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XV de France - Portrait d'Emmanuel Meafou, poids lourd à la bonne étoile

Par Jérémy Fadat
  • Portrait de Meafou, poids lourd à la bonne étoile
    Portrait de Meafou, poids lourd à la bonne étoile Midi Olympique - Patrick Derewiany - Patrick Derewiany
Publié le Mis à jour
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Appelé cette semaine à Marcoussis comme partenaire d’entraînement, le deuxième ligne du Stade toulousain Emmanuel Meafou -même s’il n’est pas encore sélectionnable- est très apprécié du staff du XV de France qui voulait lui marquer officiellement son intérêt. En décembre 2021, Midi Olympique avait consacré un portrait à ce phénomène à la trajectoire hors du commun. La voici.

Une carrière tient parfois à peu. Imaginez que le colossal deuxième ligne du Stade toulousain Emmanuel Meafou pourrait aujourd’hui être footballeur américain et sévir en tant que « lineman » dans le célèbre championnat NFL. Plutôt que de poser ses valises aux États-Unis, il a pourtant atterri à Ernest-Wallon en décembre 2018. Retour trois ans en arrière avec l’Australien : « Je n’avais pas de contrat pour le Super Rugby, pas de contact. Je ne savais pas ce que j’allais faire. Mon agent m’a dit qu’il y avait une opportunité en NFL. Des recruteurs voulaient prendre cinq mecs dans le monde pour un stage de trois mois dans une académie en Floride, afin d’intégrer la NFL. Il y a eu un essai à Gold Coast, au Queensland, j’ai tenté ma chance et on m’a pris. Mon agent m’a dit : « Si t’es prêt à partir aux Etats-Unis, tu l’es à quitter l’Australie et t’éloigner de ta famille ? » Il m’avait déjà proposé de venir en France, j’avais répondu : « Non, je ne veux pas quitter le pays, je veux jouer en Super Rugby. » Là, il m’a prévenu qu’il envoyait une vidéo de moi en France. J’ai dit : « OK pour une dernière tentative. » Plusieurs clubs français se sont manifestés, dont Toulouse. En Australie, je ne connaissais rien du Top 14 ou du rugby européen. »

Adieu le foot américain. Direction l’Hexagone, où il arrivait à temps pour prétendre au statut Jiff. Mais pourquoi Toulouse ? « Parce qu’il y avait Jerome Kaino ! » Connaissait-il le double champion du monde all black ? « Pas du tout, mais c’est le joueur préféré de mon père. » Et Meafou de poursuivre avec cette anecdote savoureuse : « Je crois que le club a demandé à Jerome de m’appeler. Un jour, il m’a passé un coup de fil. J’ai dit : « C’est bon, je vais à Toulouse. » Mon papa hallucinait. Jerome était une icône pour lui et maintenant, je le considère comme ma famille. C’est dingue… »

Si tu restes à la maison, tu vas finir trop gros

Aussi dingue finalement que la trajectoire inattendue de Meafou. Né en Nouvelle-Zélande de parents samoans, le garçon a atterri en Australie, à Sydney, à 2 ans, avant de migrer plus tard vers Brisbane. Ce qui lui fait dire en souriant : « J’ai les passeports néo-zélandais et samoan, ainsi que la citoyenneté australienne. J’espère maintenant avoir la nationalité française ! » Lui a d’abord joué au rugby à XIII de 5 à 16 ans. « Puis je me suis mis au XV durant mes deux dernières années d’école. Mais, à 18 ans, j’ai perdu la flamme et j’ai dit stop. J’ai prévenu ma maman : « Je n’ai plus la passion pour le XV, j’arrête un an. » Mais j’ai pris beaucoup de poids durant cette année et ma mère est revenue vers moi : « Retourne jouer maintenant, même pour t’amuser. À la maison, tu ne fais rien, ou alors que manger. Si tu restes là, tu vas finir trop gros. » J’ai repris avec un ami à Brisbane, juste pour le fun. Je me suis éclaté et j’ai retrouvé l’amour de ce sport. »

Ce qui lui a permis de partir à Melbourne pour intégrer l’équipe moins de 20 ans des Rebels. « Cela a duré deux saisons mais les Rebels ne m’ont pas proposé de contrat professionnel. Je le comprends, je n’étais pas assez performant, pas à la hauteur de ce que mon gabarit laissait espérer. Je suis revenu à Brisbane, où j’ai joué une saison avec mon ancien club. Puis une autre à Sydney, aux Warringah RC. » À cette époque, Meafou devait travailler en parallèle pour gagner sa vie. Un emploi surprenant en voyant la « bête »… « Je me levais à 6 heures du matin pour aller bosser jusqu’à 17 heures, avant de me rendre à l’entraînement à 18 heures. J’étais façadier et je travaillais sur des échafaudages. Ils étaient solides (rires). »

Mec, t’es vraiment dans le meilleur club français

Tout s’est depuis accéléré pour ce potentiel hors du commun. « Quand j’étais jeune, mon père me disait : « Tu as tout, le corps et les skills. » Je ne le croyais pas. Je n’étais qu’un gamin et lui répondais : « N’importe qui peut attraper un ballon et faire un plaquage. » Je me rends compte aujourd’hui que je suis béni et que c’est rare. Je dois m’entraîner dur le plus possible, faire attention à ma forme physique. Je crois que je peux être un joueur très spécial. » Pour y parvenir, l’intéressé est passé au révélateur du staff toulousain, qui fut vite convaincu de ses qualités exceptionnelles. Quelques jours après son arrivée en France, Ugo Mola nous confiait : « On tient un phénomène. » Mais avec toujours une contrainte à gérer, celle du poids. « Quand j’ai rencontré les coachs, je pesais 162 kg, raconte Meafou. Cela a été un long chemin pour en perdre. Mais ils ont cru en moi et j’ai bossé. » Les surcharges pondérales, il les surveille au quotidien. Un impératif absolu à sa réussite. Ce qui lui rappelle ce souvenir cocasse : « Quand j’ai fait l’essai pour rejoindre la NFL, j’étais à 156 kg et les recruteurs m’avaient dit : « Tu as besoin de prendre au moins cinq kilos. » J’avais rétorqué : « Pour moi, c’est facile ! » À Toulouse, ce fut l’inverse. Malgré ce combat contre lui-même, Meafou s’est rapidement senti à l’aise. « J’étais timide, j’avais peur. Je quittais l’Australie pour la première fois et ne parlais pas la langue. Mais cela a été simple. » Il est vite devenu proche de Tekori, Kaino, Ahki, Kolbe, Ainu’u ou des Français polynésiens du groupe. « Nous sommes une famille. C’est ma quatrième saison ici et je ne peux pas m’imaginer partir. J’ai des amis dans d’autres clubs avec qui j’en discute souvent, comme Reece Hewat qui a signé trois ans à Pau et avec qui je jouais en Australie. » Lui avait débarqué en France en même temps que Meafou, à Aurillac. « Il m’appelait : « Comment est la météo à Toulouse ? » Je lui disais : « Normal, il fait plutôt beau. » Et lui d’ajouter : « Ici, il fait froid, il y a de la neige partout. » Pour ma première saison, le Stade toulousain est champion de France et Reece m’a assuré : « Mec, tu es tellement chanceux. Première année, tu es champion. Ensuite, tu fais le doublé. T’es vraiment dans le meilleur club français. » J’ai juste répondu : « On gagne, c’est génial. Mais le plus fort, c’est que les mecs sont formidables. »

Mon prochain rêve, c’est de jouer pour l’équipe de France

Cette saison 2020-2021 du doublé est aussi celle de l’avènement de Meafou. Il en rigole : « Avant, peu de personnes venaient me voir. Maintenant, on me demande des photos, des autographes. Ils connaissent mon visage, je n’y étais pas habitué. » Même si l’exercice s’est terminé pour lui par une blessure au pied lors du dernier rendez-vous de la phase régulière, à Bordeaux, le privant de phases finales qui lui étaient promises. « J’avais eu une conversation avec mes coéquipiers et leur avais confié : « C’est la première fois, depuis que je suis là, que je me sens vraiment prêt pour jouer dans les grands matchs. » Je me savais à la hauteur… Quand le docteur a dit : « c’est fini pour la saison », ce fut dur à avaler. » N’empêche, il a montré qu’il était le successeur de Joe Tekori à Ernest-Wallon. « Joe va laisser un immense héritage. Sa carrière est extraordinaire mais c’est aussi un être humain unique. Il est pour tellement dans ma réussite. Il m’a aidé plus encore hors du terrain que dessus. La force mentale que Joe et sa famille m’ont donnée fut déterminante. Entendre les gens me comparer à lui, c’est une bénédiction. Même si je veux tracer mon propre chemin. » Qui pourrait le mener sur la scène internationale. Lui ne s’en cache pas : « Mon prochain rêve, c’est de jouer pour l’équipe de France. J’ai appris de ce pays, je m’y sens intégré. J’ai envie de rendre à la France ce qu’elle m’a apporté. J’ai vécu la plus grande partie de ma vie en Australie et, quand j’y étais, mon rêve était d’évoluer en Super Rugby et de porter le maillot des Wallabies. L’Australie ne pouvait pas m’offrir cette chance. C’est en France que j’ai signé mon premier contrat professionnel. C’est ma vie maintenant. C’est ici que je grandis et m’épanouis. La France est ma maison dorénavant, donc je veux enfiler la tunique bleue. »

Et quand il a entendu Fabien Galthié affirmer qu’il y aurait de nouveaux ovnis d’ici 2023, difficile de ne pas sentir visé… « Plusieurs personnes ont cité mon nom, ce qui m’a rendu heureux. Je sais que je peux être un des ovnis du XV de France mais je sais aussi qu’il me reste du travail pour rendre le rêve réaliste. J’ai beaucoup parlé avec William Servat, le staff me surveille. J’ai entamé le processus pour obtenir le passeport. » Il est loin le temps où il se voyait basculer dans un autre sport et intégrer la NFL… « Attendez, j’ai vu qu’un Australien (Jordan Mailata), qui jouait au rugby à XIII à Sydney, a fait la même détection que moi et a signé en NFL un contrat de cinq ans pour 100 millions de dollars, se marre-t-il. Je vais en parler à Jérôme Cazalbou (manager du haut de Toulouse, N.D.L.R.) pour voir si je peux faire un prêt en NFL ! » Et de conclure, plus sérieusement : « Mon rêve n’était pas de jouer en NFL mais d’être rugbyman professionnel. Je vis mon rêve. »

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