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À Mirande, la "guerre des boutons" d'Henry Broncan

Par Rugbyrama
  • Henry Broncan fut un demi de mêlée « honnête ». Il a découvert le rugby à Mirande avant d’être recruté par Montauban, un grand club de l’époque.
    Henry Broncan fut un demi de mêlée « honnête ». Il a découvert le rugby à Mirande avant d’être recruté par Montauban, un grand club de l’époque. Collections personnelles
Publié le Mis à jour
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Henry Broncan a 77 ans. Il est un personnage du rugby français, surnommé « le sorcier ». Il ne fut qu’un joueur modeste, Il n’a pas remporté de grands titres. Mais son parcours a quelque chose d’unique et de mémorable, comme une ode au rugby des petits fiefs et des villages et une façon de tirer le meilleur de ses effectifs qui constitue l’essence même du métier d’entraîneur ou plus modestement d’éducateur. Nous allons retourner en trois volets sur sa trajectoire née au fin fond du Gers.

Il est né en 1944 d’un père soldat démobilisé, originaire de l’Oise, parachuté dans le Sud-Ouest à la fin des années 30. L’armée française se préparait à une possible intervention contre Franco et ses alliés, elle ne vit jamais le jour : « Il est resté dans le Gers comme ouvrier agricole. Il a épousé la fille d’une ferme où il travaillait. Il était un bon joueur de football, il m’a poussé à y jouer, mais il s’est vite intéressé au rugby, sport roi chez nous. »
« Chez nous », c’était Mirande, au Sud du Gers. ou plus exactement Miramont-d’Astarac à 5 kilomètres de là. Henry y a vécu une enfance rurale, mais pas si bucolique : « Un univers du genre la « Guerre des Boutons », le roman de Louis Pergaud. Nous construisions des cabanes, nous apprenons à nager dans la rivière. Nous n’étions pas des saints, il y avait déjà des bandes, même si nous n’allions pas aussi loin que celles qu’on voit aujourd’hui. Notre grand jeu était d’aller détruire les cabanes des autres. Puis, plus tard, dans les bals on se friterait avec les gars des villages d’à côté. » Dans ce Gers de la Quatrième République, le rugby était déjà très ancré. Henry l’a découvert sous le maillot modeste de l’Union Sportive Alerte Mirandaise. « Dans une équipe junior de bric et de broc, j’avais seize ans et je crois que nous n’avons pas gagné un seul match de l’année. J’ai pourtant joué un match à Lourdes sur le grand terrain, en lever de rideau de l’équipe première. Nous avons pris 100 à 3 ! En face il y avait Michel Arnaudet ou André Campaès, futurs internationaux. L’auteur de notre seul essai m’en parle encore pour s’en vanter. je lui dis qu’ils nous avaient laissés marquer, lui me jure que non. » Cette expérience traumatique ne fut pas un repoussoir pour le jeune Henry, chaque revers lui donna l’idée de tous les progrès qu’il aurait à réaliser. Et chaque station du calvaire lui fit admirer les deux entraîneurs qui se démenaient pour maintenir la flamme dans cet effectif limité. Ils s’appelaient Claude Segrestan et Carmelo Sanchez, venu de Mauléon. « Ils m’ont convaincu de jouer demi de mêlée alors que je rêvais d’être à l’ouverture. » Ces deux anonymes stoïques dans la difficulté étaient en train de forger la vocation de leur pupille qui ne payait pas de mine.

À l’ombre du mythe lourdais

Pour bien entrer dans la tête d’Henry Broncan, il faut se figurer quelle était l’aura du FC Lourdes de ces années-là : le club de l’excellence, de l’exigence méticuleuse des frères Prat et de Roger Martine. Lourdes, ce n’était pas très loin, mais pas si près non plus. « Ma grand-mère qui était très croyante y allait en pèlerinage une fois par an. J’avoue que je n’étais vraiment sensible à tout ça. Mais l’illumination, je l’ai trouvée le jour où elle m’a payé une menthe à l’eau au Winger, le bar de Jean Prat. Ce jour-là, le rugby est entré dans mes veines. »
Les références de Broncan junior étaient souvent rêvées. Les matchs, il les imaginait à travers la voix d’un homme alors très célèbre, Loys Van Lee, le prince de la radio. Les images étaient rares : « Je n’ai pas vu la Coupe du Monde de Foot de 1958. Mais je suis sûr d’avoir vu la finale du championnat 1959 quand le Racing de Marquesuzaa, Crauste et Moncla a battu le Mont-de-Marsan des frères Boniface. Je l’ai vu dans un bar, la seule télé accessible du canton. » Des matchs de haut niveau, Henry en vit relativement peu de ses yeux. Quelques-uns quand même, ceux du FC Auch à 24 kilomètres au nord, « Plusieurs voitures partaient du village le dimanche après midi. Mon père devenu boucher, chargeait du monde dans sa camionnette. Direction le vieux stade Mathalin pour un spectacle extraordinaire. À dix ans, j’étais surtout jaloux des ramasseurs de balles » Plus rarement, la camionnette mettait cap au sud, 71 kilomètres jusqu’à Lourdes, carrément, la ville de toutes les merveilles. En rugby ce n’était pas des miracles, mais des combinaisons répétées et exécutées au millimètre. Personne en France n’en faisait autant. « Il y avait un tel mythe autour d’eux, Avec ces coups de pied de recentrage. »
En ce début des années 60, Henry Broncan commença à faire son trou à Mirande Ce n’était pas un surdoué, pas un plaqueur non plus : « Disons que j’étais un stratège. » Pas de la graine d’international pour autant. En parallèle, cet enfant de milieu modeste se révélait franchement doué pour les études : « J’étais passionné d’histoire, avec deux périodes de prédilection : la Résistance qu’avait vécue ma famille et le Moyen-Age. » Diplômé du lycée de Mirande, il fut jugé assez brillant pour intégrer la classe d’hypokhâgne au grand Lycée Fermat de Toulouse, une sacrée promotion pour le petit Gersois qui n’avait jamais quitté sa campagne. Un changement d’univers aussi, avec la découverte de la grande ville. Henry joue pour la Violette, l’équipe du lycée de Fermat avec le père de Jérôme Cazalbou. Dans le civil, il signe au TAC, lié à l’usine chimique AZF : on disait alors l’ONIA. « J’aurais pu y entrer d’ailleurs. Le TAC m’a beaucoup apporté, je ne lui ai pas assez rendu puisque, je ne suis resté qu’un an, car je me suis marié très vite. J’ai dû arrêter hypokhâgne, et je suis revenu à Mirande pour travailler comme pion au lycée de Mirande qui m’a repris. C’est à ce moment-là, que j’ai vraiment joué en équipe première de Mirande. Nous étions en honneur, puis nous sommes passés en Excellence, puis en Fédérale. L’équivalent de la Fédérale 3 et de la Fédérale 2 sous la direction d’un entraîneur extraordinaire, Jacques Barbé. » Henry vit en parallèle une vie d’étudiant en Histoire, avec tout ce que ça comprend, les sorties, les troisièmes mi-temps dans un contexte de Dolce Vita. « Le Toulouse des années 60 était extraordinaire, peu de voitures, le temps de vivre. Les matchs universitaires étaient un régal. Des joueurs d’élite y côtoyaient des joueurs de série. Les Sciences, la Médecine étaient très forts. En Lettres, on se débrouillait avec pas mal de treizistes. »

Vie de bohême à Toulouse

Il le reconnaît bien volontiers, Henry n’était pas dévoré par l’ambition. Il serait bien resté toute sa carrière dans le cocon mirandais.
Il n’était pas un talent éclatant, mais ses qualités dépassaient clairement le cadre de son fief. La preuve il fut une fois remplaçant en équipe de France Universitaires, « derrière Jean-Henri Mir. » Mais en 1968, un homme vint lui rendre visite. André Garrigues, président de l’US Montauban champion de France en 1967. « Je pensais que je ne partirai jamais de Mirande, mais il a su me séduire. Il m’a sorti de mon cocon comme plus tard, Jacques Fouroux me sortirait de Lombez-Samatan. » Pour la première fois, Henry à 24 ans, tutoie le haut niveau tout en faisant son service militaire (il fut d’ailleurs champion de France avec son régiment, son seul titre national, N.D.L.R.). À Montauban, il côtoie Arnaud Marquesuzaa, une légende, celui qu’il avait vu brandir le Brennus à la télévision dix ans plus tôt. « Il m’a beaucoup marqué. C’était un conteur formidable, il nous parlait de ces duels avec les frères Boniface, ses matchs à Brive, les phases finales 1967. Il devait entraîner, mais il avais vite rejoué. Il allait moins vite, mais il conservait ce plaquage meurtrier. Il était tout le contraire de Jacques Barbé, chantre de l’attaque, lui, c’était avant tout le combat. » En 1969, Henry vécut un huitième perdu face à Graulhet, le sommet de son parcours sportif. « Ma deuxième saison montalbanaise fut tronquée, une fracture de la mâchoire qui m’a fait perdre douze kilos et puis, dans la foulée le ménisque. » J’ai alors accepté les propositions du Tuc, club lié au rectorat, avec les avantages qui vont avec. Professionnellement Henry découvrait l’enseignement, en tant que professeur de collège itinérant. « J’errais dans la banlieue toulousaine, à Portet, au Mirail, belle expérience. Les quartiers difficiles ne me déplaisaient pas. » Le Tuc, qui jouait en deuxième division était un club spécial, le troisième de Toulouse. Il avait formé l’arrière international Paul Dedieu, il était entraîné par Jean-Claude Baqué et renommé pour sa fameuse ligne d’attaque : Sieurac, Fuentès, Debat… « Ils ont fait le bonheur du club, mais pas vraiment le mien. Car avec eux, c’était tout pour l’attaque, et j’étais un demi de mêlée d’un autre style. Mais ils m’ont montré qu’on pouvait jouer au rugby autrement qu’à neuf. » Les fortes personnalités réclamaient le ballon, là où le 9 pragmatique jouait la sécurité surtout en fin de match. Dans ce contexte porté sur l’esthétique, Henry découvrait l’intérêt de la prise de risques. Le soir, il vivait toujours les délices de la vie toulousaine, mais il était père d’une fille, il devait jongler avec son emploi du temps. Et son épouse, ex-étudiante en droit, travaillait dans l’administration des impôts. Elle sera nommée à la perception de Saint-Lary. (Hautes-Pyrénées). Et puis, en 1972, la vie d’Henry bascule. À 28 ans, il est nommé professeur titulaire au collège de Samatan. Une nouvelle ère pouvait commencer.  Henry trouverait bientôt un terrain propice à l’expression de son potentiel de transmetteur.

Parties de « rugby sauvage »

Mais de la première partie de son existence, il garde un réflexe irrésistible : ne jamais s’endormir sans avoir ouvert un livre. Et un souvenir à jamais envolé ; ces parties de rugby sauvage de son village, dans le pré du Château de Castelbajac, que la famille aristocratique laissait libre. « Nous utilisons des peupliers en guise de poteaux. Il y avait des gars de tout âge, de cinq ans à quatorze ans. J’étais souvent capitaine et j’arbitrais tout en jouant, avec un ballon en caoutchouc ou un béret. Des gars de Mirande venus en voisin s’en souviennent et me reprochent encore mes erreurs. J’avais accordé un drop-goal qui parait-il n’avait pas touché le sol.  On commençait à 14 heures, on finissait à la nuit. J’ai toujours pensé que c’était l’expérience la plus formatrice, le plus beau des rugbys. Je l’ai dit dans une commission de la FFR. Les jeunes se respectent entre eux, celui de 14 ans va faire attention à celui de huit ans. Ils imitent leurs aînés tout en laissant leur créativité parler. C’était une autre version de notre guerre des boutons. Mais hélas, on ne voit plus ça, sauf vaguement dans les en-buts des matchs des grands. Parfois, sans savoir pourquoi, on passait au football où on rejouait le Tour de France et la côte voisine devenait notre Tourmalet ».

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