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Grand chelem 2010 : dans les coulisses d’une dernière levée

Par Marc DUZAN
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Vainqueurs du grand chelem à l’époque où ils étaient à la tête du XV de France, les anciens sélectionneurs Jean-Claude Skrela, Pierre Villepreux, Bernard Laporte et Marc Lièvremont nous font replonger dans les coulisses de ces exploits qui ont marqué des générations de rugbyphiles.

Une fois que l’on a dit que le Crunch de samedi soir a le pouvoir de marquer une génération et changer des vies, posons-nous la question suivante : comment se prépare-t-on à disputer un tel événement ? S’enferme-t-on dans une bulle, coupés du monde et seuls contre tous ? Ou faut-il au contraire banaliser au maximum cette finale pour éviter de soumettre les joueurs à une quelconque angoisse ? Afin d’y répondre, on a cette semaine interpellé plusieurs sélectionneurs qui, en leur temps, ont remporté le grand chelem à la tête de l’équipe de France.

En 1997, par exemple, Pierre Villepreux menait la sélection nationale aux côtés de Jean-Claude Skrela et, peu avant d’affronter l’Écosse pour la dernière levée du Tournoi des 5 Nations, il n’avait pas souhaité chambouler la routine de ses joueurs. « La préparation, dit "Pierrot" en préambule, ce sont les joueurs qui se l’étaient faite. On avait un groupe solide, des gars qui réfléchissaient sur le jeu comme Olivier Magne, Marc Lièvremont, Fabien Pelous ou Raphaël Ibanez… On ne prenait aucun risque à les responsabiliser » 

Il marque une pause, reprend : « Les trois matchs précédents avaient donné aux garçons une confiance énorme ; nous avions des certitudes inébranlables. L’Écosse, on maîtrisait ; cette équipe n’était pas celle d’aujourd’hui ; elle avait de grosses lacunes et sauf accident, nous devions donc gagner. » Sereins, relax, les Bleus de 97 ont donc abordé ce dernier match comme ils avaient disputé les précédents quand de l’extérieur, certains les imaginaient enfermés à double tour dans leur résidence de Clairefontaine.

À ce sujet, Jean-Claude Skrela prend le relais : « Avant de disputer des finales de championnat avec le Stade toulousain, nous ne changions jamais rien à nos habitudes de préparation. Le risque, c’était de surjouer, de tomber dans la charge émotionnelle disproportionnée. Avec Pierrot (Villepreux, N.D.L.R.), nous avions donc, sans banaliser totalement le grand chelem, tenté de le normaliser au maximum. Pour tout vous dire, c’était le dernier match du Tournoi au Parc des Princes et on aurait pu mettre l’accent sur cette donnée historique mais on ne l’a même pas souhaité. On savait que les joueurs étaient habités d’un désir intense. Ce grand chelem, il était ancré en eux. »

Pierre Villepreux : « Une seule consigne : liberté totale »

Mais franchement, Messieurs : vous avez bien changé quelque chose dans la semaine, n’est-ce pas ? Vous avez bien dû soustraire vos hommes au monde pour appréhender le plus sereinement possible cette rencontre, non ? À cet instant de la conversation, Villepreux se marre de bon cœur : « Au château Ricard, où nous nous entraînions, tout était ouvert et les gens pouvaient venir nous voir, si tant est qu’ils le souhaitent. Il n’y avait pas de vigil à l’entrée ; il fallait juste avoir le courage de se taper la route (Clairefontaine est à une heure de Paris). On était plutôt cool, je crois… » 

Aussi cools étiez-vous, la stratégie du match a pourtant bien été spécialement modifiée pour l’occasion, non ? Il a bien fallu resserrer le jeu d’une manière ou d’une autre ? Un nouvel éclat de rire de Villepreux secoue la membrane du téléphone : « Vous me demandez ça, à moi ? Vous rigolez ? La seule consigne était la suivante : liberté totale ! Jouez, profitez-en et n’ayez surtout pas de regrets ! ».

Le grand chelem qui suivit, en 1998, eut quant à lui plus de mal à se dessiner mais n’échappa pas, finalement, aux préceptes qu’avaient déjà inculqués Villepreux et Skrela à leurs hommes. « La deuxième année fut en effet plus difficile, conclut Pierrot. On sortait d’une tournée médiocre en Australie et il y avait des dissensions dans le groupe : certains pensaient qu’on devait garder le même plan de jeu, d’autres voulaient que l’on soit plus restrictifs… Malgré tout, la sauce a pris après la victoire contre l’Angleterre et on a abordé la dernière rencontre à Wembley (l’Arms Park était en réfection) sans pression aucune : on a mis cinquante points aux Gallois en produisant un jeu magnifique… » 

Skrela pose un point final : « On jouait sur du velours. Nous savions que nous faisions peur aux adversaires et c’était un avantage. L’équipe de France actuelle est d’ailleurs dans la même situation. »

Laporte et la séance vidéo nocturne

Pour Bernard Laporte, double vainqueur du grand chelem (2002 et 2004), la semaine précédant la dernière levée du Tournoi 2002 fut étrangement paisible. « La veille du dernier match face à l’Irlande, nous disait Bernie en début de semaine, on s’est retrouvé avec Jo Maso, Christian Carrère et le staff ; on avait vidé le bar du château La Voisine, dégusté quelques plats gastronomiques et ce fut une soirée inoubliable. On avait toutefois cherché à ne pas faire trop de bruit, pour ne pas déranger les titulaires de l’équipe qui dormaient au bâtiment principal du château, pendant que les remplaçants pionçaient aux écuries. » 

À cet instant du récit, le président de la FFR ajoute : « 2002, c’était la première aventure de la génération Ibanez, Galthié, Pelous ou Magne. Notre système de jeu, initié par Jacques Brunel, s’appuyait sur un paquet d’avants divisé en blocs et avait surpris nos adversaires. On travaillait à vide la répétition des gestes et des déplacements. On le faisait même en marchant, plusieurs fois par jour, pour que les joueurs s’en imprègnent. »

Deux ans plus tard, en 2004, le contexte tricolore avait néanmoins changé et, passé une performance en demi-teinte face aux Gallois lors du quatrième match du Tournoi, Bernard Laporte n’eut d’autre choix que de se transformer en Bernie le Dingue, histoire de remettre ses soldats d’aplomb avant l’ultime round. « Je n’étais pas satisfait de notre prestation face aux Gallois. Alors, j’ai organisé en guise de troisième mi-temps une très longue séance vidéo. Cette nuit-là, les joueurs sortaient du banquet officiel, étaient en smoking et nœud papillon. Ça m’avait fait rire de les voir fringués comme ça pour refaire le match. » 

Mais l’enjeu valait bien quelques sacrifices, après tout. « En 2004, poursuit Laporte, l’Angleterre sortait de son titre de champion du monde. On savait donc depuis longtemps que nous allions avoir une "finale" à jouer face à la Rose. Ce match, on le préparait depuis deux mois et le jour J, Dimitri Yachvili (lire aussi en page 13) nous avait littéralement portés. »

Les Bleus de Lièvremont l’ont-ils joué contre le système ?

L’hiver 2010, Marc Lièvremont n’a de son côté pas totalement joué la carte du "seuls contre tous" avant d’affronter l’Angleterre au Stade de France, pour la dernière levée. De toute évidence, ledit "Marco" avait néanmoins conscience que tout le rugby français ne poussait pas derrière ses hommes comme il en est aujourd’hui, à l’heure où la sélection et les clubs vivent dans une forme de relative harmonie.

Écoutons-le : « Je ne vais pas pleurnicher mais il y a aujourd’hui un contexte politique apaisant et apaisé dans le rugby français. Tous ces nouveaux présidents de club, tous les jeunes entraîneurs, tous ont compris l’importance pour le rugby français d’avoir un XV de France fort. Quand je vois aujourd’hui l’attitude de Didier Lacroix ou Ugo Mola, alors qu’ils fournissent dix joueurs aux Bleus et qu’ils en souffrent, c’est du jamais vu. Il n’y a pas de grincements de dents. À mon époque, entre ceux qui espéraient que je me plante, ceux qui me regardaient avec condescendance et mépris, notamment chez les vieux de la vieille, le climat était tout autre. » 

Un rien pourri ? On le jurerait, oui. Au bout du bout, le grand chelem de 2010, construit autour d’une mêlée qui concasse et d’un Bastareaud qui ne concassait pas moins, fut une surprise pour le grand public et le fut probablement davantage, pour les joueurs du XV de France : « À l’époque, conclut Lièvremont, nous n’avions pas la constance de la sélection actuelle et encore moins l’étiquette de favori. Nous n’arrivions même pas à gagner trois matchs d’affilée. En clair, nous ne sentions pas la montée en puissance qui est celle ressentie aujourd’hui autour des Bleus : l’équipe de France actuelle a un statut et l’assume. » C’est bon signe, non ?

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