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Labit-Servat-Ghezal : le staff des Bleus décrypte la tournée d'automne

  • Labit-Servat-Ghezal : le staff des Bleus décrypte l'exploit des Bleus
    Labit-Servat-Ghezal : le staff des Bleus décrypte l'exploit des Bleus Midi Olympique. - Patrick Derewiany.
Publié le Mis à jour
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Au lendemain de la victoire sur la Nouvelle-Zélande, Laurent Labit, William Servat et Karim Ghezal, les trois entraîneurs du XV de France, ont accepté, chacun sur leurs secteurs de jeu, de revenir sur les trois succès acquis durant cette automne et d’en dresser le bilan. Décryptage d’une tournée franchement réussie.

La stratégie offensive

Qu’est ce qui vous a le plus satisfait dans le jeu de ligne de votre équipe, durant cette tournée ?

Laurent Labit : Franchement, durant la première mi-temps contre la Nouvelle-Zélande, nous avons flirté avec la perfection en termes d’organisation, de gestion des temps forts, des temps faibles. On a su rejouer au pied quand c’était nécessaire, retrouver de l’avancée au près sur les ballons lents… Durant 40 minutes, nous avons quasiment roulé sur les Blacks. C’était énorme. Nous n’avions pas imaginé un tel scénario de match avec 40 points inscrits au final. Quel plaisir de travailler avec des joueurs qui répondent présent.

Quel bilan faites-vous des lancements de jeu utilisés durant cet automne ?

L. L. : Nous avons eu assez peu de lancements parfaits. Nous étions un peu le cul entre deux chaises sur les deux premiers matchs. Nous voulions avancer mais sans trop en montrer. Certains de nos lancements, nous les avons gardés uniquement pour ce dernier match contre les Blacks. Les montrer trop tôt, c’était prendre le risque d’être contrés. Or, pour nous, le sommet, c’était ce match contre la Nouvelle-Zélande.

Le choix de mettre plus de densité, notamment au milieu de terrain avec la présence de Jonathan Danty, a-t-il été une clé importante de la victoire sur la Nouvelle-Zélande ?

L. L. : C’est une évidence. Nous avions deux axes forts sur cette tournée. D’abord, les deux premiers matchs, c’était le moment idéal pour tester notamment l’association Matthieu Jalibert-Romain Ntamack. Nous voulions savoir si ces deux joueurs de talent avaient la possibilité d’évoluer ensemble, soit en cours de match, soit dès le début d’une rencontre en fonction de l’adversaire avec une stratégie différente. Seulement, nous savions que les Néo-Zélandais allaient travailler sur cette configuration et nous proposer une stratégie pour nous contrer. Je n’irai donc pas jusqu’à dire que c’était finalement pour faire diversion, mais l’idée de départ n’était pas de les aligner contre les Blacks. Nous ne voulions pas montrer tous nos axes de travail sur cette tournée.

N’était-ce pas risqué ?

L. L. : Nous savions qu’avec la richesse de notre effectif, les joueurs de talent que nous avons, il n’y avait pas de risque. Jouer deux matchs au centre pour Romain (Ntamack) et repasser à l’ouverture, ça ne lui pose aucun problème. Vous l’avez bien vu. Ces joueurs sont au service de l’équipe.
 

L’association Jalibert - Ntamack

Cette association, même si elle n’a pas été probante, vous offre-t-elle aujourd’hui une option ?

L. L. : Nous y pensions depuis un moment. Or, plus la tournée s’est approchée, plus nous avons perdu de joueurs sur blessure au poste de centre. D’abord Pierre-Louis Barassi, puis Arthur Vincent et Virimi Vakatawa. Jonathan Danty, après avoir été opéré d’un genou, n’avait joué que deux matchs. Pour nous, c’était la fenêtre idéale pour essayer cette association, sans trop dévoiler notre stratégie pour le troisième match. Mais ça ne nous a pas empêchés de travailler à l’entraînement.

Cette association n’est-elle pas surtout précieuse pour la gestion en fin de rencontre ?

L. L. : On ne s’interdit pas de l’utiliser dès le début d’une rencontre, mais effectivement le talent et les compétences de ces deux joueurs, associés en fin de match, ça peut être précieux si on veut espérer quelque chose en 2023. C’est aussi pourquoi nous avons essayé cette configuration avec six avants et deux arrières sur le banc. Au moins, si demain, nous y sommes contraints, nous aurons quelques certitudes. Cette tournée, c’est du temps de gagné pour l’avenir car les joueurs seront préparés à ce genre de scénario.

 

La concurrence au centre

Au centre, la paire Fickou Vakatawa semblait avoir une longueur d’avance sur la concurrence, or les performances d’Arthur Vincent en Australie et de Jonathan Danty cet automne vont-elles vous contraindre à revoir vos plans ?

L. L. : Vous oubliez aussi Yoram Moefana ou encore Tani Vili. Notre méthode de travail à 42 joueurs nous permet d’avoir cinq ou six centres en permanence avec nous. C’est précieux. Tous font partie de ces joueurs qui vont dominer le rugby international dans les années à venir.
 

Le travail des ailiers

Dans votre ligne de trois-quarts, un garçon comme Gabin Villière dézone très régulièrement alors que Damian Penaud le fait moins souvent. Pourquoi ?

L. L. : Ça fait partie du rugby d’aujourd’hui : les ailiers opposés ont une totale liberté. Ils peuvent « dézoner  » et venir chercher des ballons autour de la charnière. C’est ce que l’on demande à nos ailiers car ils ont le temps de retrouver leur place. Gabin est un formidable joueur dans ce registre. Pour Damian, c’est moins évident, un peu à l’image de Teddy Thomas qui reste trop souvent collé à sa ligne. Pour nous, ce sont des voies d’amélioration dans les mois à venir. Car le danger vient souvent de ces joueurs libres.

 

Les axes de développement du jeu de ligne

Quels sont encore les axes de développement dans la perspective du prochain Tournoi des 6 Nations ?

L. L. : Même si nous avons fait preuve d’une grande froideur, d’une grande sérénité, à l’exemple de notre première mi-temps samedi soir, nous avons aussi vu nos lacunes en début de seconde mi-temps. Nous avons donné le bâton pour nous faire battre. Une faute de main, une pénaltouche non trouvée ou encore un ballon perdu en touche et les Blacks sont revenus. Nous avons encore des axes de progrès. Notre équipe n’a que 18 sélections de moyenne, mais nous avons encore deux ans pour être prêts le 8 septembre 2023. Et pouvoir regarder tous nos adversaires, les yeux dans les yeux.
 

Les attitudes au contact

La domination physique exercée par vos joueurs samedi soir a-t-elle été la clé du succès ?

William Servat : J’avais dit que cet automne, c’était la tournée du combat. Le programme qui nous était proposé avec l’Argentine, la Georgie et enfin les Blacks, allait dans ce sens. Tout ce jeu au contact, nous le travaillons depuis le début. Sans doute avons-nous touché les dividendes du travail entrepris depuis de long mois. Et ce travail, ça ne concerne pas que le jeu d’avants, ça implique tous les joueurs. Il est ici question des collisions qui doivent être au service du jeu. Quand je vois « Toto » Dupont avancer à l’impact parce qu’Anthony Jelonch est au soutien et lui fait gagner des mètres précieux, quand je vois les nettoyages de Paul Willemse ou d’autres sur les phases de rucks, j’ai le sentiment que nous avons tapé fort. Très fort. Et avec beaucoup de précisions. Je suis persuadé que c’est ce qui nous fait gagner la rencontre.

Quel est le secret ?

W. S. : Je me souviens qu’au Stade toulousain, l’idée n’était pas d’aller chercher le défi physique uniquement pour le défi physique. Mais le défi physique pour trouver l’intervalle, pour ouvrir les espaces, pour essayer de jouer debout. C’est ce que nous essayons de mettre en place et qui permet de construire des performances comme celle de samedi.
 

La stratégie du défi physique

N’avez-vous pas aussi essayé de resserrer la défense néo-zélandaise avec du jeu au près ?

W. S. : C’était le prolongement du jeu que nous avons pratiqué en Australie l’été dernier. Certes, avec des charnières moins habituées que Romain Ntamack ou Matthieu Jalibert peut-être plus disposés à gérer ce jeu, mais avec des avants très concernés. Ce jeu-là, on le pratique depuis le début mais on y rentre de mieux en mieux. Toutes les phases de rucks, toutes les phases de contact sont de plus en plus efficaces. Tout le monde s’est mis au diapason. Nous avons travaillé depuis notre premier Tournoi sur ce secteur de jeu des phases de collision. Et aujourd’hui, nous en tirons profit. Je suis vraiment heureux de voir à quel point nous sommes capables de travailler en complémentarité entre avants et trois-quarts. Nous arrivons vraiment créer des mouvements collectifs autour de ces phases de jeu et c’est vraiment très valorisant car c’est peut-être ce qu’il y a de plus difficile : trouver de l’organisation au milieu de la désorganisation. Et tout part du travail effectué sur le ruck et les attitudes au contact.
 

La mêlée fermée

Quel bilan faites-vous de la mêlée sur cette tournée ?

W. S. :Nous avons été ultra-dominants encore une fois. Des mêlées des Blacks qui reculent comme samedi qui se font emporter dans l’en-but, ce n’est pas monnaie courante. Des avantages donnés sur cette phase de jeu contre les Néo-Zélandais, ce n’est pas non plus tous les jours. Mais la vérité d’aujourd’hui n’est pas toujours celle de demain. Il faut toujours se remettre en cause et avoir de l’humilité.

Mais n’avez-vous pas encore plus de certitudes sur la qualité de vos hommes ?

W. S. : Le petit Baille a été exceptionnel, mais les rentrées de Jean-Baptiste Gros ont été exceptionnelles. Ils avaient besoin de jouer, de compétition. C’est un joueur de très haut niveau. On peut aussi parler de Peato Mauvaka qui a marqué cinq essais en trois matchs. Il aurait un maillot noir, on aurait pu le prendre pour un All Black. Mais ce qui me séduit le plus, c’est la complémentarité que nous avons entre les joueurs. Julien Marchand a d’autres qualités hyper intéressantes.

La qualité de votre mêlée valide-t-elle aussi votre choix de positionner Cameron Woki en deuxième ligne ?

W. S. : Des interrogations, il y en a eu beaucoup. À juste titre. Sur Uini Atonio par exemple. Sur Cameron également. Mais cette performance valide nos convictions. Cameron est un fort potentiel, en plein développement. Il va encore continuer à s’épaissir. Et tant mieux. Parce que je me souviens de certains matchs où Guy Novès me faisait passer au poste de numéro huit quand je commençais à fatiguer. Comme par hasard, le fait de ne plus pousser en mêlée, de ne plus être pris dans cet étau, je retrouvais un peu de gaz et je me remettais à courir avec de la vitesse.
 

La conquête aérienne

 

Quel bilan faites-vous de ce secteur de jeu ?

Karim Ghezal : Ce n’est qu’une étape, mais je suis très satisfait. D’abord, Cameron (Woki) a parfaitement assumé sa responsabilité de leader de touche. Cameron n’avait été titulaire que quatre fois, sur les huit sélections qu’il avait, il avait eu la charge des annonces à quatre reprises. J’avais fait un vrai travail entre les compétitions avec les leaders et notamment avec lui lorsque je suis allé le voir à Bordeaux. Pourquoi ? Parce que je savais que sur cette tournée, nous aurions en face de nous Guido Petti avec 60 sélections ou encore Sam Whitelock qui depuis qu’il joue avec les Blacks a toujours eu cette responsabilité. Je n’avais pas d’inquiétude sur le potentiel de Cameron. Pourtant, le premier match n’était pas facile pour lui face à son coéquipier de club. Résultat : une touche perdue lorsque Cyril Baille a été contraint de lancer en raison du carton jaune de Julien Marchand. Sur le deuxième match, nous avons fait 100 % de réussite (19/19). Et enfin, contre les Blacks, il a aussi répondu présent. À part une petite erreur, il a été parfait. Nous avions travaillé sur le fait que les Blacks jouent très vite leurs touches.

 

La préparation des trois rencontres

 

Comment avez-vous géré les trois oppositions avec des alignements aux profils différents ?

K. G. : Nous avons travaillé sur deux blocs, quasiment avec les mêmes touches pour l’Argentine et la Géorgie car je savais que ça pouvait très bien passer. Avec l’idée de bien bosser sur les ballons portés car nous nous doutions que nous aurions pas mal de pénaltouches contre la Géorgie. Nous travaillons beaucoup sur le temps qui s’écoule entre une touche marquée et une touche jouée. Là-dessus, les Blacks jouent plus vite que toutes les autres nations, avec un écart de 10 secondes en moyenne. Il faut donc être réactif. Nous en avons fait un gros focus durant quatre semaines. Et nous avons changé quatre touches pour le match des Blacks. Un exemple : Greg Alldritt a sauté alors qu’il ne l’avait pas fait lors des deux premiers tests. Idem pour Paul Willemse.
 

Le manque de variété

Les annonces ont souvent visé la zone de saut de Cameron Woki. N’est ce pas risqué de ne pas varier davantage ?
 

K. G. : Ça a toujours été ma philosophie. J’utilise les meilleurs joueurs aux meilleurs endroits. Par exemple, sur les deux derniers Tournois, Charles Ollivon avait la charge des annonces sur toutes les rencontres. Il a terminé meilleur sauteur sur ces deux Tournois. J’essaie toujours d’utiliser au maximum les meilleurs sauteurs, les meilleurs défenseurs en l’air, les meilleurs lifteurs. Ce qui est important, c’est de savoir ce qui fonctionne contre une équipe qui défend en vis-à-vis ou qui défend en blocs. Un exemple : sur les touches complètes, les Blacks défendent en bloc, mais en vis-à-vis sur les touches réduites. On s’est donc adapté sans rajouter quinze touches. Sur ce match, nous n’avions prévu que sept touches différentes.
 

L’efficacité sur les ballons portés

Comment avez-vous travaillé sur le secteur des ballons portés qui a longtemps été un maillon faible par le passé ?
 

K. G. : Au départ, mon credo a été de travailler la défense des mauls. C’était important en termes d’état d’esprit. Les mauls offensifs, je les avais en tête depuis un moment. Seulement, sur le premier Tournoi 2020, nous n’avons eu que trois pénaltouches à jouer : une contre les Gallois où on marque sur combinaison avec Paul Willemse et deux contre l’Italie. Résultat : aucun essai sur ballon porté. Durant la Coupe d’Automne, nous avons eu une pénaltouche contre l’Italie concrétisée par un essai. Même sur le Tournoi 2021, les situations de pénaltouche ont été rares. Nous en avons eu quelques-unes sur la fin contre le pays de Galles et l’Ecosse. Nous avions été performants mais avions manqué d’efficacité. Inversement, on défend beaucoup sur pénaltouche, ce que l’on fait très bien. Quasiment quatre par match. C’est énorme. En Australie, on en a même défendu quinze, soit cinq par match, sans céder. Idem sur cette tournée d’automne avec sept défenses de ballons portés pour 100 % de réussite.

Et sur le plan offensif ?

K. G. : Nous en avons eu huit au total : six contre la Georgie, deux contre les Blacks. Avec un taux de réussite intéressant puisque nous marquons cinq fois. Le vrai boulot, c’est Paul Willemse qui l’a fait. Les Blacks défendent au sol, parviennent toujours à passer une main qui empêche la structuration du maul. Or Paul, avec sa densité, a réussi à chaque fois à prendre la place et à annihiler les tentatives néo-zélandaises. C’est un paramètre que nous avons travaillé durant quatre semaines. Tout comme nous avons travaillé en lien étroit avec Vlok Cilliers pour que les buteurs trouvent des pénaltouches au plus près de la ligne. Une touche à cinq ou dix mètres, ce n’est pas pareil. Ça, les Anglais l’ont bien compris. Pour nous, ces chiffres de réussite ne sont pas une fin en soi. Ce n’est pas parce que nous avons beaucoup marqué sur ballons portés sur cet automne que nous allons faire ça. C’est juste une étape et surtout une arme supplémentaire pour l’équipe.

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