L'édito : pour l’essai en or

Par Emmanuel MASSICARD
  • Pour la première fois depuis 2009, un résultat de Coupe d'Europe s'est décidé aux tirs aux buts.
    Pour la première fois depuis 2009, un résultat de Coupe d'Europe s'est décidé aux tirs aux buts. SUSA / Icon Sport
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C’est un mystère frappé d’illogisme. Une question existentielle comme une promesse suspendue au-dessus du vide, qui demeure sans réponse logique et claire : pourquoi diable notre sport s’escrime-t-il à vouloir départager les adversaires par une séance de tirs au but, comme ce fut le cas samedi entre le Munster et Toulouse, quand tant de choses dans son ADN, son histoire et ses règles magnifient l’essai ?

Et pourquoi ce jeu qui se veut collectif, créatif et conquérant ne célébrerait-il pas l’essai en or dès le début des prolongations plutôt que d’avoir à subir jusqu’à l’usure ces coups de pompe cruciaux qui doivent tant à l’individuel, au talent d’un joueur maître de sa gestuelle autant que de ses émotions, et à l’échec d’un autre venant à trembler sous la pression ?

Tenter de répondre à cette question revient à effleurer toutes les contradictions d’un sport tirant ses forces de la complexité, mariant les contraires et célébrant ses différences en quête d’un idéal souvent éloigné des standards posés par les autres disciplines. Rien d’évident à vivre, mais c’est certainement ce qui fait le sel du rugby. Choisissez donc votre camp entre le pied et la main, l’affrontement et l’évitement, l’attaque et la défense, l’avantage et la sanction, la règle et son esprit. La vérité, c’est que notre sport et ses chapelles forment un tout difficilement dissociable.

Avec ses tirs au but comme des pénalties, le rugby singe le football alors qu’il s’est construit sur des contrastes profondément marqués avec le sport roi. Il cède ainsi au règne du suspens à l’état pur et au culte de l’émotion par l’image qui font le grand bonheur des télévisions et de l’audimat. Au risque parfois d’y perdre ses codes, ses forces et même ses différences.

Jusqu’au bout, il me semble pourtant que chez nous, au rugby, une prolongation aurait davantage de sens à se jouer jusqu’à ce qu’un essai soit inscrit ; le dernier de la rencontre et certainement le plus beau. Cela aurait évité la frilosité qui soudain s’est emparée des deux équipes, samedi, plus disposées à éviter la faute en prolongation, à provoquer celle de l’adversaire qu’à réellement chercher des espaces. Ce serait au service du jeu lui-même, et en accord avec les principes fondateurs de la discipline. Nous aurions tant de choses à y gagner.

Pour autant, ne jouons pas les rabat-joie de service. Samedi après-midi, nous avons vécu à distance un de ces moments qui forgent la légende d’un sport, d’une équipe et de leurs joueurs. La chance, formidable, a basculé dans le camp des Toulousains qui ont été grandioses de maîtrise et d’une efficacité insolente à l’image du trio Dupont-Ntamack-Ramos ; les grands joueurs font toujours les grandes victoires et, à ce titre, le champion d’Europe peut encore croire en sa bonne étoile. Même chose pour l’équipe de France dont les éléments « phares » sont en train d’accumuler de sacrées doses de confiance et d’expérience avant le Mondial 2023.

Le rugby ne sortira peut-être pas grandi de cette rencontre à l’intensité physique étouffante, comme il n’avait pas forcément été servi par la qualité du jeu entre Biarrots et Bayonnais l’an dernier lors du barrage Top14-ProD2. Mais personne de ceux qui ont assisté à ces joutes n’oubliera leur dénouement. Puissions-nous simplement, demain, avoir à nous souvenir d’ultimes essais marqués au gré d’exploits individuels ou de couronnements collectifs. Pour le meilleur du rugby.

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