec les joueurs ?

  • L'arbitre Laurent Cardona considère « l’irruption du micro-arbitre » comme « une bonne chose ».
    L'arbitre Laurent Cardona considère « l’irruption du micro-arbitre » comme « une bonne chose ». Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Débarqué sur les terrains sous l’impulsion de Canal +, le micro-arbitre est devenu un accessoire incontournable de la panoplie de l‘homme en noir. À quel point son usage influe t-il sur les rapports entre les arbitres et les joueurs ? Éléments de réponse…

Romain Poite - Arbitre international 

« Parfois, le naturel revient au galop » 

C’est clair que dès qu’on porte un micro, ça demande certains critères de communication comme le respect. On doit réfléchir à ce qu’on dit. Par rapport aux familiarités, qui sont en-avant aujourd’hui avec les « punchlines », il faut tout maîtriser.

Après, le micro est une nécessité par rapport à la complexité de ce sport très légiféré. Les « punchlines », on ne les prépare pas, simplement que parfois, le naturel revient au galop et on reprend le costume d’homme qu’on peut avoir dans la vie. C’est juste humain, ce n’est pas un concours pour savoir qui va passer dans le « bonus track » de Canal ou sur les réseaux sociaux. Des fois, il y a des situations un peu cocasses mais ce n’est jamais dans l’irrespect.

L'arbitre Romain Poite s'est récemment fait remarquer à la suite d'un échange léger avec Arthur Joly, capté par le micro-arbitre.
L'arbitre Romain Poite s'est récemment fait remarquer à la suite d'un échange léger avec Arthur Joly, capté par le micro-arbitre. Icon Sport - Icon Sport

C’est aussi une tranche de vie et ça montre que les relations avec les joueurs ne sont pas dans l’adversité. Par rapport à ce qui s’est passé avec Arthur Joly, (un échange entre les deux hommes avait été largement partagé sur les réseaux sociaux, N.D.L.R) je crois que les retours sont assez positifs et que ça a montré aux gens qu’il y a toujours une posture d’autorité mais que ça n’empêche pas d’avoir des relations saines.

Ça montre une belle image de la relation que les joueurs peuvent avoir avec les arbitres. Je ne pense pas que les joueurs profitent de cet audimat pour faire passer des messages. Pour les arbitres comme pour les joueurs, ce n’est pas un exercice naturel, nous restons des hommes.

Laurent Cardona - Arbitre professionnel

« L’irruption du micro-arbitre est une bonne chose »

Avec les micros, on fait forcément attention à ce que l’on dit, car on sait que cela peut être interprété ou que c’est interprétable. Pour ma génération, on s’en accommode facilement, alors que nos aînés qui ont connu l’arbitrage en élite sans micro, je sais que cela a été plus difficile. J’ai le verbe facile, alors j’ai l’habitude de dialoguer avec les joueurs. Je tiens à dire que dans notre sport, même quand on doit arbitrer dans des divisions inférieures, l’arbitre est toujours respecté par les joueurs.

C’est dans la genèse de notre sport, dans les bases de son éducation, et on ne peut que s’en réjouir. Notre référent, Franck Maciello, tient à ce que nous vouvoyons les joueurs. Pour lui, le tutoiement n’est pas tolérable et il sait nous le rappeler le cas échéant. Car il est évident, qu’avec des joueurs qui ont de la bouteille, que l’on arbitre depuis une dizaine d’années, il y a une connivence naturelle qui se créé. Je pense que c’est ce qui s’est passé entre Romain Poite et Arthur Joly, le week-end dernier.

Toutefois, si la question est légitime, on doit veiller à s’interdire d’arbitrer différemment les joueurs suivant si on les connait ou côtoie dans la vie de tous les jours. Il m’arrive, l’été de partager des barbecues avec certains, mais je les sanctionne de la même manière que les autres une fois qu’ils sont sur la pelouse. C’est d’ailleurs une sorte de respect qu’on leur doit. Je suis favorable pour permettre à nouveau aux spectateurs dans les stades, d’écouter nos décisions. La Poste avait sorti un boitier il y a quelques années, qui permettait aux tribunes d’entendre les discussions qu’il y avait entre arbitre et joueurs, moyennant quelques euros.

Ce serait bien de relancer ce processus pour permettre aux gens qui se déplacent au stade d’avoir la même chance que les téléspectateurs. Alors oui, nos relations sur un terrain avec les joueurs ne sont pas complètement naturelles, mais doivent-elles l’être pendant une rencontre ?  Je trouve que l’irruption du micro-arbitre est une très bonne chose.

Sylvain Marconnet - Ancien international français, 84 sélections

« C’est chouette que les arbitres et les joueurs déconnent ensemble parfois »

La présence du micro sur les arbitres n’a strictement rien changé à mon comportement. Aujourd’hui, les échanges entre les joueurs et les arbitres sont constamment mis en avant dans les médias ou sur les réseaux sociaux, mais ces discussions ont toujours existé. C’est ce qui fait l’ADN de notre sport. Certes, l’arbitre reste intouchable. Mais il est à l’écoute et accepte de discuter. De toute ma carrière, jamais un arbitre ne m’a fermé sa porte. Ni sur le terrain, ni après le match.

Et aujourd’hui, je prends plaisir à en recroiser certains. Sur le terrain les échanges sont souvent courtois, parfois musclés. Mais il y a beaucoup de respect. Et je vois que les joueurs ou les arbitres n’hésitent pas à déconner ensemble. Je trouve ça chouette. Je me souviens d’un match lors de ma dernière saison avec le Biarritz Olympique où en fin de rencontre j’ai dû dépanner au poste de talonneur.

En fait, je n’ai pas entendu les consignes venant du banc de touche et l’arbitre me dit « Monsieur, c’est vous qui passez au talon. » Et là, je le regarde avec un grand sourire et je lui dis : « Oh merci Monsieur l’arbitre, j’en ai rêvé durant toute ma carrière et grâce à vous je vais enfin jouer au talon. » On s’était bien marré sur le coup. Et ce sont des moments assez chouettes qui font aussi la différence entre notre sport et d’autres où les relations entre joueurs et arbitres ne sont pas aussi conviviales.

Selon Mathieu Babillot, le micro-arbitre oblige les joueurs à faire attention à la manière dont ils s'expriment.
Selon Mathieu Babillot, le micro-arbitre oblige les joueurs à faire attention à la manière dont ils s'expriment. Icon Sport - Icon Sport

Mathieu Babillot - Troisième ligne et capitaine de Castres

« Le micro assoit l’autorité de l’arbitre »

La présence du micro a forcément changé notre relation à l’arbitre. Tu sais que tu es écouté, tu dois faire attention à ce que tu dis, à la façon dont tu t’exprimes, tu ne peux pas dire n’importe quoi. Cela permet au téléspectateur d’être un peu plus près du jeu, cela donne un côté « inside » au match télévisé.

Moi, j’ai toujours connu le micro arbitre, cela n’a donc pas changé ma façon de dialoguer avec l’arbitre mais je dois reconnaître que j’ai tendance à l’oublier dans le feu de l’action, sauf quand une phase arrêtée dure vraiment longtemps. Là, ça me revient à l’esprit. Mais le reste du temps, je suis vraiment concentré sur le match et je veille toujours à garder une bonne relation avec l’arbitre.

Pour lui, je pense que le micro lui permet d’avoir davantage d’emprise sur les deux équipes, ça le protège et cela assoit son autorité sur nous et sur la rencontre. On le voit dans des matchs à l’extérieur, où l’on rencontre un environnement hostile. Cela peut l’aider dans son rôle car les joueurs savent qu’ils doivent se contrôler. Et puis de toute façon, au rugby, l’arbitre est intouchable. Cela a toujours été comme ça. 

Quand t’es capitaine, tu as un échange particulier avec lui, au même titre que les joueurs de première ligne au sujet de la mêlée ou les buteurs. Par rapport au chambrages, cela peut arriver que des phrases passent dans le micro. Mais franchement, c’est pas méchant. Cela a toujours fait partie du jeu : on se balance quelques « punchlines », mais ça en reste là.

Jefferson Poirot - Pilier de l’UBB, 36 sélections

« Du liant et une bonne pub »

Le problème c’est que je n’ai jamais connu le rugby d’élite sans micros. Mais en fait, je ne sais pas si c’est le micro qui a changé les choses ou si ce sont les relations par elles-mêmes qui ont changé. Ce que je constate, c’est que la complicité est de plus en plus forte entre joueurs et arbitres. C’est presque devenu une sorte de jeu. C’est le côté sympa du rugby.

Avant, cette complicité se pratiquait beaucoup chez les Anglo-Saxons et au niveau international mais moins en France et puis ça a changé. Est-ce dû au micro ? Peut-être finalement… Parce que ça permet de créer le buzz, d’avoir du liant et au final c’est une bonne publicité pour le rugby. Est-ce que le micro empêche les mauvaises paroles ? Non, je ne pense pas. J’ai toujours senti beaucoup de respect pour les arbitres autour de moi

En fait, j’ai toujours vu les arbitres comme des partenaires. En plus, leur tâche est si difficile, il y a tellement de règles. Mais justement, aujourd’hui, ils sont très ouverts, très explicatifs. Si la décision est expliquée de manière cohérente elle sera plus facilement acceptée.

Après, il existe toujours le désir de ne pas se mettre l’arbitre à dos pour éviter de passer un match très compliqué. Récemment à Castres, nous avons fait match nul 20-20 sous la direction de Romain Poite. Après la fin du match, en interne, j’ai entendu des critiques sur lui, mais je n’étais pas d’accord. J’étais capitaine et il m’avait expliqué toutes ses décisions et pour moi, elles avaient du sens. En fait, l’arbitre et nous, sommes dans le même bateau, celui du rugby professionnel. Nous sommes partenaires.

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