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Antoine Burban : « Mon corps et ma tête ont dit stop »

Par Arnaud BEURDELEY
  • Antoine Burban avec son cher maillot rose du Stade français
    Antoine Burban avec son cher maillot rose du Stade français Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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En fin de contrat au 30 juin, l’emblématique 3e ligne Antoine Burban, 16 ans de présence au club pour deux Brennus (2007 et 2015) et une Challenge Cup (2017), a décidé de mettre un terme à sa carrière. Il l’annonce ici et en explique les raisons. De ses premiers pas en 2006, en passant par le passage de témoin entre Guazzini et Savare en 2011 ou encore l’épisode tragi-comique de la Fusion en 2017, « La Burb » a aussi ouvert sa boîte à souvenirs. La voix souvent teintée de nostalgie, la gorge parfois serrée, il a, durant deux heures, conté un pan de vie. Mais pour lui, le plus beau reste à écrire.

Le dernier match de la saison régulière approche et vous êtes en fin de contrat. Avez-vous pris une décision quant à votre avenir ?

Oui, j’arrête. Mon corps et ma tête ont dit stop. J’aurai aimé achever ma carrière autrement, c’est une évidence. Mais bon, c’est comme ça… J’espère que ce dernier match contre Brive sera une belle fête avec un stade Jean-Bouin plein à craquer. Malheureusement, je ne serai pas sur le terrain.

Comment appréhendez-vous ce dernier rendez-vous ?

Ça ne va pas être simple (il souffle). Mes parents, ma femme, mes enfants seront là. Beaucoup de mes amis seront aussi présents. Il y aura forcément beaucoup d’émotions.

La décision a-t-elle été difficile à prendre ?

(Il réfléchit longuement) Elle a surtout été longue à prendre. Durant toute la première moitié de saison, j’avais envie de continuer une année de plus. Je me sentais bien, je n’étais pas trop emmerdé par les pépins physiques. Et puis, les discussions ont un peu traîné. Le club, et je peux le comprendre, avait d’autres priorités à gérer. J’ai donc fini par prendre la décision qui s’imposait.

À quel moment avez-vous acté votre décision ?

C’était juste avant le match contre l’UBB (26 mars, N.D.L.R.). Nous étions en stage à Saint-Tropez. J’avais des douleurs au dos, difficiles à supporter. J’ai pris ça comme un message de la part de mon corps. Et puis, sur ce match contre Bordeaux, j’ai pris un K-O sur la première action. Quinze secondes plus tard, j’ai senti un coup de jus dans tout mon corps. Je n’étais pas éteint, mais vraiment pas bien. D’ailleurs, sur l’action suivante, les Bordelais marquent un essai sur une croisée où je suis incapable de défendre. Bref, tout ça a conforté mon choix.

Aujourd’hui, comment allez-vous ?

Je ne suis pas inquiet car je suis entre de bonnes mains. Mais j’ai encore des migraines assez fortes. Durant les premières semaines, j’ai eu des troubles de la mémoire comme je n’avais jamais eus. Au point que je ne me souvenais pas toujours de ce que j’avais fait la veille. J’avais parfois des difficultés à reconstituer le fil de ma journée. Je me souvenais de presque tout, mais pas dans l’ordre chronologique. Encore aujourd’hui, j’ai parfois du mal à organiser mes journées. Mais ça revient, petit à petit.

Max Guazzini nous racontait récemment qu’on lui avait déconseillé de vous faire signer en 2006 au prétexte que vous étiez ingérable, mais qu’il avait tout de même tenu à vous recevoir avec votre papa dans son bureau. Vous souvenez-vous de ce moment ?

Comme si c’était hier ! (rires) C’était dans les anciens bureaux du stade Géo-André. J’avais croisé Julien Arias pour la première fois. C’était le premier joueur professionnel à qui je serrais la main. Même si j’ai toujours été bercé par le rugby car mon père avait pratiqué ce sport en école d’ingénieur et qu’on regardait tous les matchs à la télévision, je m’y suis mis sur le tard. Pour moi, le rugby n’a jamais été un projet de vie. Avec le recul, peut-être que je ne me rendais pas bien compte de ce qui se passait.

D’autant plus que dès votre première saison, vous enchaînez les rencontres…

C’était incroyable… Quand je repense à cette époque-là, j’en ai des frissons. Dans le vestiaire, il n’y avait quasiment que des internationaux, avec de sacrés caractères. Que des papas. Ils m’ont pris sous leurs ailes et je me suis mis à voler. D’ailleurs, si je me suis senti si bien, c’est que j’ai été merveilleusement accueilli.

Étiez-vous vraiment ingérable ?

Max aimait les joueurs de caractère, les mecs qui prenaient aussi leurs responsabilités quand cela s’imposait. Mais je n’étais pas ingérable (rires).

Avez-vous le sentiment d’être un des derniers gardiens du temple ?

Des joueurs de caractère attachés au club, il en reste. Je pense à Paul Gabrillagues ou à Mathieu De Giovanni. Si ces mecs-là prennent de la bouteille, qu’ils restent et qu’ils gardent cet amour pour le club, ils peuvent devenir l’âme du Stade français. Des joueurs qui font toute leur carrière dans un seul club, il y en a partout et il y en aura toujours. Regardez Max Médard à Toulouse, « Fufu » (Ouedraogo) à Montpellier. Maintenant, je suis conscient qu’on n’efface pas seize ans dans un club d’un simple revers de main. J’ai connu beaucoup de choses avec ce club. Mon vécu fait que j’ai une sorte de légitimité. Mais je vous assure qu’il y a d’autres mecs pour reprendre le flambeau.

Quand vous vous retournez sur votre carrière, que retenez-vous ?

Les rencontres ! Ce sport, ce sont des histoires d’hommes. Toute la génération 2007 m’a régalé. Les mecs avaient toujours faim de victoires. C’est difficile de tous les citer, mais des joueurs comme Roncero, Marconnet, James, Parisse, Dominici, Rabadan et tant d’autres m’ont marqué. J’ai adoré cette époque. Mais quelles que soient les générations, j’ai fait des rencontres merveilleuses. J’ai tout de même eu très peur quand il y a eu le grand ménage à l’époque d’Heyneke Meyer. Toute ma génération a été plus ou moins virée : Jules (Plisson), Sergio (Parisse), Djibril (Camara), Alex (Flanquart) et d’autres. J’ai perdu beaucoup de repères à ce moment-là.

Heureusement, le Docteur (Wild) a pris la sage décision à mes yeux d’opérer des changements. Des garçons comme Laurent Sempéré et Julien Arias, qui font un travail de dingue, ont été intégrés dans l’encadrement. L’arrivée de Thomas Lombard et le retour de Gonzalo (Quesada) m’ont aussi rassuré. Aujourd’hui, malgré les résultats, je suis convaincu que le club va dans la bonne direction.

Ce sentiment est-il aussi vrai sur les dernières années ?

C’est un peu différent, mais l’équipe de l’an passé qui avait décidé d’aller chercher la qualification et qui a réussi son objectif m’a aussi marqué. Assumer ses propos, ce n’est pas toujours simple. L’an passé, on s’est promis une chose et on l’a faite.

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Vous avez connu deux saisons blanches en raison de graves blessures. La première en 2008-2009, la seconde en 2018-2019. Comment les avez-vous traversées ?

Pour la première, ce n’était que ma troisième saison de rugby au plus haut niveau. Je surfais encore sur l’irréel. Je ne me projetais pas plus loin que le lendemain. À ce moment-là, je n’imaginais pas spécialement faire carrière dans le rugby. J’étais totalement insouciant. Ma vie n’était pas construite autour du rugby, je n’étais pas programmé pour ça. Je n’avais pas fait de sport études ou de centre de formation. Je suis passé de la Fédérale 2 au Top 14 sans me poser de questions. C’est peut-être pour ça que j’ai eu la chance de pouvoir très vite jouer à ce niveau. Pour moi, tout n’était que bonus.

Et la seconde ?
Là, ça a été plus compliqué ! Dix-huit mois sans jouer, je peux vous garantir que c’est long. On a le temps de cogiter et de broyer du noir. J’avais 28 ans et j’ai eu peur de ne plus jamais pouvoir faire de sport ou même de jouer avec mes enfants, dans le jardin. Mon genou était pourri. J’ai eu vraiment très peur. Je suis même allé au Qatar pour voir un spécialiste. On m’a tout fait : infiltration, PRP (injection de plasma riche en plaquettes) et finalement une opération très lourde où on m’a scié le tibia pour me décaler l’axe de la jambe. Après ça, je devais courir au bout de quatre mois. Sauf que : impossible de poser la jambe par terre. Une douleur de chien. Il a fallu que je sois patient. C’est finalement après un séjour au CERS de Capbreton, où j’ai pu travailler avec Marcelo Pereira da Costa (ancien physiothérapeute de Thiago Silva au PSG), que j’ai pu recourir.

Avez-vous pensé à stopper votre carrière à cette époque ?

Bien sûr, mais ça allait plus loin que ça. J’ai cru que j’étais mort pour le sport. Je vous parle là du match de tennis avec un pote, de jouer au foot avec mon fils, d’aller faire du voilier. Même ça, je n’étais pas sûr de pouvoir le vivre.

Avez-vous été tenté de quitter le Stade français durant ces seize ans ?

Une seule fois.

Quand ?

Juste après l’annonce de la fusion.

Racontez-nous !

J’ai pris l’initiative d’appeler Ugo Mola pour signer à Toulouse. Je lui ai expliqué la situation. Tout était clair : si la fusion se faisait et que le Stade français devait disparaître, je voulais rejoindre le Stade toulousain. Ugo a été exceptionnel avec moi, il a très bien compris la situation. Il savait aussi que je serais resté à Paris, même en Pro D2. Il a vraiment été compréhensif. Nos échanges avaient été très riches. Il m’avait dit que ma place était à Paris mais qu’il serait ravi, si l’opportunité se présentait, d’envisager un avenir commun. Je tiens encore à le remercier.

Justement, avec le recul, le projet de fusion reste-t-il comme un événement majeur de votre carrière ?

Je m’en serai bien passé quand même (rires). Je me revois dans cette salle de Jean-Bouin où Thomas Savare nous avait convoqués pour nous l’annoncer. J’avais Paul Gabrillagues à côté de moi qui était comme un fou, il voulait se lever et partir. Certains ont vraiment cru à une blague au départ. Je me souviens avoir posé la question de savoir si ce n’était qu’un projet et si la décision était actée. À peine le président eut terminé sa réponse, nous nous sommes levés avec Paul, Pascal (Papé) et Jérémy Sinzelle et nous sommes partis.

Et ensuite ?

Le soir, on s’est tous retrouvés pour dîner et on s’est mis d’accord pour refuser le projet. Quand j’y repense, c’était chaud quand même.

En avez-vous tenu grief à Thomas Savare ?

Je ne lui en ai pas voulu d’avoir imaginé ce projet. Je peux l’entendre. Il y a mis beaucoup d’argent, beaucoup d’énergie. C’est le genre de choses qui peut arriver dans toutes les entreprises. En revanche, je lui en ai voulu de ne pas avoir associé quelques joueurs importants du groupe à la réflexion. Là, on a été mis devant le fait accompli. Et puis, la phrase de Jacky Lorenzetti : « 45+45 = 45 » nous a fait mal.

Vous avez vécu d’autres événements assez marquants avec le Stade français…

Déjà en 2011, il y avait eu l’épisode de la Facem. Pour moi, ça a été pénible car je suis très attaché à Max (Guazzini) et je l’ai vu au plus mal. Le club, c’était son bébé. Il nous a toujours transmis tout son amour, toute son énergie. Si nous avons vécu des aventures extraordinaires, c’est grâce à lui. Son départ a été un moment difficile. Le pire, c’est que quelques mois plus tard, on a inauguré le nouveau Jean-Bouin sans lui alors qu’il s’était battu comme un chien pour le faire sortir de terre.

Justement avant ce projet de stade, le club avait un côté bohème. Était-ce votre force ?

Je ne sais pas si on peut dire ça, mais j’ai quelques souvenirs cocasses. Parfois, quand le terrain de Marcel-Bec était gelé, on partait en voiture en se suivant pour trouver un terrain. Je revois encore ce cortège de trente bagnoles qui se suivent… On arrivait sur un autre site, on frappait à la porte : « Bonjour, est-ce qu’on peut s’entraîner ? » Parfois on partageait le terrain avec des scolaires. Souvent nous n’avions qu’un créneau de quarante-cinq minutes. C’était surréaliste.

L’arrivée du Docteur Wild a marqué le début de l’ère Heyneke Meyer qui a opéré un grand nettoyage. Comment l’avez-vous vécu ?

Assez mal ! Lui et l’ancien directeur général (Fabien Grobon) nous ont vendu un beau projet qu’ils n’ont pas du tout respecté. Ils se sont aussi beaucoup servis des médias pour tirer sur les joueurs, affirmant qu’on se plaignait de la dureté des entraînements, de ceci, de cela… Or, on se plaignait surtout de la qualité des entraînements et du management brutal. On n’avait pas vraiment l’impression de progresser. Tout était très répétitif, un peu comme le projet de jeu.

Vous avez remporté deux titres de champion de France (2007 et 2015). Lequel des deux vous a le plus marqué ?

Ils sont vraiment très différents. Le premier, je suis un gamin qui débarque du Puc, qui ne comprends pas trop ce qui se passe, avec des mecs qui ne sont que des internationaux, qui ont gagné le grand chelem, qui jouent avec les Pumas. Je suis titulaire en demi-finale, hors du groupe pour le Stade de France mais sans aucune rancœur. J’étais déjà tellement heureux d’être là. Et puis, en 2015, c’est l’accomplissement d’une génération dont je fais partie. Un groupe de potes, beaucoup de titis parisiens qui ont remis le club en haut de l’affiche. Pour beaucoup, on avait grandi ensemble. Je l’ai donc vécu différemment.

Parlons un peu de l’équipe de France…

Ça va être plus rapide (rires).

Le troisième ligne parisien compte 4 séléctions avec les Bleus
Le troisième ligne parisien compte 4 séléctions avec les Bleus Dave Winter / Icon Sport - Dave Winter / Icon Sport


Justement, on a souvent dit qu’avec plus de sérieux, vous auriez eu plus de quatre sélections. Est-ce votre sentiment ?

Qu’est-ce que je peux dire ? J’ai souvent eu des blessures au mauvais moment. Mais je n’ai pas de regret. Je vous jure que je n’ai pas déconné.

On vous a reproché votre côté bringueur, non ?

J’ai beaucoup fait la fête à mes débuts, c’est vrai. J’en ai bien profité. D’ailleurs, c’était beaucoup à cause de cette génération 2007. Comme quoi, au passage, on peut faire la bringue et gagner. Cette année-là, il n’y avait pas de journée « off » (rires). Seulement, on m’a collé une étiquette que j’ai traînée tout au long de ma carrière. Aujourd’hui, j’ai deux enfants de 7 et 6 ans. Vous croyez vraiment que j’ai passé mes dernières années en boîte de nuit ? Bref, je n’ai que quatre sélections, mais aucun regret.

Quel est votre avenir ?

Je prépare le concours pour devenir agent sportif. Mon objectif, c’est de pouvoir travailler avec la société Sport Session. J’ai envie d’apporter mon expérience et mon vécu pour conseiller au mieux les jeunes joueurs. Ce qui m’intéresse, c’est l’aspect humain de cette profession. On se fait parfois une fausse image des hommes qui exercent ce métier. J’étais de ceux qui voyaient peut-être l’agent comme un personnage sulfureux, comme on peut voir dans le football. J’ai d’ailleurs passé quasiment dix ans à négocier mes contrats moi-même. Mais quand j’ai rencontré Yoan Lamaison et Mathieu Cottin, j’ai été séduit. J’ai adhéré à leur philosophie. Et j’ai vraiment envie de m’investir dans ce domaine.

Redoutez-vous tout de même « la petite mort du sportif » ?

Je n’ai aucune crainte. Depuis le début, je savais que cette vie de sportif professionnel allait s’arrêter un jour. J’ai toujours gardé un pied dans la réalité, mes parents m’ont éduqué ainsi. Et puis, je sais que je vais enfin avoir une vie normale. Je vais reprendre la voile, pouvoir jouer au foot, au tennis, au basket avec mes potes. Retourner au ski. Et profiter de mes enfants, avec mon épouse qui a fait preuve d’une très grande patience (large sourire). Il me tarde vraiment. Je vais vous faire une confidence : j’ai raté toutes les premières fois de mes enfants, les fêtes de l’école, les spectacles. J’ai raté leur première sortie en mer sur un bateau, leurs premières descentes en ski. Je ne me plains pas, j’ai eu une vie de rêve. Une carrière de rugbyman, c’est fabuleux. Et je suis sûr que la suite sera aussi belle.

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