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2022, v’là les Bleus !

Par Marc Duzan
  • Cyril Baille est un des fers de lance du XV de France dans ce Tournoi 2022
    Cyril Baille est un des fers de lance du XV de France dans ce Tournoi 2022 Icon Sport
Publié le Mis à jour
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En « prime time » et face à son grand Satan, l’équipe de France se battra samedi soir pour accrocher ce grand chelem qui se dérobe aux Bleus depuis douze ans. Excitant, isn’t it ?*

Qui est le père d’une telle intrigue ? À quel esprit supérieur doit-on que le XV de France joue son premier grand chelem depuis douze ans un samedi soir, en prime time et qui plus est face à son grand Satan ? À tout dire, on n’aurait pu rêver pareil dénouement. Ou plutôt si : on y avait rêvé sans oser l’avouer. De peur, sans doute, qu’il ne nous échappe comme il nous avait échappé d’un rien, les deux années précédentes. De crainte qu’il se perde, aussi, dans le guet-apens de Murrayfield, la panse gloutonne de l’Eire ou pire, dans les méandres d’une incontrôlable épidémie. Un mois, une guerre et une poignée de matchs plus tard, voici donc la bande à Galthié rendue à la place où elle s’était promis de conduire le petit peuple de France, dont le nombre ne cesse d’ailleurs de croître, au fil de la campagne.

Et puisqu’ils étaient 7 millions devant Galles – France, ils seront probablement beaucoup plus samedi soir, à un horaire qui sied aux plus belles noces et aux très grands matchs. Par égard pour une telle fresque, il serait ici fort indélicat de sucer la roue des bonnets de nuit nous serinant aujourd’hui que la victoire finale dans le Tournoi resterait pour les Bleus « envisageable même si les coéquipiers d’Antoine Dupont étaient battus samedi soir ». Parce que vous n’avez pas fait tout ça, garçons, pour mourir face à la Rose, n’est-ce pas ?

Vous n’avez pas dominé l’un des Tournois des 6 Nations les plus relevés de l’histoire pour sombrer aux portes d’un grand chelem à propos duquel Jacques Fouroux disait souvent : « Gagner le Tournoi, ce n’est jamais qu’une belle victoire. Remporter le grand chelem, c’est fonder une famille ! » Bien sûr, ce match n’est pas en soi plus important ou plus difficile que ceux disputés face à la Nouvelle-Zélande ou l’Irlande, ces derniers mois. Mais il a le pouvoir de marquer une génération tout entière et demeure, in fine, comme un film dans lequel la succession des séquences finit par accoucher d’un chef-d’œuvre.

Ce vieil ennemi qui veut gâcher la fête

À quoi doit-on s’attendre, samedi soir ? Un stade plein comme une huître, une Marseillaise a cappella et partout, une acrimonie culturelle, historique même, vis-à-vis de l’Angleterre et qui en appelle, comme toujours, aux plus vils instincts de notre mémoire collective : Guillaume le Conquérant, la branlée d’Azincourt ou la guerre de Cent Ans…

Car il faut d’ores et déjà se mettre dans la tronche que les boys d’Eddie Jones, assis sur la plus grosse mêlée du Tournoi, retrouveront Saint-Denis habités par l’ardent désir de laver leur honneur saccagé, de se mesurer à la meilleure équipe du Tournoi et surtout, de gâcher la fête à laquelle l’ennemi héréditaire s’est préparé toute cette semaine. Ici, tous les moyens légaux seront bons pour briser le bel élan tricolore et l’on devine, déjà, que Maro Itoje et Kyle Sinckler seront plus bavards que jamais, qu’Ellis Genge, une semaine après avoir crevé Tadhg Furlong, voudra s’occuper pareillement de Uini Atonio, ou que le sélectionneur d’en face demandera à Marcus Smith, si élégant lorsqu’il se décide à attaquer la ligne, de jouer contre-nature et de monter dans le ciel du Stade de France une pluie de quilles et une nuée de chandelles.

Entre la France et l’Angleterre, c’est donc une bien étrange rengaine qui s’apprête à redémarrer samedi. Un « Je t’aime moi non plus » vieux de plusieurs siècles et dont ce « Crunch » (« moment critique » en anglais) allégorisera une nouvelle fois la toute-puissance…

Franchement ? Il ne saurait y avoir pire présage que celui d’une équipe d’Angleterre a priori rongée par le doute, n’ayant plus rien à gagner ce week-end et jouant même fort mal, depuis le début de la compétition. Il ne pourrait exister plus belle alerte que le rôle d’outsider dans lequel les médias britanniques et cette langue de vipère de Clive Woodward, aujourd’hui chroniqueur pour le Daily Mail, souhaitent enfermer leur équipe quand ils tressent, en parallèle, des lauriers à ces Bleus qui n’ont, sauf erreur de notre part, encore rien gagné.

Baille le flair et « dark cyssou »

Quels que soient les trésors d’ingéniosité que déploieront les coéquipiers de Courtney Lawes samedi soir, cette équipe de France, lestée de sept victoires consécutives (ce n’était plus arrivé depuis dix-huit ans…) et actuelle troisième nation mondiale, semble prête à assumer son nouveau statut : les Bleus ont indéniablement démontré ces six derniers mois qu’ils étaient à la fois capables de vaincre avec panache comme de « gagner moche », puisque c’est ainsi que Laurent Labit, le bras droit de Fabien Galthié en sélection, qualifia sur RMC le dernier succès des siens au pays de Galles, acquis à la faveur de 200 plaquages, d’un affrontement sauvage et d’un sombre jeu de gagne terrain. C’est en jouant une nouvelle fois sur cette dualité, sur cette schizophrénie rugbystique que les coéquipiers d’Antoine Dupont accompliront samedi soir ce que l’on pensait encore impossible il y a deux ans à peine.

C’est en comptant tout à la fois sur le Cyril Baille qui joue les deux contre un comme un trois-quarts centre et sur « dark Cyssou »*, la face sombre du pilier des Bleus, celle qui brasse du quintal gallois sans relâche et touche deux ballons par match, que l’équipe de France signera l’exploit sportif de l’année et, bien au-delà, marquera probablement son époque. À quelques mois d’une Coupe du monde qu’elle lancera chez elle, un grand chelem aurait ainsi le pouvoir de replacer le rugby sur l’échiquier national et d’envoyer un signal fort aux plus gros poissons du sud, qu’ils soient All Blacks, Wallabies ou Springboks.

Au bout du bout, et puisque cette équipe de France nous a procuré en six mois plus d’émotions que toutes celles l’ayant précédé ces dix dernières années, on assume que si l’énorme sacrifice accompli par les plus gros pourvoyeurs d’internationaux français aura probablement des répercussions irrémédiables sur leur avenir à court terme, il offre surtout à la sélection un confort nouveau dans sa préparation et sert un dessein national, qui dépasse la seule notion de territoire, de communauté ou de clocher ; une cause noble, quasi citoyenne et qui offre à des millions de gens des week-ends plus légers, une fierté nouvelle d’être Français et plus globalement, quelques instants disséminés de bonheur pur. Au fil des ans, on en avait oublié jusqu’à la saveur…
 

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