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Poite : « Si j’avais pu continuer, je l’aurais fait avec plaisir »

  • Romain Poite a arbitré Écosse-Australie pour son dernier match international. Romain Poite a arbitré Écosse-Australie pour son dernier match international.
    Romain Poite a arbitré Écosse-Australie pour son dernier match international. SnsPix / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Romain Poite espérait arbitrer jusqu’à la prochaine Coupe du monde mais World Rugby en a décidé autrement. Il a donc arbitré son 72e et dernier match international dimanche dernier à l’occasion d’Écosse - Australie. Il est le troisième arbitre le plus capé de l’histoire derrière Nigel Owens et Wayne Barnes. 

Vous avez arbitré votre dernier match international dimanche dernier. Comment avez-vous vécu ce 72e et dernier match ?

C’est bien sûr la fin d’une histoire. C’est surtout une page qui se tourne mais certainement pas un livre qui se ferme. L’annonce m’avait été faite en amont de l’événement, donc j’avais eu un temps de digestion. Et puis, il me reste une saison à terminer et j’aimerais la terminer de la meilleure des façons. J’ai essayé, et je pense que je suis arrivé à contrôler mes émotions. Je me suis centré que sur le côté technique et j’ai pu profiter pleinement de l’événement, même si ma famille n’a pas pu être là pour l’occasion.

En revanche, l’annonce de votre fin de carrière a été un peu abrupte et inattendue…

C’est vrai. C’est tombé vendredi matin avant le match, mais j’ai toujours dit que je n’étais que de passage. Je laissais à World Rugby la liberté de faire le communiqué dans le timing qui lui était préférable car ce n’était pas quelque chose d’important pour moi. Les retours ont été très agréables. Ce timing ne m’a posé aucun problème.

Quels ont été les explications de World Rugby pour vous signifier que votre carrière prenait fin ?

Bien sûr, ils m’ont expliqué les raisons qui les ont conduits à prendre cette décision. J’avais encore l’objectif de la Coupe du monde 2023 en ligne de mire mais je n’ai pas été en capacité de l’atteindre. Après, ce sont des choses qui resteront entre World Rugby et moi. J’avais eu des échanges après la Coupe du monde 2019 par rapport à la limite d’âge que j’allais atteindre. Des choses avaient été dites, et à condition que je remplisse les cases de la meilleur des façons ça me laissait l’opportunité d’être sélectionné en 2023, même si je n’avais aucune certitude. Ça arrive deux ans avant. Il faut l’accepter et se tourner sur ce que l’on interagit, c’est-à-dire le présent et l’avenir.

Que pensez-vous de ce couperet dû à l’âge ?

J’ai 46 ans, ça reste un âge avancé dans le sport, mais à partir du moment où l’on continue de prendre du plaisir en effectuant des performances acceptables, on pourrait se poser la question, mais ce n’est pas à moi de le faire. Moi, je dois accepter cette décision, tout du moins cette limite d’âge sans ouvrir le moindre débat car je ne suis pas décideur. Maintenant, beaucoup de jeunes arbitres arrivent dès l’âge de 25 ans. Donc vingt ans de carrière c’est déjà long pour se maintenir au plus haut niveau. Si j’avais pu continuer, je l’aurais fait avec plaisir. Mais, en tant qu’arbitre j’aimais que mes décisions soient comprises et respectées. Donc je vais rendre la pareille à ma direction.

Quels sont vos derniers objectifs pour cette dernière saison ?

Après avoir digéré l’amertume de la fin de l’aventure, j’ai pensé à la Coupe d’Europe. C’est une compétition assez magique et c’est un privilège d’y être investi. J’espère que je pourrais terminer ma carrière avec quelques matchs supplémentaires de Coupe d’Europe. Mais, ma première volonté est de finir la saison de Top 14 le plus proprement possible, en essayant d’y performer. Je veux y mettre un point d’honneur car il a toujours été important pour moi d’être reconnu dans son championnat avant de penser aux étages supérieurs. Ça a encore plus de valeur car on le vit au quotidien.

Finir à Murrayfield, ça devait être sympa…

C’est vrai que l’hymne écossais a cappella, c’est exceptionnel. En plus, j’ai trouvé qu’il y avait une ambiance très particulière, très forte. Le scénario du match y est pour quelque chose. Ça m’était déjà arrivé en 2011 à Murrayfield pour un match face à l’Australie, avec une transformation manquée en face des poteaux par Matt Giteau alors que les Australiens venaient de marquer sur le gong. Peu importe où j’allais finir ma carrière, c’est toujours un honneur d’arbitrer un match international. écosse - Australie ç’est une très belle affiche, et ça a été un bon match.

Quelle est la Coupe du monde qui vous a le plus marqué ?

J’ai beaucoup aimé toutes les Coupes du monde mais, celle en Angleterre, c’était quelque chose de particulier. J’ai toujours aimé arbitrer dans les îles britanniques et ça a été une formidable expérience et aventure humaine. La pression était exacerbée sur cette compétition. En Nouvelle-Zélande, nous étions un peu loin de tout. En Angleterre, nous étions au cœur de l’Europe, près de nos proches, sur un continent où le rugby est très populaire. Il y avait un engouement autour de l’événement qui était exceptionnel. En 2019, c’était différent car le Japon est une nation assez neuve au très haut niveau. Le rugby n’y est pas développé comme en Angleterre.

Vous avez vécu deux tournées des Lions britanniques. N’est-ce pas l’événement où la pression sur les arbitres est la plus forte ?

J’avais comme objectif d’en faire une troisième mais je n’ai pas eu cette opportunité. C’est quelque chose d’extraordinaire. Pour nous, latins, nous n’avons pas vraiment la mesure d’un tel événement. Ça dépasse le simple rendez-vous sportif, puisque c’est aussi politique et social entre guillemets car c’est le colonisateur qui revient dans ses anciennes colonies. C’est aussi gigantesque sur le plan financier et c’est enfin l’occasion de voir une sélection avec les meilleurs joueurs du monde qui se rend chez une des meilleures équipes du monde. Quand on commence à prendre l’avion, que l’on se retrouve en escale en Asie on commence à mesurer l’événement.

Vous voyez du rouge partout car vous avez 60 000 supporters britanniques qui voyagent pendant six semaines pour suivre cette équipe. C’est une saveur particulière et une pression assez démesurée mais on prend un réel bonheur à y participer. Ça sera deux grands souvenirs même si le dernier a été un peu douloureux car on n’a plus parlé de ma dernière décision, où j’ai préféré rester sur une mêlée plutôt que de donner une pénalité, que de ma performance sur l’ensemble de la tournée. On cherche jamais à faire parler de soi en tant qu’arbitre. J’étais seul dans mon bateau et le procédé m’avait particulièrement agacé. Mais c’est vraiment une saveur particulière et c’est une aventure humaine à trois puisque l’on vit ensemble. Des liens se créent. J’ai adoré travailler avec des arbitres étrangers, cela permet de confronter à des choses différentes et nous fait progresser. On apprend des uns des autres.

Vous avez aussi été écarté du Rugby Championship en 2013. Avez-vous eu peur que votre carrière internationale soit terminée ?

Cette année-là, l’Afrique du Sud était vraiment en bonne position pour remporter le Rugby Championship. C’était aussi ma petite finale cette année-là. Je m’étais trompé, en donnant deux cartons jaunes qui avaient entraîné l’expulsion de Bismarck Du Plessis alors que le premier avertissement n’était pas justifié. J’avais payé le prix fort pour cette erreur. Il faut être résilient. Accepter son erreur et s’en servir pour rebondir. Se développer, grandir, chercher les causes et essayer de faire en sorte que les conséquences soient différentes lorsque la situation se reproduit. On ne peut changer la décision donc la remise en question est toujours très importante dans l’arbitrage.

Cela doit nous poursuivre après chaque match pendant toute notre carrière. Sur les quinze années que j’ai vécues, j’ai vu que j’avais changé. L’homme a changé, grâce ou à cause de l’arbitrage. L’erreur de 2013 a permis de me développer. L’abnégation est aussi très importante. Il ne faut jamais se regarder en se trouvant beau. Ce n’est pas compatible avec la vie d’un arbitre. Si on ne trouve pas une dizaine de points par mi-temps à retravailler, c’est qu’il faut vite arrêter ce métier-là.

Vous êtes entrés dans le cercle fermé des arbitres que tout le monde connaît, comment avez-vous vécu cela, notamment avec les supporters ?

C’est vrai que j’ai vu l’évolution sur toutes ces années. Je crois que c’est dû à la popularité du rugby et à l’accessibilité des personnes de ce monde-là. Ce sont des bons moments à partager avec les supporters. Dans le respect, on peut dire des choses qui blessent mais que l’on peut entendre. Je peux même dire qu’il y a un supporter emblématique d’un club de Top 14 qui a mon numéro de téléphone et on s’envoie des messages. Il est très respectueux. L’image du rugby favorise ce genre de rapport et les gens qui vont au stade sont des vrais supporters, des connaisseurs et ce n’est jamais avec eux que nous avons des problèmes.

Et avec les joueurs ?

J’ai beaucoup de noms de joueurs dans le répertoire de mon téléphone. Ils ont compris qu’avant et après les matchs, beaucoup de choses étaient possibles. Pendant le match, c’est le business, c’est-à-dire que chacun est à sa place et tout le monde est là pour travailler. Après, on n’a pas l’obligation de s’interdire d’avoir des relations en dehors de ce temps-là. J’ai commencé en 2004 en Top 16 et j’ai vu arriver des générations de joueurs et des liens ont pu se créer. Il existe bien sûr des codes de communications qui sont voulus par World Rugby et la DNA mais nous ne sommes pas là pour s’affronter. C’est ce qui m’est arrivé avec Arthur Joly (début octobre en Top 14), qui heureusement a été bien perçu. Je crois que ça a donné un peu plus d’accessibilité à la relation que l’on peut avoir avec les joueurs. Les gens se sont rendu compte que nous sommes tous sur le carré vert avec la même passion et que l’on veut faire en sorte que tout se passe bien pour tout le monde.

Le capitaine australien, Michael Hooper, est venu avec un cadeau dans le vestiaire à la fin du match. Avez-vous été touché ?

Ce sont des moments qui resteront vraiment gravés. Ce week-end-là va rester longtemps dans ma mémoire, à travers tout le soutien que j’ai reçu et les remarques des joueurs, ça a été assez fantastique. Je ne le mesurais certainement pas auparavant mais c’est le genre de chose que l’on arrive à ressentir quand ça sent le sapin comme on dit. C’est agréable. Tout le monde a vu l’attention de Michael Hooper mais les écossais ont aussi partagé un vrai moment de convivialité. On se rend compte alors que ce que l’on a fait n’était pas détesté, que les joueurs reconnaissent alors une certaine compétence sur ce que j’ai fait pendant quinze ans même s’ils n’ont pas toujours été d’accord.

Beaucoup d’arbitres ont aussi salué votre carrière et certains se sont interrogés sur la décision de World Rugby. Est-ce le plus gratifiant ?

Énormément. Quand on est en activité, on est pris dans un ouragan. On passe d’une compétition à une autre. J’ai donc été assez touché. Je ne pensais pas avoir cette popularité dans le groupe des arbitres internationaux. J’en suis assez fier. Je suis assez réservé, mais on se souviendra de l’homme que je suis, de quelqu’un qui n’était pas désagréable. Garder des relations avec des anciens arbitres comme Nigel mais aussi bien d’autres, c’est important. Cela veut dire que l’on est quelqu’un de pas trop mauvais, dans le sens social du terme.

Vous souvenez-vous de votre premier match international ?

Je me souviens même de mon premier match de Cadet C ! C’était Balma contre le FCTT et je crois que le score était 16 à 9. Après mon premier match international, c’était Maroc - Namibie, qualificatif pour la Coupe du monde 2007. C’était le match retour et ça avait été très heurté. Je me souviens bien que j’avais exclu Jalil Narjissi. Ça avait été assez épique. On a très vite passé ce moment dans notre relation et on a passé des très bons moments avec Jalil. L’attente était tellement énorme pour le Maroc qui rêvait de cette Coupe du monde, où il aurait pu affronter la France à Toulouse. Finalement la Namibie s’était qualifiée. Après j’ai toujours aimé les matchs un petit peu acides. Alors je ne dis pas que je les ai tous très bien dirigés, que je n’ai pas commis d’erreurs dans ces matchs-là, mais j’aime quand les deux équipes sont très proches. C’était formateur.

Quel est le moment le plus drôle de votre carrière internationale ?

J’en ai fait des conneries (rires). On en rigole toujours après. Une fois, j’avais oublié mes cartons dans les vestiaires. Je voulais mettre un jaune et je n’ai pas pu le faire. Je crois que finalement j’avais croqué le joueur après la pause (rires). C’est ce qui restera aussi de l’épisode avec Arthur Joly. C’est vrai que les arbitres sont des coquins aussi (rires), comme les joueurs.

Quel est le stade international qui vous a le plus marqué ?

Le stade par excellence c’est le Millenium de Cardiff. C’est vraiment l’endroit où les arbitres aiment évoluer surtout quand le toit est fermé. C’est un peuple de rugby, un peuple festif et cela donne une ambiance magique. On va au stade à pied en fendant la foule pour arriver au stade. Et puis, j’ai eu la chance de diriger la finale de Coupe d’Europe en 2011 entre Leinster et Northampton et depuis j’ai une affection particulière. Après, il y a des stades de Top 14 qui sont aussi géniaux, avec une très belle atmosphère.

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Les commentaires (1)
Chabalou Il y a 2 années Le 01/12/2021 à 19:20

c 'est un bon arbitre. Agréable et appréciable. il va me manquer...et il va manquer à beaucoup