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Pierre Rabadan sur l'élection présidentielle : « Faire entendre sa voix face à un si grand danger est essentiel »

  • Acteur engagé de la campagne présidentielle, l'ancien joueur du Stade français, Pierre Rabadan, a signé une tribune pour faire barrage à l’extrême droite.
    Acteur engagé de la campagne présidentielle, l'ancien joueur du Stade français, Pierre Rabadan, a signé une tribune pour faire barrage à l’extrême droite. Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Adjoint à la Maire de Paris en charge du sport, des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et de la Seine, Pierre Rabadan est un acteur engagé dans cette campagne présidentielle. Comme d’autres, il a signé une tribune pour faire barrage à l’extrême droite.

Qu’avez-vous pensé de la tribune signée par des sportifs de haut niveau appelant à faire barrage à l’extrême droite lors du second tour de l’élection présidentielle ?

J’en suis très heureux. Voir que le monde du sport se mobilise et fait entendre sa voix, c’est important. Sans parler de position unanime, beaucoup de gens se retrouvent derrière le fait de faire barrage aux extrêmes, et plus particulièrement à l’extrême droite. Je suis le premier à me plaindre parfois que les sportifs ne font pas assez entendre leur position sur les problématiques actuelles de notre société (racisme, climat…), je suis donc satisfait de voir ce type d’initiative. Nous sommes aujourd’hui confrontés à un nouveau choix grave. Il en va donc de la responsabilité de chacun, et peut-être plus encore pour des personnalités à l’aura médiatique importante, de prendre position.

Mais est-ce réellement le rôle des sportifs de haut niveau ?

Pourquoi n’auraient-ils pas le droit d’exprimer une opinion ? Un rugbyman est un citoyen comme un autre. Pourquoi devrait-il se contenter de jouer au rugby sans exprimer ce qu’il pense, ce qui constitue sa personnalité. Je suis à 100 % au soutien d’Antoine Dupont et tous les autres sportifs qui se sont mobilisés. Les rugbymen, comme tous les sportifs de haut niveau, ont un rôle modèle dans notre société. Ils ont auprès des jeunes une aura et un devoir rôle d’exemplarité forts, c’est une réalité. Faire entendre sa voix face à un si grand danger pour notre avenir est essentiel. Or, aujourd’hui l’extrême droite porte des idées aux antipodes de celles du sport, qui sont des valeurs de rassemblement, de tolérance, d’ouverture, d’échanges et d’acceptation de l’autre dans sa différence. Faire du sport, c’est apprendre à vivre avec les autres. Et même si les idées véhiculées par l’extrême droite apparaissent plus lisses aujourd’hui qu’hier, sur le fond, elles restent les mêmes.

On dit souvent que le sport est un vecteur d’inclusion pour combattre les idées d’extrême droite. Est-ce votre sentiment ?
Le sport est, avec l’école, un des derniers bastions où l’on apprend à vivre avec des gens différents, avec des gens d’origines différentes, issus d’un autre milieu social, d’une autre culture. Et c’est dans ces environnements qu’on s’enrichit, qu’on se nourrit des autres. Le sport a donc un rôle capital d’intégration, d’inclusion. Tous ceux qui ont fait du sport ressentent et comprennent ça. Et malheureusement, nous n’investissons pas suffisamment dans le sport, qui a un pouvoir éducatif colossal. On apprend à respecter des règles, à vivre avec des contraintes, à assumer ses échecs, à atteindre des objectifs. Se construire, évoluer dans cette diversité, avec un entourage qui ne nous ressemble pas forcément, il n’y a rien de plus enrichissant. Et c’est ce à quoi s’oppose l’extrême droite, qui prône un mode de pensée unique et ultra-conservateur.

En quoi l’extrême droite peut-elle être un danger pour le sport en France ?

Pas seulement pour le sport ! Toutefois, je n’ai pas la sensation que le sport soit considéré par ce courant de pensée. L’histoire nous a montré qu’il était surtout utilisé pour promouvoir les idées portées par l’extrême droite, plus que pour un développement personnel ou un outil d’éducation, d’inclusion et de lien social. Le sport est vraiment utilisé à des fins politiques, comme un outil d’affirmation identitaire, de supériorité, ce qui n’est pas la fonction primaire du sport. Souvenez-vous de ce qui s’est passé en 1995 lors de la Coupe du monde de rugby en Afrique du Sud. Voilà un bon exemple de ce que doit être le sport. C’est peut-être caricatural, mais les symboles du monde du sport sont forts et font évoluer les mentalités et les comportements. Même si, j’en conviens, cela ne résout pas tous les problèmes.

Pourquoi le pouvoir politique minore-t-il autant le pouvoir éducatif du sport ?

À mon humble avis, c’est une problématique culturelle. Je crois que beaucoup de responsables politiques de très haut niveau ont une histoire personnelle avec le sport, qui se résume à une pratique de loisirs. Ils ne perçoivent pas forcément qu’il peut être un outil supplémentaire d’éducation, d’intégration, favorable à l’amélioration de la santé publique des Français. C’est ce qui sous-dimensionne l’investissement réalisé sur ce secteur. On espérait, avec l’organisation de la Coupe du monde de rugby en France et les Jeux Olympique en 2024, un changement d’échelle et un investissement beaucoup plus massif sur l’activité physique, malheureusement, comme tout le monde l’a constaté, le sport a été totalement absent du débat.

Justement, pourquoi ?

Je crois que c’est une histoire de priorité. La guerre en Ukraine a naturellement eu un impact sur cette campagne et a laissé sur le bord de la route un certain nombre de sujets, dont fait partie le sport. C’est décevant et inquiétant.

Est-ce aussi pourquoi l’assassinat de Federico Martin Aramburu, dont le principal suspect serait un membre de l’extrême droite qu’on dit proche de l’entourage de Madame Le Pen, n’a provoqué aucune réaction de la part de la classe politique ?

J’essaie de faire abstraction de mon émotion liée au fait que je connaissais Federico, que nous avons beaucoup d’amis communs, que cela soit passé à Paris, dans un quartier que je connais bien, à la veille d’une rencontre importante pour le rugby français et que cela soit arrivé à un mec aux qualités reconnues par tous, mais c’est un assassinat de sang-froid, injustifié, horrible qui nous a choqué et profondément bouleversé. Son assassin est connu pour son adhésion aux pensées de l’extrême droite. Il incarne la violence qui se cache derrière ces idées. C’est vrai que certains se sont bien gardés d’en parler, notamment dans les courants de pensée d’extrême droite. Et puis, malheureusement, il y a une guerre à quelques heures d’avions. Peut-être était-il difficile de s’attarder sur ce qui n’est qu’un simple fait divers aux yeux de certains. Une partie de la presse n’a peut-être pas non plus joué pleinement son rôle pour dénoncer un crime dégueulasse. Je parle là des médias qui donnent une tribune régulière à ceux qui véhiculent la haine, stigmatisent une partie des Français, et qui donnent de l’écho aux idées de l’extrême droite, au point de les banaliser. Ça, c’est un vrai danger.

En tant que responsable de l’organisation des JO 2024 et investit à Paris pour l’accueil du Mondial de rugby un an plus tôt en France, parvenez-vous à mesurer les impacts sur ces évènements en cas d’élection de Marine Le Pen ?

C’est difficile à évaluer. Aujourd’hui, les signaux d’alerte viennent de l’étranger. Nous recevons des messages d’inquiétude de nos partenaires, des pays participants. Franchement, notre devise serait mise à mal. Comment parler de fraternité dans un pays dirigé par l’extrême droite ? Ce serait comme un repli sur soi alors que la France a toujours été ouverte sur le monde, qui s’enrichit de sa diversité. Depuis l’étranger, notre pays a toujours été perçu comme un symbole d’ouverture, un exemple souvent cité dans la défense de ses fondements démocratiques. La France, c’est ce pays qui a combattu le nazisme il y a 80 ans. Or, aujourd’hui, on parle d’un mouvement politique qui porte les mêmes valeurs. 80 ans, c’était hier…

Paris 2024 assure que ces Jeux sont « ceux de tous les Français avec des valeurs fortes de partage, de solidarité et d’ouverture ». France 2023 prône également les mêmes valeurs. Est-ce possible de maintenir une telle idée avec une éventuelle présidence d’extrême droite ?

Ces deux événements, tout comme les Jeux paralympiques que nous n’avons jamais organisés en France, vont être vus dans le monde entier. Quelle image veut-on donner de notre pays ? Depuis la déclaration des droits de l’homme, la France s’est construite sur l’ouverture d’esprit, la tolérance. Seulement, à force d’agiter les peurs des uns envers celles des autres, de monter les gens les uns contre les autres en leur expliquant que s’ils ne vont pas bien, que si leur situation est difficile, c’est la faute de l’autre, celui qui ne leur ressemble pas et qui lui enlève ses droits. C’est un danger d’enfermement de la société dans laquelle je ne veux pas vivre. Je ne sais pas si les gens qui votent pour Marine Le Pen – et je ne juge pas ceux qui souhaitent contester le système actuel et qui pense trouver une réponse dans son projet – se rendent vraiment compte de ce que pourrait devenir notre pays. Et ça va, malheureusement, bien au-delà de ces deux événements magnifiques que la France s’apprête à accueillir, bien au-delà du sport.

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