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Pasteur, ministre, révolutionnaire et capitaine des Springboks : l’incroyable destin de Dawie De Villiers

  • Dawie De Villiers.
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Publié le Mis à jour
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Demi de mêlée et capitaine des Springboks dans les années 60, Dawie De Villiers s’éteint. Son destin dépassa largement l’univers du rugby. il épousa celui de son pays, de ses soubresauts et de ses transformations.

À l’annonce de la mort de Dawie De Villiers, tout un pan d’Histoire a défilé. Un monde traditionnel et monocolore qui avait pris peu à peu les teintes nuancées de l’Arc-en-Ciel. Mais c’est la nostalgie qui a d’abord étreint, celle des années 60. Quand on pouvait briguer le capitanat des Springboks tout en étudiant la philosophie et la théologie à l’université de Stellenbosch. En passant également pour une sorte d’agitateur gauchiste dans les colonnes d’un journal conservateur (Die Burger). Dawie de Villiers a porté 25 fois le maillot vert et or sans être obsédé par le jeu et par sa propre personne. Il avait bien d’autres choses en tête. C’est cela qui rend nostalgique de cette période. Les rugbymen d’élite avaient une vie à côté, parfois très ordinaire, parfois totalement hors du commun.

En plus, le père de Dawie De Villiers, Coenie, était parlementaire, puis ministre. La conscience bouillonnante de son fiston ne l’empêchait pas de jouer sérieusement à la mêlée de sa faculté, au point d’être appelé par la Western Province. Pilote d’un pack dominant, ses qualités d’animateur, sa passe limpide et son œil de lynx pour repérer les « trous » le propulsèrent vers le groupe des Springboks qui recevaient les Lions en tournée. Le début d’un bail de huit ans, riche de 68 % de victoires.
 

Maître à jouer derrière un pack féroce

Avec ses cheveux de lin qui tranchaient sur sa tunique vert bouteille, il incarnait un archétype du Sud-Africain blanc, rattaché de loin à la France par son patronyme. Il touchait souvent de bons ballons, offerts par des avants physiquement au-dessus du lot (même en comparaison avec des All Blacks) et il en faisait bon usage.
Il vint au moins une fois en France, en tournée en 1968 pour deux victoires à Bordeaux et à Colombes.

À Colombes justement, il avait marqué un essai sur un démarrage derrière une mêlée tellement puissante que le pack tricolore en fut proprement désagrégé. Il avait percé profondément la défense française entre Dauga, Bonal et Magois. Dans une équipe réputée pour sa force et sa férocité, il amenait une forme de finesse et de vision du jeu. Son élégance très stylée nous ramenait à des séries télévisées de l’époque : Illya Kouriakine dans « Deux Agents très spéciaux », Patrick McGoohan dans « Le Prisonnier » ou même le personnage joué par David Hemmings dans Blow Up, le film d’Antonioni. On le comparait souvent à son alter ego néo-zélandais Chris Laidlaw, plutôt fin et blond lui aussi.

Sur ses 25 capes, Dawie De Villiers en vécut 22 en tant que capitaine. On s’est toujours demandé ce qu’il disait à ses coéquipiers dans les causeries d’avant-match. Citait-il des grands auteurs, des phrases de Machiavel ou de Clausewitz, de Shakespeare ou bien des passages de la Bible ?

Car son image d’étudiant contestataire était passée progressivement au tamis de la culture sud-africaine, moins portée aux débordements que dans une Europe en pleine ébullition. Dawie De Villiers avait une autre corde à son arc : il était pasteur de la Dutch Reformed Church, une branche du protestantisme. En 1967, la presse française l’avait cherché dans sa paroisse de Wellington dans le Boland, sa nouvelle province. Il n’y était pas, on avait appris qu’il avait quitté ses ouailles pour rejoindre Durban et un stage de l’équipe nationale avant le choc contre les Français de Christian Darrouy. Oui, un vrai rassemblement de plusieurs jours, quasiment une semaine, en violation manifeste des règlements de l’International Board. Les Springboks s’affranchissaient allègrement de ces règles d’amateurisme, c’était la subversion des années 60 vue d’Afrique du Sud. Et l’IRB préférait fermer les yeux. Visiblement, le pasteur Dawie de Villiers dans son dialogue avec le tout-puissant s’arrangeait avec sa conscience. Il avait répondu avec une impeccable amabilité aux questions des journalistes intrigués par ce profil si exotique.
On se raccroche à des souvenirs épars car on voyait très peu d’images des Springboks, en ces temps où la télé balbutiait. Les traces du parcours de ce demi de mêlée si spécial ne foisonnent pas davantage aujourd’hui, même avec le secours de la toile.
 

Trois fois ministre

Il termina sa carrière en 1970 sur un dernier coup d’éclat, série victorieuse face aux Néo-Zélandais. Il avait 30 ans. Un nouveau destin national, même international en costume cravate l’attendait. Il commença par compléter sa collection de diplômes. Dawie De Villiers aurait pu finir dans la peau d’un universitaire un peu pépère, à la Rand Afrikaan University. Mais le patron de sa faculté, Gerrit Viljoen, le persuada de se lancer en politique contre l’avis de son père d’ailleurs. Le simili gauchiste des années 60 s’était recentré en adhérant au National Party. S’il devait exprimer son progressisme, il le ferait de l’intérieur.

On vit alors le demi de mêlée qui avait percé à Colombes se faire élire au parlement, puis en 1979 devenir ambassadeur d’Afrique du Sud au Royaume-Uni.

Le mélange de son éducation, de son hérédité et de son prestige sportif formait un cocktail unique qui fit de lui une personnalité politique de premier plan avec, comme sur les terrains, plus de succès que de revers : trois fois ministre, un petit échec vite surmonté aux législatives. Il vivait alors dans une Afrique du Sud mise au ban des nations à cause de la politique de l’apartheid. Les Springboks ne jouaient quasiment plus, faute d’adversaires.

De Villiers apparaissait comme un libéral parmi les conservateurs. Un homme qui préparait en douceur l’inévitable changement d’ère. Il n’évoluait pas spécialement dans sa zone de confort à cette période : le ministère du Commerce et de l’Industrie, ce n’est pas un débouché naturel pour un demi de mêlée aussi doué soit-il. Il y fit voter des lois sur le petit commerce et la fin de la ségrégation dans les bars. Signe de sa montée en puissance, il hérita du stratégique ministère de l’énergie et des mines dans le gouvernement De Klerk, le dernier de l’Apartheid. Un de ses amis, Leon Wessel, ancien ministre lui-même, témoigne : « Dans les débats qui agitaient le National Party, il était toujours du côté de la transformation et de la démocratisation. Il était vu parfois comme un perturbateur, mais lui-même avait été très perturbé par les violences du régime sud-africain de l’époque. »

Se remémorer le parcours de Dawie De Villiers, c’est aussi recevoir une leçon d’histoire contemporaine, à bonne distance des clichés et des simplifications. C’est aussi comprendre les arcanes d’un régime et la façon dont une société avance avec de brusques accélérations et le plus souvent des mouvements subtils, imperceptibles aux observateurs lointains.
 

Au cœur de la transition

Dawie De Villiers serait au cœur du basculement du pays quand Nelson Mandela sortit de prison, en 1990. Délégué du National Party lors des négociations avec l’ANC pour assurer la transition, il joua un rôle crucial dans les accords dits « Codesa », qui allaient déboucher sur une nouvelle constitution. Il conserverait d’ailleurs une place dans le premier gouvernement de Nelson Mandela issu des élections multiraciales, en charge du tourisme et des questions environnementales. De Villiers finit sa vie publique comme président du comité mondial du Tourisme qui siégeait à Madrid.

Coenie, son fils, a d’ailleurs déclaré : « Je pense que peu de gens se rendent compte de ce qu’il a fait durant les huit ans qu’il a passés comme président de l’organisation mondiale du Tourisme. Il a travaillé pour un tourisme éthique, il a milité contre le tourisme sexuel et pour la protection des enfants. Je pense qu’il n’a donc pas servi seulement l’Afrique du Sud. Son influence fut bien plus large. » On se souvient de sa sortie sportive par la grande porte, après la série victorieuse de 1970 face aux All Blacks, on n’imaginait pas qu’il vivrait une destinée aussi prestigieuse. Dans les trente ans qui suivirent, De Villiers démontra qu’il avait su sortir de sa condition de sportif stricto sensu et qu’il n’avait jamais été un ancien Springbok de service.

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