Domi, un an plus tard...

Par Marc Duzan
  • Christophe Dominici nous a quitté il y a un an.
    Christophe Dominici nous a quitté il y a un an. Dave Winter / Icon Sport
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Le 24 novembre 2020, Christophe Dominici perdait la vie dans un tragique accident. Aujourd’hui, son épouse Loretta et son père, "Janot", nous racontent la vie d’après…

Il est des dates qui font désormais partie, pour des raisons d’ailleurs fort dissemblables, de la mémoire collective du petit peuple du rugby français : le 14 juillet 1979, le XV de France s’imposait pour la première fois en Nouvelle-Zélande ; le 23 octobre 2011, les Bleus s’inclinaient d’un point en finale de Coupe du monde ; le 29 mai 2010, Clermont remportait le Bouclier de Brennus après un siècle de malédiction ponctué de onze défaites en finale ; le 24 novembre 2020, Christophe Dominici, l’un des plus grands ailiers de tous les temps, perdait la vie dans un terrible accident…

Un an plus tard, personne n’a oublié où il était, à l’instant où le décès de "Domi" fut annoncé : qui au bureau, qui sur le canapé, qui en voiture, qui à l’entraînement… Cet après-midi meurtrier, aucun de nous n’encaissa d’ailleurs le coup sans vaciller. à tel point que l’on vécut la série d’hommages qui suivit comme une nouvelle morsure dans une plaie encore béante. Il y eut Bernard Laporte, détruit par la perte : « Je ne peux me résoudre à te rendre hommage, "Domi". Cela signifierait une fin que je n’ai pas envie de sonner : tu étais le James Dean du rugby, le héros de la Fureur de Vivre, le vent qui balayait les obstacles. » Il y eut Vincent Moscato, largement à contre-emploi : « Tu t’es fait la malle d’un autre crochet nous laissant aujourd’hui la gueule dans la main courante. Mais cette fois, personne n’a applaudi. » Ou la petite Chiara, à jamais inconsolable : « Mon papa d’amour, tu m’as été enlevé trop vite. J’avais encore besoin de toi et depuis, j’écoute tes musiques en boucle. Tes bisous, tes câlins et ton sourire me manquent tellement. » Depuis, l’ouragan ayant suivi la mort de "Domi" s’est naturellement éteint mais, au fil des mois, son nom n’a jamais cessé de vivre : l’hiver dernier, les supporters du RCT et du Stade français imaginèrent d’abord le trophée Dominici, remis à l’un ou l’autre des deux clubs, en fonction du résultat ; le centre d’entraînement des Soldats roses, dans le XVIe arrondissement parisien, fut de son côté rebaptisé stade Christophe-Dominici quand à Marcoussis, Bernard Laporte décida de nommer le bar de la résidence du XV de France "Chez Domi", se rappelant probablement ce jour de 2007 où, quelques heures après avoir été battu par l’Argentine lors du match d’ouverture du Mondial, l’ailier des Bleus organisa une bringue sauvage dans un bar du village où il put, avec ses coéquipiers, crever quelques abcès…

"Janot" Dominici : « Je me pose mille questions »

Un an après le drame, "Janot" Dominici, le père de Christophe, sait qu’il n’y aura plus jamais pour lui de nuit sereine : « Je me pose encore mille questions : "Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?" Je me reproche tant de choses. J’aurais dû m’occuper davantage de lui, monter à Paris plus souvent, le soigner. » L’investigation qui avait suivi la mort de "Domi", elle, a depuis été conclue par la police nationale. Elle a écarté la thèse du suicide. « L’enquête est bouclée, poursuit "Janot". C’était un accident. Un accident qu’on aurait pu éviter…» Il marque une pause et enchaîne, la voix à présent tremblante : « Je n’ai jamais pensé au suicide. Il était fou de ses petites. » Benjamin Bagate, le grand ami des ultimes jours, va plus loin : « Nous avons tellement passé de temps ensemble avant qu’il ne disparaisse que je culpabilise encore, aujourd’hui. Je me dis : "Qu’est-ce que j’ai manqué ? L’ai-je suffisamment aidé ?" Je m’en veux et j’en veux au monde du rugby : il n’a pas été aussi présent qu’il veut bien le dire aujourd’hui. à la fin, Christophe était seul avec Loretta et les petites. » Ceux-là feront-ils un jour leur deuil ? Tourneront-ils un jour la page ? « Je pense à lui tout le temps, enchaîne Bagate, aujourd’hui entraîneur d’Oloron, en Fédérale 1. Au-dessus de ma télé, j’ai accroché son plus beau portrait. Le temps n’y fait rien. Je ne m’habitue pas à son absence. J’ai toujours l’impression que le téléphone va sonner et qu’il me racontera tel match, telle bringue, tel truc… Il avait vécu mille vies, vous savez. » Et manque terriblement à ses deux filles, Chiara et Mya : « Elles sont courageuses, dit "Janot" Dominici. Mais ce n’est pas facile, vous savez : la petite croit que son père va revenir et que nous reprendrons tous la vie d’avant. » Et lui, a-t-il une échappatoire, une bouée de sauvetage ? « Non, coupe-t-il. Je suis juste révolté. On m’a pris mes deux enfants (Pascale, la sœur de Christophe Dominici, a perdu la vie il y a une trentaine d’années, N.D.L.R.). Je ne prie plus parce qu’il n’y a pas de bon Dieu, ce n’est pas possible. »

À l’heure d’exhumer les témoignages qui l’ont le plus marqué, "Janot" ne sait pas par où commencer. « Nous avons reçu deux messages magnifiques de Nicolas Sarkozy, dit-il maintenant. Ils s’étaient fréquentés, à un moment de leur vie. Quand Monsieur Sarkozy a perdu les élections (en 2012), Christophe était même passé à l’Élysée avant que le président n’en parte, pour prendre un café et le réconforter. » Au téléphone, on devine un sourire. "Janot" Dominici reprend : « Après la mort de Christophe, beaucoup de ses camarades de l’équipe de France sont aussi passés à la maison. Fabien Pelous, que je pensais froid, a été extraordinaire. Thomas Castaignède aussi. Quant à Fabien Galthié, il m’appelle une fois par semaine pour prendre de mes nouvelles. C’est adorable. Rien ne l’y oblige. »

 Hyères, une tombe jonchée d’hommages

Au cimetière de la Ritorte à Hyères (Var), la tombe croule sous les hommages, les gerbes de fleurs, les présents abandonnés par des quidams sur le marbre gris de cette "dernière demeure", comme on dit. "Janot" Dominici n’en revient pas : « C’est un truc de fou. Des gens viennent de toute l’Europe, tous les jours. Un mois après la mort de Christophe, deux jeunes Biarrots ont traversé la France pour lui rendre un hommage ; ils ont fait l’aller-retour dans la journée. La semaine dernière, c’était un jeune couple de Belges. Trois jours plus tôt, ce sont quelques minots qui ont déposé des fleurs. Max (Guazzini) vient aussi très souvent. Tout ça fait chaud au cœur. » Il y a peu, "Janot" Dominici pensait qu’il se rendrait au Stade de France pour assister au dernier France - Nouvelle-Zélande, le remake d’un match qui fit de son fils une star. Au dernier moment, une alerte cardiaque lui a fait changer ses plans. Les Blacks, hein ? « Il m’a souvent parlé de ce match de 99, raconte Benjamin Bagate. Il disait : "Des matchs comme ça, tu en joues un seul dans ta vie. à Twickenham, j’avais l’impression de voler." Ce récit me foutait les frissons. » à l’automne 2021, c’est Loretta, l’épouse, qui a repris avec une incroyable détermination les affaires d’eau et de vin de son mari. "Janot" poursuit : « On lance mercredi une marque de fringues sportswear, appelée "Domi". Les vêtements sont brodés et tous fabriqués ici, à Sanary-sur-Mer. J’espère que les gens trouveront ça joli. »

Loretta : « On ne refait pas sa vie, on la continue »

Loretta Denaro, elle, vit toujours à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), aux côtés de Chiara et Mya. « Il y a des jours avec et des jours sans », confie-t-elle en préambule. « Sa disparition me semble encore irréelle, impensable. Mais j’essaie de sourire, de me battre, d’aller de l’avant. "Go et Win !", disait-il souvent. Alors tous les matins, je me lève et je me bats. » Les raisons d’y croire existent, après tout : le mois dernier, un chef étoilé du Japon l’a contactée pour lui annoncer qu’il lançait un menu dédié à son époux disparu. Elle poursuit : « On a également commencé à exporter le vin de la Maison Dominici en Asie, plus spécialement en Chine. L’héritage de Christophe est immense. »

Au quotidien ? Loretta s’appuie sur un rocher, qu’elle dépeint ainsi : « Bernard (Laporte) ne nous a jamais lâchées. Sa présence est constante. Il est pour nous une force discrète, tranquille. Bernard fait partie de ceux qui ont mille choses à raconter à propos de Christophe. Ces histoires font du bien aux petites, qui sont en recherche de ce genre de choses. Cela fait revivre le gentil gangster que nous connaissions. » Elle marque une pause et, au téléphone, on devine à présent un sourire : « En voyant récemment les All Blacks à la télé, j’ai repensé à ce que me disait Christophe : "Tu sais qu’une étude a démontré que Jonah Lomu, à pleine vitesse, possède la puissance d’une Twingo lancée à 40 km/h ? Tu te rends compte que tu vis avec un homme ayant arrêté une Twingo, Loretta ?" Ce qu’on riait, ces soirs-là…» A ceux qui l’incitent aujourd’hui à faire son deuil, l’Italienne répond souvent : « Je ne comprends toujours pas l’expression "tourner la page". On ne refait pas sa vie. On la continue, c’est tout… »

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