Le mythe du maillot noir : une invention involontaire et originale (2/3)

  • Jonah Lomu sous le maillot des Blacks
    Jonah Lomu sous le maillot des Blacks Sportsfile / Icon Sport - Sportsfile / Icon Sport
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Les Néo-Zélandais n’ont pas spécialement réfléchi à la symbolique de la couleur noire quand ils ont créé leur tenue. Mais ce fut sans doute la meilleure trouvaille marketing de l’histoire du sport mondial.

S’en sont-ils rendu compte ? Les Néo-Zélandais sont des inventeurs géniaux. Ils ont créé un maillot unique, comme une sorte de provocation au reste du monde. Peu de sélections et de clubs arborent une telle couleur, chargée de négativité. Depuis la fin du XIXe siècle, ils jouent en noir, la couleur du deuil, ou au mieux la couleur du classicisme, de l’austérité et de l’efficacité. Si l’on suit les travaux de Michel Pastoureau, historien des couleurs, on ne peut pas ne pas associer la couleur de la meilleure équipe du monde à celle de la victoire, célébrée dans une atmosphère liée à la rigueur de la culture protestante. Ce fut longtemps l’ambiance qui régnait dans l’archipel du bout du monde. Dans cette culture, les couleurs vives étaient associées à la fantaisie débridée teintée d’immoralité. On s’est ainsi rendu compte que l’Américain Henry Ford, protestant typique, ne voyait pas ses fameuses Ford T autrement que de la couleur de la nuit la plus sombre. Une carrosserie rouge écarlate ou vert émeraude n’aurait pas véhiculé la même touche de sérieux.

Pourtant, les témoignages historiques décrivent la première sélection néo-zélandaise vêtue de maillots bleu foncé. C’était en 1884, lors d’une tournée en Australie et la fougère était dorée. Mais en 1893, en effet, un premier maillot officiel fut fourni par la NZRFU. Il était noir et les historiens ne peuvent guère fournir d’explication. Il n’y a pas de noir dans le drapeau national (il reprend les couleurs et les symboles de l’Union Jack). Il semble que le noir était la teinte la plus commode et la moins chère à produire pour les fabricants de l’époque, à qui on demandait 25 tenues d’un coup.

D’autres, tout aussi peu romantiques, ont avancé l’idée que le noir était la couleur la plus susceptible de masquer la saleté provoquée par les ébats des joueurs dans la boue. On sait qu’en 1888-1889 une équipe appelée « New Zealand Native Teams » portait déjà des tuniques noires pour une tournée en Grande-Bretagne. Elle n’était pas l’équipe nationale proprement dite, mais une forte sélection composée d’une grande majorité de Maoris.

Sam Whitelock, le numéro 8 néo-zélandais, avec l'un des nombreux maillots des All Blacks
Sam Whitelock, le numéro 8 néo-zélandais, avec l'un des nombreux maillots des All Blacks PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport

All Blacks, All backs

On a retrouvé des propos du capitaine des « All Blacks » de 1893 Thomas Rangiwaliha Ellisson (qui fut de l’épopée des natifs et le premier avocat d’origine polynésienne). Lors de l’assemblée générale, il propose « une tunique noire avec des flottants blancs et des bas noirs, ainsi qu’une fougère en argent. » On peut le considérer comme l’inventeur de la tenue mythique. À noter que les photos (en noir et blanc) montrent une sorte de scapulaire qui s’étend jusqu’aux épaules, de couleur grisâtre.
La fougère argentée est une spécificité botanique néo-zélandaise qui s’est imposée naturellement comme un emblème national. Il semble que la sélection soit passée aux flottants noirs dès les années 1897-1901. La collerette a subsisté jusqu’à la tournée 1905-1906. C’est à ce moment-là qu’un journal anglais a forgé la fameuse expression : les « All Blacks » au lieu des « All Backs » (tous arrières, pour souligner leur habileté). Coquille géniale et fondatrice. On imagine que la formule a fait tilt dans la tête des dirigeants de la NZRFU qui se sont sentis obligés de jouer la carte du noir total, générateur de la peur qu’étaient censés éprouver les opposants.

Le scapulaire a vite disparu. La seule alternative au noir absolu fut un col montant blanc apparu semble-t-il dans les années 20. Il s’est maintenu jusqu’en 1999, lorsque Adidas a fourni un maillot moderne par sa texture mais d’un délicieux intégrisme ténébreux : pas une once de clair dans la tenue portée par Jonah Lomu. Des sortes de petits cols « mao » blancs sont revenus par la suite. Mais le maillot des All Blacks est toujours resté aussi fascinant à nos yeux. Parce que sa nature même a obligé les équipementiers à rivaliser de respect pour lui. Les aménagements furent toujours subtils et discrets (hors les logos inévitables, paraît-il). Les multinationales se sont interdit les facéties extravagantes condamnées à mal vieillir comme les maillots français et anglais en connurent parfois. Pour tout ça : respect pour ce maillot noir destiné à porter le deuil des adversaires.

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