La carte blanche de Kévin Gourdon (La Rochelle) : « Il n’y aura plus d’interdits »
Je n’oublierais probablement jamais ce vendredi matin d’automne où l’on m’a annoncé : "le cardiologue souhaiterait vous voir, monsieur Gourdon". Ce n’est jamais bon signe, n’est-ce pas ? Ce jour-là, le toubib m’a dit qu’il y avait un souci, que le rugby était terminé et que je ne pourrais plus pratiquer du sport qu’à très basse intensité : du vélo d’appartement, du ping-pong et des trucs comme ça, quoi…
Ces derniers jours, on m’a souvent demandé si j’avais le blues, si je le vivais mal, si le rugby me manquait au point d’en perdre le sommeil. C’est con à dire mais je crois avoir déjà tourné la page. Et quoi ? J’ai 31 ans, j’ai connu une belle carrière et même quelques sélections en équipe de France ; ce n’est pas comme si j’avais été fauché à 20 piges alors que je venais de signer mon premier contrat. Quand je me retourne, il n’y a pas de regret majeur, juste une poignée d’éclats de rire, les finales avec La Rochelle, la Marseillaise au Stade de France, le Haka de l’Eden Park. C’était chouette, ouais… Et beaucoup mieux que le seul essai qui me reste en mémoire, d’ailleurs. Pourquoi celui-là ? Pourquoi pas un autre ? Parce qu’il m’a fait marrer, je crois. Parce que ce truc était tellement ridicule que l’on m’en a parlé des semaines, après le match. Ce soir de 2020 et dans des conditions dantesques, on affrontait Montpellier au stade Deflandre. Chez nous, le coup d’envoi est tapé et, à la retombée, les Montpelliérains cafouilent, la balle rebondit sur une tête, un torse, une jambe et roule vers l’en-but. Là, ils sont trois à se jeter sur lui mais se manquent. Ne me demandez pas ce que je foutais là, allongé dans leur-enbut mais j’ai simplement tendu le bras, j’ai touché le ballon et marqué un essai digne d’un cartoon. Cherchez pas, vous ne trouverez pas plus moche…
À l’heure de tirer ma révérence, je me dis aussi que je vais enfin pouvoir arrêter de faire attention à ce que je mange, me coucher tard si j’en ai envie et me lancer dans deux activités que j’ai mises en stand-by ces dernières années : le piano et le ski. Vous savez que j’adore skier et qu’il y a plus de dix ans que je n’ai pas descendu une seule piste ? C’est prohibé, pour nous. C’est même mentionné dans nos contrats, pour être clair. On dit que ce n’est pas bon pour les genoux… Il paraît même que certains peuvent en témoigner…
Il y aura donc du bon, à basculer dans la vie réelle. Je vais pouvoir profiter de mes enfants, Eden et Lena. Ma vie ne sera plus jalonnée d’interdits et surtout, je ne ferai plus jamais de préparation physique. Car j’avais beau jouer troisième-ligne, j’ai toujours été parmi les plus nuls en muscu, en endurance ou en vitesse. Après dix ans de carrière, je ne ressemble d’ailleurs toujours pas à un rugbyman professionnel : tu me croises dans la rue, tu me prendras toujours pour un mec normal ; un mec qui revient de la crèche, qui sort sa poubelle ou qui va faire ses courses. D’ailleurs, c’est peut-être ce qu’entendaient les gens quand ils disaient de moi que j’étais un rugbyman "atypique". Bref… On n’est pas là pour refaire l’histoire, n’est-ce pas ? Aujourd’hui, j’ai juste pris la plume pour vous dire "au-revoir". Et du fond du cœur, "merci".
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