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Dimitri Basilaia : «J’ai dit aux Ukrainiens : donnez-moi un fusil, je resterai avec vous»

Par Vincent BISSONNET
  • Dimitri Basilaia, ici en 2011 lors d'un match de préparation à la Coupe du monde. Aujourd'hui, il tient un restaurant près de Kiev
    Dimitri Basilaia, ici en 2011 lors d'un match de préparation à la Coupe du monde. Aujourd'hui, il tient un restaurant près de Kiev Jean Paul Thomas / Icon Sport - Jean Paul Thomas / Icon Sport
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Ancien international géorgien (38 sélections), il vit à Kiev où il a décidé de participer à la lutte contre la Russie. À 36 ans, l’ancien numéro 8 de Valence-d’Agen, d’édimbourg ou encore de Perpignan nous parle de son combat pour défendre l’Ukraine, de l’engagement des rugbymen et de ses espoirs pour la suite.

Making-off

C’est une courte interview dénichée dans la presse géorgienne, en début de semaine passée, qui nous a appris la présence de Dimitri Basilaia à Kiev et son engagement pour la cause ukrainienne. Un message sur Instagram plus tard, l’ancien numéro 8 de l’Usap répondait favorablement à notre demande : «Je veux que le monde sache ce que les Russes font à l’Ukraine et comment les Ukrainiens sont forts dans cette guerre.» Par visio, l’ex-international géorgien nous a ensuite raconté pendant quarante-cinq minutes ce qu’il vivait au quotidien, ce qu’il voyait et ce qu’il pensait de toute cette situation. Non sans un détour par le rugby : «J’en vois rarement mais j’ai eu l’occasion de regarder Perpignan face au Racing 92, le week-end passé. Les Catalans ont sorti un super match tout de même.» Depuis mardi dernier et notre entretien, les Russes ont intensifié leurs offensives aux quatre coins de l’Ukraine et tout particulièrement dans les alentours de la capitale. Ce dimanche, contacté par message, Dimitri Basilaia se voulait encore rassurant. «Ça a bombardé hier et avant-hier pas loin mais ça va.»

Avant tout, dites-nous comment vous en êtes venu à vivre en Ukraine ?

J’y suis installé depuis trois ans. J’ai monté des business à Kiev : j’ai une société d’import-export dans la logistique et j’ai ouvert un restaurant. À la fin de ma carrière de joueur à Perpignan, j’avais suivi une formation de boulanger à l’Ile-sur-Têt chez Henri Poch. C’était un rêve d’avoir mon établissement, de faire découvrir les saveurs géorgiennes, de ramener un peu de la gastronomie française qui est la meilleure au monde. À côté de ça, je suis devenu entraîneur du Rugby Club Epoch-Polytechnic. C’est un club avec une riche histoire. On fête les 50 ans de sa création, ce qui correspond au début du rugby en Ukraine. À l’origine, je ne voulais pas entraîner mais le rugby me manquait trop et l’on m’a demandé d’aider le club. La première année, nous sommes montés en première division en remportant presque tous nos matchs. L’an dernier, nous avons terminé troisièmes de l’élite. Cette saison, l’objectif était d’être champion… Puis la guerre est arrivée.

Comment avez-vous réagi à son déclenchement ?

Quand la guerre a commencé le 24 février, j’ai été impressionné par la réaction des Ukrainiens. C’était un pour tous, tous pour un. C’était étonnant. La panique est vite passée et il y a eu une grande détermination qui a émergé. Ils ont commencé à construire des barricades, on a vu le maire de la ville, le boxeur Vitali Klitschko, prendre les armes, les acteurs se sont publiquement mobilisés… Quand j’ai vu à quel point les gens étaient unis, je me suis dit que je devais rester à leurs côtés. En tant que Géorgien, j’ai connu les invasions russes de 1990 et 2008. J’en ai marre de vivre à côté de ce voisin, je n’en peux plus. Surtout que l’Ukraine a toujours été le premier pays à aider la Géorgie quand elle était attaquée. Au début, les gens se posaient des questions à mon sujet, il y avait un peu de méfiance. Il y en a qui m’ont même interpellé en me demandant ce que je faisais. Je leur ai répondu : "Je reste ici pour vous aider, c’est notre guerre, donnez-moi un fusil et je resterai avec vous." Heureusement, dans le quartier, tout le monde me connaît.

Que faites-vous au quotidien pour participer à la lutte ?

J’ai décidé de maintenir mon restaurant ouvert afin de cuisiner des plats que l’on distribue aux civils, aux maisons de retraite, aux personnes handicapées. On se sert aussi de l’établissement pour recueillir et fournir des médicaments. Une partie des gars de mon équipe les amène et il y a les femmes qui gèrent les commandes. Et l’on vient de décider d’ouvrir un deuxième restaurant. Tout le monde ferme, nous, on se développe (sourire). Le premier était situé sur la rive droite du Dniepr où il y a le centre-ville. Nous en avons désormais un deuxième à gauche du fleuve. Les civils s’organisent tout seuls, c’est assez épatant. Dès les premiers jours, nous avons aussi fait des patrouilles afin de débusquer les saboteurs et les subversifs. Ce sont ceux qui travaillent pour l’ennemi. Ils font notamment des croix pour indiquer les bâtiments à bombarder à l’armée russe. Nous traquons ces personnes. Chacun fait ce qu’il peut pour défendre la capitale.

Que se passe-t-il autour de vous actuellement ?

Ça s’est calmé sur la route qui passe devant chez moi. Mais quand je suis à mon restaurant, qui est à cinq kilomètres, on entend bien les tirs. On verra ce qui va se passer, les prochains jours vont être importants. Les Russes sont mobilisés et amènent des renforts. Je pense que ça va être chaud, les civils sont sur le pied de guerre. Il n’y a pas de peur si ce n’est celle de se faire bombarder. D’ailleurs, ça a tremblé dans le quartier, l’autre jour.

Vos rugbymen sont-ils partis combattre ?

Une partie de mon équipe est au front. Dès le deuxième jour, j’en ai vu prendre les fusils. Les gars défendent leur pays, c’est une question de principe. J’ai un très bon ami qui est capitaine de l’équipe d’Odessa et qui est mobilisé également. On s’échange régulièrement des nouvelles. Là, ils ont envoyé les enfants de la ville en Moldavie. Les rugbymen font preuve d’un grand courage, comme toute la population d’ailleurs. Avec mes amis géorgiens, c’est pour ça que l’on a décidé de lutter avec eux. Leur bravoure nous inspire.

Êtes-vous inquiet pour vos joueurs ?

J’essaye d’être un maximum en contact avec eux. Pour le moment, ils vont bien. Une fois que la guerre sera finie, j’ai pour objectif d’en envoyer quelques-uns en France. Personne ne connaît les rugbymen ukrainiens mais je peux vous garantir qu’il y a de sacrés potentiels sur place. J’ai trois mecs de deux mètres dans l’effectif qui courent sans jamais se fatiguer. J’ai un ouvreur de 19 ans, Denis, qui fait 1,94 m, qui est costaud, très bon. Là, il a pris les armes mais, le rêve de sa vie, c’est le rugby. J’aimerais qu’il puisse se tester en France, avoir une vraie chance. Les gars sont curieux et me posent beaucoup de questions sur ce que j’ai connu durant ma carrière. Je suis le seul joueur qu’ils connaissent à avoir joué en dehors de l’Ukraine, et qui a même disputé en Coupe du monde.

Seriez-vous prêt à prendre véritablement les armes si les Russes venaient à s’emparer de Kiev ?

Ma mère, qui est en Géorgie, m’a dit : «S’il faut prendre les fusils, vas-y.» Ça m’a fait bizarre d’entendre ça. Mais vous savez, les Russes ne savaient pas où ils mettaient les pieds en arrivant ici. Ils ont cru qu’ils prendraient l’Ukraine en douze jours car leur armée est très forte. Mais l’Ukraine, c’est quarante millions d’habitants. Ce n’est pas comme la Géorgie, qui en a 3,5. Ils peuvent prendre des villes mais pas tout le pays. Ici, c’est la jungle pour eux.

Vous êtes donc convaincu que l’Ukraine remportera ce conflit ?

Il n’y a aucune chance que les Russes gagnent. C’est le monde entier contre eux. On le sent bien. Je tiens d’ailleurs à remercier tous les gens qui m’ont envoyé des messages de soutien.

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