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Exclusif – Fabien Galthié : « J’étais cassant, pas assez rond… Mais ma personnalité a changé »

  • Fabien Galthié (sélectionneur du XV de France).
    Fabien Galthié (sélectionneur du XV de France). Icon Sport - Icon Sport
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En milieu de semaine, le sélectionneur national Fabien Galthié nous a accordé une longue entrevue. Il revient, ici, sur les réussites et les déboires de sa vie d’homme, la relation qu’il entretient avec Antoine Dupont, la mort de Federico Martin-Aramburu, la carrière de son fils Mathis et même le choix controversé de sa paire de lunettes... C’est à vous, coach !

Mercredi matin, à Jean Bouin, vous avez fondu en larmes après avoir découvert une vidéo retraçant la dernière semaine vécue par l’équipe de France dans le Tournoi 2022. Pourquoi ?

Cette vidéo, je l’ai prise en plein visage. C’était une émotion positive et je n’ai pas voulu la cacher. C’est pour vivre ce genre de moments que l’on fait tous ça. C’est le sens de notre mission, finalement.

Serge Blanco disait récemment qu’il existe une "part d’amour" entre Chelemards. Ressentez-vous la même chose ?

Il ne faut pas vendre l’amour à tout prix. La pudeur est aussi importante. Malgré tout, les choses transpirent toujours, au rugby. Ce que l’on a vécu, ce n’est pas du "fake". […] Max (Guazzini), qui était avec nous dimanche, me disait peu après que les joueurs, ce soir-là, me serraient dans leurs bras, avaient besoin de me toucher, m’amenaient au milieu d’eux… Je ne l’avais pas forcément remarqué et aujourd’hui ça m’émeut, oui.

La journée de samedi fut irréelle : elle a débuté avec la nouvelle de l’assassinat de Federico Martin-Aramburu et s’est terminée sur le grand chelem tricolore. Comment l’avez-vous vécue ?

(il soupire) Ce matin-là, j’apprends très tôt le drame ayant frappé Federico, que j’avais entraîné deux ans avec les Pumas (Fabien Galthié fut à une époque consultant pour l’équipe d’Argentine). Sur l’instant, je n’ai pas de mots… J’essaie d’encaisser le coup et derrière ça, je vais voir comment réagit l’équipe. "Est-elle touchée, blessée, déboussolée ?" Maxime Lucu le connaissait bien, Thibault Giroud (directeur de la performance du XV de France), aussi. […] Il a fallu construire la journée avec ça. Puis l’échéance sportive a pris le dessus. Ce drame, j’en ai parlé dans mon discours d’avant-match mais je n’ai pas souhaité que ça transparaisse. Certains moments doivent appartenir au vestiaire.

Au fil des vidéos diffusées par France Télévisions ou France Rugby, on vous découvre en orateur, avant les matchs. Est-ce nouveau, pour vous ?

C’est quelque chose qui me semble important. Dans ces moments-là, il faut être soi-même. Avant de parler, j’évoque le discours avec les leaders de l’équipe et le staff : "Qu’avez-vous envie d’entendre ? Sur quoi dois-je insister ? Sur quoi dois-je m’effacer ?" Puis je livre un discours faisant, selon les cas, entre six et treize minutes.

Ah oui ?

Avant Galles, j’ai fait treize minutes. Avant le Crunch, j’ai fait six minutes. Je rappelle le contenu technique, puis je vais chercher les vertus, l’émotion… C’est important pour embarquer les mecs. Si je veux les soulever, je dois aussi savoir leur parler. Le discours, c’est la dernière petite touche de la préparation.

Parmi les innombrables témoignages que vous avez probablement reçus après le grand chelem, certains vous ont-ils plus touché que d’autres ?

J’étais tellement dans le match… Je n’ai pas laissé la place à l’émotion… C’est maintenant, quelques jours après, que je me fais choper par les sentiments. Je commence à me détendre. Je sens la chaleur, la bienveillance. (il marque une pause, fond en larmes) Quand j’ai vu dans ce petit film les images de Damian Penaud tombant dans les bras de son père, sur les barrières du Stade de France, j’ai craqué.

Avant que vous ne preniez l’équipe de France en 2019, votre nom avait souvent circulé mais vous n’aviez jamais été choisi. Y a-t-il une forme de revanche personnelle, dans ce grand chelem ?

Non. Mon chemin, je l’aime. La colère, l’aigreur, tout ça serait une erreur…

Vous avez néanmoins ressenti ces émotions au fil de votre parcours d’entraîneur, non ?

La déception, la tristesse, oui. Mais je n’ai jamais été quelqu’un d’aigri. Je n’avais pas le droit être aigri. La vie m’a donné bien au-delà de ce que je pouvais souhaiter. […] Néanmoins, quand Bernard (Laporte) est venu me chercher en 2019, dans ma tête, mon chemin était terminé. J’étais parti sur autre chose.

Sur quoi ?

La vie, tout simplement… Je ne me voyais plus comme un acteur du rugby.

Que s’est-il passé, ce jour-là ?

Il est venu chez moi, à Toulon. Il m’a dit : "Tu vas aider Jacques (Brunel) au Japon et derrière, tu feras quatre ans". J’ai dit oui et sur la table de mon salon, on a construit le premier cercle de mon staff (Laurent Labit, Karim Ghezal, Thibault Giroud, Raphaël Ibanez et William Servat).

Votre réussite actuelle pourrait sembler surprenante aux yeux de certains. Votre dernière expérience à Toulon en tant que coach (2017-2018) n’avait pas été un franc succès…

À mes yeux, ça avait fonctionné. Cette année-là, on fait deux quarts de finale (coupe d’Europe et championnat), que l’on perd pour des raisons réelles. Mais pour moi, cette saison ne fut pas négative. (il marque une pause) Mais c’est vous qui jugez. Le président de l’époque (Mourad Boudjellal), aussi. De mon côté, je crois avoir fait ce que je pouvais faire de mieux au moment présent.

Max Guazzini racontait récemment qu’au jour où le XV de France a débarqué au régiment de la légion étrangère pour préparer le Tournoi, vous avez dit aux joueurs : "On va tout gagner". Comment pouviez-vous en être aussi certain ?

Pour moi, c’était évident. Ce jour-là, Max m’a dit que j’étais prétentieux mais je n’étais pas d’accord. J’étais simplement habité par la conviction que l’on gagnerait tout. C’est aussi simple que ça.

On dit souvent que les All Blacks, que vous avez battus en novembre (40-25), étaient rincés par trois mois de tournée. Êtes-vous d’accord ?

C’est possible. Je ne dis pas non.

Les observateurs étrangers disent aussi que seuls les Springboks, plus denses que n’importe qui, peuvent aujourd’hui faire tomber l’équipe de France. Qu’en pensez-vous ?

Ils sont champions du monde et restent numéros 1 du classement World Rugby. Mais on ne les a pas encore joués. On va voir. On ne sait pas ce que c’est.

On a longtemps cru que le rugby, c’était "pousser en mêlée et sauter en touche". Assumez-vous d’avoir quelque peu intellectualisé ce sport ?

C’est vous qui jugez… Moi, je vous ai montré comment on travaille, comment j’ai construit notre programme…

Êtes-vous oui ou non un sélectionneur cérébral ?

Dites ce que vous voulez… Ça ne me dérange pas… Max Guazzini dit que je dois aller chez le coiffeur, que je dois changer mes lunettes… Je suis en mission et habité par celle-ci. Vous pouvez donc y aller, sur la caricature.

L’anecdotique prenant parfois un tour fondamental, on s’interroge néanmoins beaucoup sur vos lunettes. Pourquoi les avez-vous choisies ?

Je les ai achetées à Toulon, il y a quelques années. Ce sont des lunettes de sport, incassables. Avec elles, je joue au squash et au rugby à toucher. Ma mère les déteste. Mais ma maman m’aimera même avec de vilaines lunettes. Alors, je les garde.

La rengaine qui revient souvent, vous concernant, consiste à dire que votre rapport aux joueurs est douloureux, voire difficile. Avez-vous eu, à vos débuts, un rapport trop cassant aux joueurs que vous entraîniez ?

Bien sûr. J’avais 35 ans (lorsqu’il fut nommé entraîneur du Stade français), je dirigeais le plus grand club de France et j’ai fait des erreurs. J’étais cassant, pas assez rond… Mais ma personnalité a changé, je pense. J’ai vingt ans de plus.

Avez-vous changé votre rapport aux hommes ?

Vous poserez la question aux joueurs. J’essaie en tout cas d’aborder l’aspect humain avec le plus de tact possible. Je regarde, j’écoute, j’apprends.

Comment ça ?

Au départ, je n’avais, par exemple, pas la clé avec Melvyn Jaminet. Je ne savais pas comment lui parler. J’ai alors décidé d’appeler ses parents, dans le Var. Je les ai écoutés me parler de leur fils. Et j’ai compris, je crois, comment fonctionne Melvyn.

Dans le "chemin" que vous évoquez, quelque chose vous a paraît-il beaucoup marqué : c’est l’épisode de l’épidémie ayant frappé Marcoussis, lors du Tournoi 2021…

(il coupe) Non. J’ai été marqué par la mort d’Eric Béchu et par beaucoup d’autres choses… L’épisode Covid auquel vous faites allusion (il avait alors été soupçonné d’avoir percé la bulle sanitaire du XV de France), je l’ai juste vécu comme une attaque personnelle et injuste. À ce sujet, je laisse chacun raconter son histoire. (il marque une pause) J’ai entendu tellement de choses, à cette époque-là. C’était presque de la fiction. Je sais bien qui disait quoi… Et pourquoi ils le disaient… Même vous, vous avez raconté des choses…

Ah…

Peu importe, à présent. Quand, après cet épisode, j’ai repris l’équipe, j’ai lu, en guise de réponse, une citation de Victor Hugo à mes joueurs. (il sort son téléphone et lance une vidéo de Fabrice Lucchini déclamant le poème "Le mot" de Victor Hugo). "Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites. Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes. […] Il vous échappe, il fuit, rien ne l’arrêtera. Et va, tout à travers un dédale de rues, droit chez l’individu dont vous avez parlé. Il sait le numéro, l’étage ; il a la clé. Il monte l’escalier, ouvre la porte, passe, entre, arrive et, railleur, regardant l’homme en face, dit : "Me voilà ! Je sors de la bouche d’un tel". Et c’est fait. Vous avez un ennemi mortel."

Lisez-vous tout ce qui se dit ou s’écrit à votre sujet ou à propos de l’équipe de France ?

Bien sûr. Mais je n’en fais plus un combat.

Passons à autre chose. Il est admis dans le microcosme que si Virimi Vakatawa, considéré il y a deux ans comme le meilleur centre du monde, se prépare comme un dingue pendant deux mois avant le Mondial, il redeviendra le joueur qu’il était…

(il coupe) Je lui souhaite. Il se connaît et sait ce qu’il doit faire pour retrouver son meilleur niveau.

Perdre du poids ? Se reposer ?

Je ne permettrais pas d’en parler. Virimi est un garçon extraordinaire, que j’aime profondément. Il est un joueur hors-norme et sait ce qu’il doit faire pour revenir. Et il reviendra.

Quid de Bernard Le Roux ?

Super mec, grand compétiteur. Je rappelle à ce sujet que le vestiaire du XV de France n’est fermé à personne. […] Tous les enfants peuvent rêver de porter un jour le maillot de l’équipe de France. Tous les joueurs qui sont en Nationale, en Fédérale, en centre de formation ou en Pro D2 peuvent espérer y être. Ce maillot, c’est celui qui le veut le plus qui peut le prendre.

Il semble que Jordan Joseph vous ait plu, lors des derniers entraînements à Marcoussis…

Tous les gamins que j’ai cités me plaisent. Jordan Joseph, Yoan Tanga, Paul Boudehent ou Silipi Falatea, qui ne joue pas à Clermont… Tous ces profils me plaisent.

Iront-ils au Japon ?

On verra… Si Greg Alldritt et Anthony Jelonch me disent : "Je suis en forme", ils auront le droit d’aller en tournée. Je m’entretiendrai avec eux avant.

Qui ira au Japon, alors ?

On partira sans les finalistes du championnat. On ne veut pas enlever le cadeau de la fête à ceux qui viennent de remporter le Brennus. […] En 2003, après avoir touché le bouclier avec le Stade français, j’ai dû filer avec l’équipe de France à Buenos Aires. En clair, je suis allé au mariage sans pouvoir faire le banquet. Je ne veux pas qu’ils vivent la même chose.

On parle beaucoup d’Antoine Dupont. Est-il néanmoins dangereux de sortir un joueur du collectif ?

Quand on l’a installé au tout début, il y avait débat à son sujet. Certains disaient : "c’est un numéro 10, pas un demi de mêlée !" D’autres assuraient : "il ne sait pas gérer les matchs !". Il a répondu, n’est-ce pas ?

Entretenez-vous une relation particulière avec lui ?

La première fois que j’ai rencontré Antoine, c’était en 2017, pour le faire venir à Toulon. On s’était retrouvés sur une aire d’autoroute à Narbonne, avec son agent, Thierry Cazedevals. Ce jour-là, je lui ai dit : "Moi, je pense que tu es le demi de mêlée du XV de France". Il ne l’était pas, à l’époque. Il était remplaçant, rentrait en fin de match. […] Un bon sélectionneur, c’est quelqu’un qui a l’œil.

Vous avez sous la main le meilleur joueur du monde et un capitaine qui gagne. Lui retirer le capitanat ne serait-il pas dangereux ? Et Antoine Dupont ne serait-il pas, finalement, le meilleur ambassadeur pour la Coupe du monde 2023 ?

Je n’ai pas besoin d’ambassadeur. Le meilleur ambassadeur, c’est une équipe qui gagne. Ce n’est pas quelqu’un qui fait des photos sur les abribus. Et pour l’instant, nos garçons l’ont compris.

Vous dîtes être "habité par votre mission". Coupez-vous néanmoins avec le rugby, parfois ?

Oui. Je retape une ferme dans le Lot, je fais du sport et je m’occupe de mes enfants, que j’aime plus que tout au monde…

Votre fils, Mathis, a récemment signé son premier contrat professionnel avec Colomiers. Quel regard portez-vous sur lui ?

C’est génial, ce qui lui arrive. Depuis qu’il est tout petit, on joue au rugby ensemble. En vacances, avec ses potes, on faisait des jeux à toucher sur la plage, dans le jardin… Aujourd’hui, il fait son chemin et je n’ai pas envie de l’embêter.

Ce patronyme ne sera-t-il pas lourd à porter, pour lui ?

Je lui ai dit récemment : "Change de nom, si tu veux." Il m’a répondu : "Jamais, papa".

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Les commentaires (2)
MC3612 Il y a 1 année Le 27/12/2022 à 14:00

Quand il considère que le Stade Français est le plus grand club de France, il se couvre de ridicule.

MC3612 Il y a 2 années Le 25/03/2022 à 16:46

Il y a peu, F. Galthié à qualifié le bandit à la tête de la FFR de grand président : sans parler des filouteries de l'individu, on aurait gagné deux ans s'il avait donné à d'autres le même staff (dont principalement Shaun Edwards) et les mêmes moyens. La grande majorité des joueurs de cette génération exceptionnelle étaient déjà connus sinon capés.. Aujourd'hui il considère le lamentable Stade Français comme le plus grand club de France ; il pourrait dire le plus bling bling ou le plus riche mais niveau palmarès, il se trompe lourdement. J'ai du respect pour le travail qu'il a accompli mais je ne partagerai jamais ces (et ses) opinions.