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Immersion dans les coulisses de l'exploit castrais face à Toulouse

Par Nicolas Zanardi
  • Les Castrais ont été accueillis en héros au lendemain de la rencontre.
    Les Castrais ont été accueillis en héros au lendemain de la rencontre. Castres Olympique - Alexis Prat
Publié le Mis à jour
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C’est au bout d’un week-end particulièrement intense que les leaders de la phase régulière ont gagné face au Stade toulousain le droit de disputer leur quatrième finale de Top 14 en moins de dix ans. Une constance qui force l’admiration pour le onzième budget du championnat, dont Midi Olympique eut l’honneur d’être le témoin privilégié pour avoir passé trois jours en immersion totale avec le CO, de leur hôtel monégasque à leur vestiaire niçois. Chronique d’une semaine de rêve…

« Il y a eu les Tuche à Monaco, ils peuvent bien accueillir le CO ! » C’est guidés par ce leitmotiv rempli d’autodérision que les Castrais ont franchi mercredi la porte de l’hôtel Marriott de la Porte de Monte-Carlo, situé à quelques dizaines de mètres du stade Louis-II et de la somptueuse marina du Cap-d’Ail. Un lieu atypique au luxe ostentatoire, évidemment aux antipodes des pénates que les Tarnais avaient quittées quelques heures plus tôt, sous les applaudissements de plusieurs centaines de supporters. Mais un cadre finalement idéal pour faire monter doucement la pression, et transformer cette demi-finale niçoise en un rendez-vous exceptionnel…

On en eut très vite un aperçu lors de l’entraînement de l’après-midi, réalisé sur la pelouse synthétique du Devens, sous les yeux de Thomas Riqué (président de l’AS Monaco Rugby, fraîchement promue en Fédérale 2), Vincent Romulus (manager) et Giorgi Chkhaidze (entraîneur-joueur), ainsi que de toute la famille du régional de l’étape Antoine Zeghdar : fautes de main, petites erreurs… Le stress était éminemment perceptible, bien que rapidement évacué par une séance de dédicaces auprès de l’école de rugby locale. Reste que cette tension n’avait pas échappé au président Pierre-Yves Revol qui, tout heureux de retrouver cette ville qui fut aussi son lieu de travail à la fin des années 90 (lors du rachat de RMC par Sud Communication) et de s’adonner à quelques heures de shopping ou de golf, avait concocté dès le mercredi soir une petite surprise à ses joueurs…

 

Max Guazzini en invité surprise

C’est ainsi qu’après avoir été accueilli en gare de Nice par Thierry « Bibi » Heuillet, supporter devant l’éternel du CO, l’ancien président du Stade français Max Guazzini partagea mercredi soir le repas des joueurs castrais et de leur staff, pour ce qui fut l’un des temps forts du week-end. « Les phases finales sont un moment de générosité, et si j’ai demandé à Max de venir, c’est parce qu’il incarne mieux que personne cette valeur, avançait en préambule le président castrais. On a beaucoup caricaturé le Stade français, mais c’est un club que j’ai toujours admiré car ce que Max y a réalisé est admirable de partage entre les joueurs, leurs dirigeants et leur public. Nous sommes une petite ville de province enclavée et le Stade français, c’était Paris. Pourtant, c’est bien un modèle de fonctionnement très proche qu’on essaie de reproduire. »

« Même si on avait une image fantasque et loufoque qu’on cultivait, nous étions paradoxalement très traditionalistes sur certaines valeurs du rugby, confirmait Guazzini. Notre équipe était double face : les joueurs faisaient les cons, mais la rigueur était quasi militaire. Sur les valeurs que votre club cultive et celle que nous prônions, au final, il y a beaucoup plus de points communs qu’on ne pourrait le croire. »

 

Max Guazzini a rendu visite aux Castrais avant la rencontre.
Max Guazzini a rendu visite aux Castrais avant la rencontre. Castres Olympique - Alexis Prat

 

« Si vous n’êtes pas nés pour être champions, qu’est-ce que vous foutez là ? »

Preuve en fut vite apportée… C’est ainsi qu’après un petit film retraçant l’immensité de la carrière de Guazzini, de ses débuts comme avocat à sa - courte - vocation de chanteur sous le pseudonyme de Manuel Guazzi en passant par son rôle d’attaché de presse de Dalida et sa promotion jusqu’à la présidence du Directoire de NRJ, le président historique du Stade français s’adressa aux joueurs de Castres en toute simplicité, pour n’en ressortir qu’une morale : « Si vous n’êtes pas nés pour être champions, qu’est-ce que vous foutez là ? »

Question existentielle et essentielle, renvoyant symboliquement à l’aphorisme célèbre du plus anarchiste des Monégasques, Léo Ferré : « Il faut se dire : je suis le meilleur, sinon on ne fait jamais rien. » Le point de départ d’une introspection cruciale dans la semaine du groupe castrais, pour lequel Guazzini confia sans peine sa profonde sympathie. « J’ai toujours eu un penchant pour le CO, expliquait l’actuel Secrétaire Général de la Fondation Brigitte-Bardot. C’est pour cela que j’ai pris le train cet après-midi, parce que vous êtes une équipe authentique, faite de mecs qui en ont. Vous n’êtes pas comme les autres, et c’est pour ça que je sais que vous allez vous dépasser. Mon ami « Domi » disait toujours que le rugby se joue aussi avec la tête et avec le cœur, et vous avez les hommes de caractère pour ça. Et en plus, vous avez Combezou qui adorait montrer son cul dans mes calendriers, donc ça ne peut que marcher ! »

 

Revol, discours prémonitoire

Une conclusion qui généra enfin des éclats de rire, comme pour faire retomber une tension que Pierre-Yves Revol, fort de ses trente-trois ans d’expérience à la présidence, se chargea avec habileté de maintenir à son juste niveau par des propos pour le moins prémonitoires.

« Si je n’avais qu’une chose à vous dire, c’est que vous devez prendre confiance en vos moyens. Ils ont peut-être un joueur de génie en face qu’on connaît bien, mais pourquoi Santiago (Arata) ne nous sortirait-il pas le match de sa vie ? Et après, doit-on faire des complexes ? Je ne pense pas. Si on me proposait Ramos à Castres, je n’en voudrais pas, parce que j’ai Julien Dumora. Les centres, les ailiers, c’est la même chose, et c’est pareil pour toi Benji (Urdapilleta). Devant, ils ont des internationaux dans toutes les lignes. Mais n’en a-t-on pas nous aussi ? Je pense que nous avons un rendez-vous important en première ligne. Il y a des leaders qui ne nous ont pas assez montré de choses ces dernières semaines. Je pense à vous, Wilfrid (Hounkpatin) et Gaëtan (Barlot). J’attends plus de vous. Les phases finales, c’est le moment de se transcender, d’atteindre son meilleur niveau et je compte sur vous, les anciens, pour leur montrer. Vous allez défendre comme des chiens, c’est votre force. Mais il y aura aussi trois ou quatre coups à jouer et pour ça le courage ne suffira pas, il faudra aussi du talent et de l’audace. Ça aussi, vous en avez. Rory (Kockott) y est arrivé en finale en 2013, Julien (Dumora) en 2018. Vous pouvez le refaire, il faut simplement vous en convaincre. Vous leur faites peur ! Soyez-en conscients. »

Contrat de confiance, mise sous pression des cadres : tout y était, y compris l’objectif fixé par le président : générer de l’émotion. « En demi-finale à Lyon en 2018, nous avions invité les champions de France 93. J’ai l’image, à la fin de ce match, de tous ces mecs qui chialaient comme des gamins. Vendredi, j’attends de vous la même chose. Vous allez faire chialer de bonheur les anciens, mais aussi vos familles, vos supporters. » Plus de doute : à quarante-huit heures du coup d’envoi, les mâchoires étaient serrées, et la demi-finale bel et bien lancée…

 

Dupont, la pizza et le texto

Reste qu’avant le coup d’envoi tant attendu, il restait encore un jour à tuer. Une veille de match forcément plus lente qu’à l’accoutumée, heureusement rythmée par les incontournables « captain run » et conférence de presse de veille de match, durant laquelle le manager Pierre-Henry Broncan signa la « punchline » de la semaine en estimant que le seul plan anti-Dupont qui vaille, c’était « peut-être de lui faire manger des pizzas Buitoni ».

Un trait d’humour qui arriva évidemment très rapidement aux oreilles des voisins toulousains puisqu’en début de soirée, c’est par un texto amusé que le demi de mêlée du XV de France répliqua à Broncan. « Je vais éviter de manger des pizzas ce soir, alors » s’esclaffait Dupont, émoticônes à l’appui. Le plus drôle de l’histoire étant qu’à ce moment exact, Broncan était précisément en train de déguster quelques pizzas (non surgelées celles-là…) avec tout son staff, arrosées de quelques bières indispensables pour faire retomber la pression. Un moment de détente prolongé de leur côté par Pierre-Yves Revol et Matthias Rolland, invités au yacht-club de Monaco par Albert II et auquel les Tarnais remirent un maillot du club, que le Prince monégasque promit d’étrenner lors de son prochain footing. De quoi faire avaler - si possible - la mauvaise nouvelle de l’annulation de la diffusion du match sur la place Soult décidée par le préfet du Tarn en raison de la canicule, avant un dîner chez Elsa, dans un cadre enchanteur avec vue imprenable sur toute la baie de Monte-Carlo. Un moment de détente hors du temps suivi d’une sortie d’une petite heure au Casino du Rocher, comme si, à l’image de leurs joueurs, les dirigeants castrais n’avaient qu’une hâte : celle de rendre la nuit plus courte, avant le grand combat…

 

L’émouvant message des familles

C’est ainsi que vendredi, les Tarnais s’éveillèrent dans un calme relatif, à peine troublés par la rumeur du matin selon laquelle les dirigeants toulousains auraient doublé leur nombre de réservations à l’hôtel Pullman Paris Montparnasse pour le week-end prochain. « Quand nous avons appris ça, nous nous sommes immédiatement positionnés en back-up, nous soufflait un dirigeant castrais. Comme ça, si c’est nous qui passons en finale, nous saurons où aller après le match… »

Des considérations dont les joueurs étaient évidemment bien loin au moment de leur mise en place matinale, en marchant, sur le terrain synthétique du stade Didier-Deschamps jouxtant leur hôtel. La tension montant forcément au fur et à mesure de la journée, touchant son climax lors d’un clip vidéo distillé aux joueurs juste avant leur départ en bus. « Dans la vie, on passe tous par de mauvais moments, et c’est ce qui nous permet de goûter à leur juste valeur les bons, avait présenté Pierre-Henry Broncan avant la diffusion. Tant qu’on peut apprécier des messages comme ceux qui vont vous être adressés maintenant, c’est qu’on vit de bons moments dont il faut profiter. Il va y avoir de l’émotion, nourrissez-vous en. Vous n’avez qu’un devoir aujourd’hui : celui de rendre tous ces gens encore plus fiers de vous. Et ensuite, arrivés au stade, feu ! Cela a beau être le grand Stade toulousain, on ne les regarde pas. On les massacre. »

 

Babillot : « On s’était promis de ne rien lâcher »

Promesse évidemment tenue au-delà des espérances, malgré une entame de match manquée, peut-être imputable à ce trop-plein émotionnel. « Quand j’ai vu cette vidéo, j’ai un peu craint qu’elle nous inhibe car on était relativement proches du coup d’envoi, souriait dans le vestiaire le capitaine Mathieu Babillot. Mais finalement, la demi-heure de trajet en bus nous a permis de plutôt bien l’absorber. Bien sûr qu’il y a eu de la fébrilité de notre part en début de match, mais ce sont surtout les Toulousains qui ont très bien joué. Par contre, de notre côté, nous avons su faire le dos rond, souffrir ensemble, nous accrocher, et tenir la promesse que nous nous étions faite : ne rien lâcher. »

À l’image du CO éternel, en somme… « Dans ce club, on n’est pas les meilleurs en tout, loin s’en faut, rigolait la légende Rodrigo Capo Ortega, arrivée jeudi matin au soutien de ses ex-partenaires. Mais on a l’avantage d’avoir en nous ce que tous les autres clubs recherchent : une identité. » Parce qu’il est toujours moins grave de perdre que de se perdre, et surtout que la fidélité à ses valeurs n’est pas le moindre des gages de succès, laquelle se transmet de génération en génération.

À l’image d’un Santiago Arata qui a repris le flambeau de la grinta uruguayenne, d’un Baptiste Delaporte qui marche d’ores et déjà dans les traces d’un Babillot, sans parler des anciens Dumora, Urdapilleta ou Combezou, traits d’union parfaits entre les différentes épopées. « Je ne plaisante pas : ce soir, on profite de boire quelques bières entre nous, mais personne ne sort, ordonnait l’expérimenté trois-quarts centre, sitôt de retour à l’hôtel. On a un rendez-vous trop important la semaine prochaine, il ne faut surtout pas nourrir de regrets. On s’est invité au banquet, c’est bien, mais maintenant, il faut gameller. Quand je serai vieux et que je serai à la chasse en Corrèze, si on perd, je sais que j’y penserai tous les jours… Ça, c’est juste hors de question. »

 

Mathieu Babillot, le capitaine tarnais, a mené les siens vers le succès face à Toulouse.
Mathieu Babillot, le capitaine tarnais, a mené les siens vers le succès face à Toulouse. Castres olympique - Alexis Prat

 

Du coup de fil d’Eddie Jones à la finale de Troisième Série

Et quand bien même les Tarnais auraient voulu lâcher du lest, cela leur aurait été impossible… La preuve ? Alors qu’il peinait à s’endormir, Pierre-Henry Broncan fut réveillé à 4 h 30 du matin par un coup de fil venu tout droit d’Angleterre et du sélectionneur du XV de la Rose, Eddie Jones. Pour des félicitations d’usage ?

« Même pas, rigolait au petit-déjeuner le manager tarnais. La première chose qu’il m’a dite, c’est qu’on n’avait pas le droit de prendre un essai comme celui de Lebel d’entrée de match, que ça n’était pas normal. » Anormal à l’image de cette drôle d’équipe et de son staff de retour au combat dès le dimanche. Au terme de cette semaine princière, il ne faut plus que jamais jurer de rien. Parce que l’aventure de ce CO version 2022 épouse à l’évidence les courbes de ces prédécesseurs de 2013 et 2018, rayonnante d’insouciance et de joie de vivre. « Il ne faut pas avoir peur du bonheur, écrivait le Niçois d’adoption Romain Gary. C’est seulement un bon moment à passer. » Et cela, les coéquipiers de Mathieu Babillot l’ont parfaitement compris, dont la promesse de l’aube consiste désormais en un morceau de bout de bois. Rendez-vous vendredi…
 

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