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Mauvaka, les larmes d’un roi

  • Peato Mauvaka, auteur d’une performance remarquable face aux All Blacks a rendu hommage comme il se doit à son père. Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany
    Peato Mauvaka, auteur d’une performance remarquable face aux All Blacks a rendu hommage comme il se doit à son père. Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany
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Ému aux larmes au coup de sifflet final, le Toulousain Peato Mauvaka a vécu un moment fort au Stade de France. Et ce n’était pas parce qu’il a marqué un doublé face à la meilleure équipe du monde. Les raisons de son émotion sont à trouver du côté de son histoire personnelle, marquée par la perte de son père.

L’image était belle. Et tellement touchante, aussi. On veut parler de la longue étreinte entre le talonneur Peato Mauvaka et l’entraîneur des avants Bleus, William Servat, quelques secondes après le coup de sifflet final donné par l’arbitre Wayne Barnes. L’ex-talonneur tricolore, qui venait d’apporter le tee à Melvyn Jaminet pour que ce dernier passe la pénalité des « 40 grains », si symboliques dans notre jeu, revenait vers le banc de touche. C’est là qu’il croisa son jeune avant qui, depuis de longues minutes, ne parvenait plus à contenir ses larmes et qu’il prit un long moment dans ses bras. Une si longue et poignante étreinte qui s’explique par le puissant lien affectif unissant les deux hommes, et qui fut créé par un drame : la disparition accidentelle du père de Peato Mauvaka, le 16 décembre 2018. Servat était alors entraîneur adjoint au Stade toulousain. Peato, lui, n’avait pas encore honoré sa première titularisation en club. Ou plutôt, il allait le faire quand son père fut mortellement empoisonné par un foutu poisson à Souane-Patita, là où le jeune talonneur avait grandi en Nouvelle-Calédonie, à 17 000 kilomètres d’Ernest-Wallon.

Mauvaka honora comme un chef sa première titularisation face à Clermont. Mais les semaines qui suivirent furent très douloureuses. C’est là que William Servat intervint. C’était lors d’une séance de lancers en touche. Son jeune talonneur allait mal. Il n’avait pas la tête à se soucier de l’alignement de ses coudes, de la position de ses pieds ou de je-ne-sais-quel principe biomécanique pour envoyer cette maudite gonfle dans une cible à 12 mètres de là. Mauvaka nous avait raconté ce moment : « Il m’a demandé : « Qu’est-ce qu’il se passe ? Je ne te sens pas spontané en match. » J’ai répondu : « Rien du tout. » Mais il a insisté : « Quelque chose ne va pas dans ta vie personnelle. » Il savait où était le problème. J’ai bien sûr pensé à mon père et j’ai fondu en larmes. William m’a dit de laisser les ballons et de le suivre. On a marché autour du terrain et on a parlé. Cette discussion m’a soulagé, j’avais besoin d’évacuer et, depuis, je suis libéré dans mon jeu. »

« C’était son équipe favorite… »

La suite, vous la connaissez. Le Calédonien a depuis remporté des titres avec son club, et a été appelé à rejoindre le groupe France. Sauf que samedi soir, il a vécu un match très spécial : il a affronté l’équipe que son père admirait, la Nouvelle-Zélande. Mieux, il l’a battue. Mieux encore, il lui a inscrit deux essais, et a été élu homme du match. Vous imaginez ce qu’il s’est passé dans sa tête au coup de sifflet final ? Non, certainement pas. On ne peut pas le faire. On pouvait simplement se contenter de constater à quel point le talonneur était dans un état second au moment de répondre aux questions de la journaliste de France Télévision Cécile Grès. Les yeux rougis par les larmes, il se grattait nerveusement la tête de sa main gauche, puis de sa main droite. Un geste parasite clairement destiné à évacuer, sans succès, un trop plein d’émotions. Et ses mots. Rares, hâchés par la peine, mais tellement vrais et authentiques : « Pfff… C’était un rêve… j’ai joué contre l’équipe favorite de mon père et ça… ça me… Je pourrais pas décrire mes émotions. Je suis désolé » s’excusait une première fois le jeune talon, avant que l’émotion le submerge à nouveau juste après la relance de la journaliste. « Je suis désolé, je ne peux pas parler. » Touchée par ce moment, Cécile Grès eut la classe et la délicatesse de libérer son interlocuteur, qui échangea en suivant une accolade avec son sélectionneur Fabien Galthié.

En pensant à Kipling

En mai 2019, il nous confiait ceci : « J’aurais simplement aimé que mon père soit là pour voir ça. Ce fut si brutal… 21 ans, c’est beaucoup trop jeune pour perdre son père. Surtout qu’il était à fond derrière moi, plus que mes frères, mes sœurs et ma mère. Il aimait le rugby, c’est grâce à lui que j’ai commencé. Il regardait tous mes matchs. Même une deuxième fois, puis une troisième. C’était mon premier supporter. » À n’en point douter, il aurait revisionné ses cinq essais marqués en trois tests. Il aurait vu et revu les huit plaquages, trois charges, et deux plaquages cassés de son fils contre la meilleure équipe du monde, « son » équipe : « Mon père me manque tous les jours et je pense à lui chaque matin en me réveillant, nous avait confié le Toulousain en mai 2019. Ça ne remplace pas sa présence physique mais je sais qu’il me voit. Quand je vais sur le terrain, c’est d’abord pour lui. » Une fois encore, il a joué pour son père. Et puisque l’on partage avec lui ce drame qu’est d’avoir perdu un père trop tôt, on ne peut s’empêcher de penser au fameux poème de Rudyard Kipling, « Tu seras un homme, mon fils », qu’on a relu mille fois et dont les deux dernières strophes terminent ainsi : « Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite/Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,/Si tu peux conserver ton courage et ta tête/Quand tous les autres les perdront,/ Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire/Seront à tout jamais tes esclaves soumis,/ Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,/Tu seras un homme, mon fils. » De là où il se trouve, et au vu de ce qu’il voit sur les terrains du monde, on estime que le père de Peato Mauvaka pourrait tout à fait lui dire : « Tu es maintenant un homme, mon fils. 

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