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Hommage - Le dernier crochet de Phil Bennett

  • Le Gallois Phil Bennett est décédé dimanche dernier.
    Le Gallois Phil Bennett est décédé dimanche dernier. PA Images / Icon Sport
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Phil Bennett est décédé dimanche à 73 ans. Il fut l’un des ouvreurs les plus inspirés de l’Histoire. Personne n’oubliera ses crochets irrésistibles, symboles des triomphantes années 70 du rugby gallois.

Il ne tricotait pas, mais il était le roi du crochet. Un jour un confrère vraiment pointu nous avait confié ces propos définitifs et admiratifs : « Phil Bennett, c’était l’inspiration personnifiée. » Immédiatement, une image était revenue à notre mémoire. Non, plutôt une phrase écrite dans un magnifique ouvrage historique (Le Rugby, éditions Jean-Claude Lattès).

Ses auteurs évoquaient le match Barbarians-Nouvelle-Zélande de janvier 1973 à l’Arms Park de Cardiff, considéré sur l’instant comme le plus beau moment de rugby de tous les temps. Les auteurs (Jean François Fogel et Christian Jaurena) faisaient parler Georges Domercq, l’arbitre français au sujet du premier essai, long de 95 mètres qui lança cette après-midi paradisiaque : « Bennett doit botter en touche, il en a le temps et il n’a rien d’autre à faire dans sa position, mais il ne le fait pas, et le match devient fou. » 

Puis le récit reprend : « Bennett, le premier des magiciens ose la folie. Scown, le troisième ligne néo-zélandais partage l’opinion de l’arbitre et fonce contrer le coup de pied attendu. L’ouvreur file déjà en direction opposée vers le grand champ, mais sans vitesse car il s’est bloqué dans l’affaire. Il invente alors un curieux pas de danse entre hésitation et trépidation pour passer à l’intérieur du centre Hurst, abusé par ce joueur archi-coincé qui tient le ballon à deux mains et a toutes les raisons de s’en débarrasser… Deux de moins ! Deux avants Kirkpatrick et Urlich ont ralenti pour considérer ce kamikaze de la relance qui en revient au classicisme. Couse en accélération vers l’extérieur, quatre de moins ! Lorsque Bennett sert JPR Williams, une alchimie de quinze foulées a tout changé. »

1973 : des « tchic-tchac » pour l’éternité

Ces phrases, elles nous a marqués à vie, elle nous a poussés le moment venu à nous servir de YouTube pour voir et revoir ce qu’avait vraiment tenté Phil Bennett, avec, sur les épaules, ce maillot des Barbarians qui était un peu celui des Lions évoluant à domicile. Il se saisit du ballon dos tourné à l’adversaire « offrant l’image familière du joueur aux abois à dix mètres de sa ligne que quatre défenseurs rabattent dans un angle du terrain ».

Par sa toupie de dessin animé, Phil Bennett grille les défenseurs par des « tchic-tchac » épileptiques pour faire naître l’essai extraordinaire de Gareth Edwards, via JPR Williams, John Pullin, John Dawes, Tom David et Derek Quinnell.

Demi d’ouverture modeste et génial, Phil Bennett est décédé dimanche soir à 73 ans. Le 14 avril dernier à Felinfoel son village d’origine, une statue de bois de chêne avait été érigée à son effigie. Ses traits très creusés et sa démarche affaiblie avaient de quoi alerter les plus optimistes. Il a tenu deux mois de plus, puis il s’est envolé nous laissant à nos souvenirs, ceux des débuts de la télévision en couleur.

Ceux d’un rugby où l’on pouvait encore dévorer les espaces. La spécialité de Phil Bennett, c’était ses fameux changements d’appuis « sidesteps » en anglais, crochets courts suivis d’offrandes à des centres installés dans un fauteuil.

Il est frappant de constater que sa carrière internationale fut assez courte, cinq ans et demi en vérité entre décembre 1972 et mars 1978 pour un total de 29 sélections à peine. Il termina son parcours international de son propre chef à moins de 30 ans après un grand chelem conclu à Cardiff contre la France qui portait ce jour-là des flottants noirs. Il avait marqué deux essais pour ses adieux couplés avec ceux de Gareth Edwards. Mais à la différence de son célèbre partenaire, Phil Bennett avait dû patienter assez longtemps avant de devenir l’ouvreur patenté du XV du Poireau.

Car il avait succédé à une autre légende, Barry John, plus filiforme, moins « électrique » que lui. Mais Barry John arrêta sa carrière à 27 ans en 1972. Bénédiction pour « Benny » qui ne comptait alors que cinq sélections, dont deux comme remplaçant, une à l’aile et une à l’arrière. Delme Thomas, son ancien coéquipier, se souvient : « Quand nous sommes revenus de la tournée triomphale en Nouvelle-Zélande de 1971, nous avons dû faire face à l’annonce de la future retraite de Barry John. Je me souviens que tout le monde pensait que le rugby gallois était fini et surgit ce gars de Felinfoel et nous n’avons plus regardé en arrière. »

En vingt ans de collaboration, je ne l’ai pas entendu une seule fois se vanter. Ce n’étais pas son style.

Phil Bennett prit alors son envol mais que se serait-il passé si Barry John ne lui avait pas laissé sa place, si comme les joueurs de maintenant, il avait tiré sur la ficelle jusqu’à 33 ou 34 ans ? Peut-être que le talent de Phil Bennett n’aurait jamais trouvé de scène à sa mesure. Il serait resté un bijou pour les fans de Llanelli. Il faut en effet comprendre qu’au pays de Galles, on l’associe d’abord à cette petite ville très celte de la pointe ouest de la Principauté.

À son époque, le mot Scarlets était un surnom et pas une marque commerciale, Llanelli passait pour un conservatoire du jeu offensif, à la différence de Pontypool ou de Newport, plus axés sur les avants. Même les petits pays n’échappent pas aux particularismes régionaux.

Phil Bennett débuta à 18 ans, en 1966, sous le maillot de ce club historique et, curieusement, il y fut déjà barré par Barry John qui eut la bonne idée de partir à Cardiff à l’été 1967. Pour sa première saison, Phil Bennett et Llanelli gagnèrent la coupe du pays de Galles, le talent du demi d’ouverture trapu ne faisait plus le moindre doute, mais dans ce rugby sans trop de remplacements, sans coupes d’Europe, le reste du monde ne pouvait pas le deviner.

Sans la retraite précoce de Barry John on aurait très bien pu, en France, passer à côté de ce phénomène, même si avec Llanelli, il avait réussi à battre les All Blacks en tournée le 31 octobre 1972, succès épique, 9 à 3, célébré par un fameux poème. Phil Bennett n’avait pas marqué mais une de ses pénalités avait heurté un poteau pour se transformer en passe décisive à son centre Roy Bergiers.

Il dégagea aussi le dernier ballon du match après avoir échappé d’une feinte d’école au défenseur qui montait sur lui comme un dératé (Grant Batty). Quand il raccrocha définitivement les crampons en 1981 (à 32 ans), son compteur affichait 414 matchs et 2 500 points pour son club au maillot écarlate.

Deux grands chelems en moins de six ans de carrière

Une fois lancée en sélection, l’ascension de Phil Bennett fut étourdissante, il succéda à Barry John (encore) chez les Lions en tournée en Afrique du Sud pour une tournée sans défaite (en 22 matchs) ponctuée de ses courses tranchantes et de ses pas de danse toujours aussi déconcertants. Avec le pays de Galles, il vécut deux grands chelems en 1976 et 1978 plus deux victoires simples et trois triples couronnes.

En 1977, il fut même capitaine des Lions en tournée en Nouvelle-Zélande, le bilan fut négatif en tests mais les débats furent équilibrés, et Phil Bennett et ses attaquants durent faire face à la tournée la plus pluvieuse de l’histoire, leur brio ne fut pas favorisé.

Après avoir revu Phil Bennett dire quelques mots au soir de sa vie, devant sa statue, soutenu par l’imposant Delme Thomas, on a fini par sécher nos larmes et on s’est interrogé sur la dilatation du temps qui s’est produite depuis les années Bennett. On le répète, on ne le voyait pas très souvent jouer et jamais avec son club, mais les images d’alors avaient une puissance décuplée par rapport à celles d’aujourd’hui. Le prix de la rareté. Les Michalak, Hastoy, Jalibert qui ont un peu le même profil voient leurs performances plus exposées, donc plus banalisées et ce n’est, à notre sens, pas une chance.

Après sa carrière, Phil Bennett, fut souvent invité pour parler à la fin des dîners de gala, fonction très prisée outre-Manche. Il devient aussi un consultant recherché par les médias, il dut dans les années 80 et 90 commenter le déclin sportif du pays de Galles, mais jamais il ne tomba dans l’aigreur. En 2005 pour le premier grand chelem de l’ère professionnelle, on se souvient de ce plan de la BBC sur son visage, installé en tribune. Enfin, il avait des successeurs.

Un talent dépourvu d’ego

Il vivait bien sûr de sa notoriété et de ses exploits du passé mais sans jamais mettre son ego en avant et sans jamais renoncer à cette bonté qui le faisait s’intéresser à tous ceux qu’il croisait. Son talent était un don du ciel, il n’en tirait aucune vanité. Ce fut là le grand talent de sa vie d’après Mark Orders, un journaliste au South Wales Evening Post qui aimait à raconter comment il avait vu voler Phil Bennett au secours d’un petit club local qui faisait son repas annuel. « Le speaker after dinner s’était désisté au dernier moment. Le président avait appelé, désespéré, le chef des sports de mon journal qui s’appelait David Evans : « David, c’est un désastre, nous n’avons personne », s’étranglait le pauvre dirigeant. » 

Le journaliste avait alors appelé son chroniqueur vedette qui s’était libéré dans l’instant, prêt à prendre sa voiture. Le journaliste avait voulu prévenir tout malentendu : « Phil, ils n’ont pas beaucoup d’argent. - « Allez… quelques bières suffiront. » Par ailleurs, en vingt ans de collaboration, je ne l’ai pas entendu une fois se vanter. Ce n’était pas son style .» 

On savait qu’une maladie l’avait attaqué mais jusqu’au bout, il était resté fidèle à ses principes. Fin 2021, il avait téléphoné à tous les joueurs des Scarlets qui étaient restés bloqués dix jours dans des chambres d’hôtel de Belfast, avec seulement trente minutes par jour pour se dégourdir les jambes.

À leur retour d’Afrique du Sud, ils avaient subi de plein fouet les lois anti-Covid du gouvernement britannique. Phil Bennett avait une autre spécialité : il écrivait une lettre manuscrite à tous les joueurs sérieusement blessés. À l’heure de Whatsapp, cette pratique semblait aussi extravagante que ses crochets de 1973 mais elle en a touché plus d’un.


Digest...

Né le : 24 octobre 1948 à Fellinfoel

Mensurations : 1, 71 m ; 74 kg

Surnom : Benny

Poste : demi d’ouverture

Clubs successifs : Fellinfoel, Llanelli RFC (1966-1981).

Sélections nationales : pays de Galles (1969-1978) : 29 capes. Lions britanniques et irlandais (tournées 1974 et 1977) : 8 capes.

1er match en sélection : à Colombes, le 22 mars 1969

Points en sélection : 210 (8 essais, 20 transformations, 46 pénalités).

Palmarès : deux grands chelems (76-78) ; Tournois des 5 Nations (1973 et 1975). Triples couronne (1976, 1977 et 1978). Tournée victorieuse des Lions britanniques et irlandais en Afrique du Sud (1974). Quatre coupes du pays de Galles avec Llanelli (1973, 1974, 1975 et 1976).

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