Abonnés

La saga du Brennus

  • Brennus Ambiorix Crosnier, connu sous le pseudonyme de Charles Brennus, créateur du Bouclier éponyme et fondateur du SCUF. Brennus Ambiorix Crosnier, connu sous le pseudonyme de Charles Brennus, créateur du Bouclier éponyme et fondateur du SCUF.
    Brennus Ambiorix Crosnier, connu sous le pseudonyme de Charles Brennus, créateur du Bouclier éponyme et fondateur du SCUF. DR - DR
  • La saga du Brennus
    La saga du Brennus Icon Sport - Icon Sport
Publié le
Partager :

Il porte le nom d’un ancien chef gaulois qui fit mordre la poussière aux Romains. Mais on doit en fait son nom à un graveur parisien. Depuis 1892, ce trophée de bois et de cuivre incarne la force du championnat de France. Récit.

Il mesure 1 mètre de haut, 75 centimètres de large et 2,5 centimètres d’épaisseur. On le croit léger à force de le voir brandi via des gestes pleins d’énergie. Mais en 1967, Loulou Blanc en le recevant, s’exclama spontanément : "Je ne le savais pas si lourd !" Ce Bouclier porte un nom chargé d’histoire : Brennus. Ce patronyme historique est finalement l’un des plus cités depuis cent trente ans dans le rugby français. Pour les amateurs d’histoire antique, il évoque surtout des souvenirs épiques : quand Brennus le chef gaulois avait envahi et saccagé Rome (si, si c’est arrivé), quatre siècles avant Vercingétorix !

À la seule mention de son nom, le Bouclier de Brennus a donc des accents patriotiques. Il véhicule l’image d’une France triomphante et conquérante. Brennus, c’était ce guerrier qui avait obtenu une rançon des assiégés romains et qui, au moment de la pesée des mille livres d’or, avait jeté son épée dans la balance en s’écriant : "Vae Victis". Malheur aux vaincus !

Puisqu’il avait une épée, il semblait normal qu’il eut aussi un bouclier. Mais le nom du trophée de champion de France de rugby ne repose que sur une homonymie. Le Brennus en question s’appelait Charles, c’était un maître graveur installé à Paris. Il était né en 1859 et appartenait à cette génération qui, dans les années 1880-90, découvrit le sport de compétition, son code de valeurs et son esprit particulier importé d’Angleterre. Charles Brennus fonda même son propre club, le Scuf (Sporting Club Universitaire de France) qui existe toujours. Il y pratiquait le cross-country, le cyclisme, l’athlétisme et la natation.

Une commande de Pierre de Coubertin

Dès 1892, pour la première finale de championnat de l’Histoire entre le Racing et le Stade français, Pierre de Coubertin lui avait commandé un trophée à partir d’un dessin qu’il avait réalisé lui-même. La FFR n’existait pas encore, Coubertin présidait alors son ancêtre, l’USFSA, organisation omnisports dont Brennus était aussi dirigeant. Le fameux bouclier sera donc brandi en plein Bois de Boulogne pour la première fois par Carlos de Candamo, le capitaine péruvien du Racing.

La presse de l’époque décrit "un magnifique bouclier damasquiné, au centre les armes de l’Union, deux anneaux enlacés et la devise "Ludus pro Patria"*. Monté sur un magnifique cadre de peluche rouge, cet objet d’art fait le plus grand honneur à celui qui l’a conçu. Nous croyons savoir que l’auteur n’est autre que le dévoué et sympathique secrétaire de l’Union […]" pouvait-on lire dans Sports Athlétique, le journal de l’USFSA. Ironie de l’Histoire, le Scuf, le club de Charles Brennus n’a jamais gagné ce trophée. Il a juste disputé deux finales perdues en 1911 et en 1913 face au Stade bordelais et à l’Aviron bayonnais. Puis il est devenu un club de second plan, sans espoir de gagner sportivement le trophée qu’il est le seul à toucher chaque année. D’ailleurs, la tradition veut que ce soit deux jeunes joueurs du Scuf qui l’amènent chaque année sur la pelouse qui accueille la finale. À même le trophée, une plaque rappelle toujours ses origines, en surplomb de la liste des vainqueurs : "Le Bouclier de Brennus offert par le Scuf en souvenir de son président fondateur 1895-1943, et confié chaque année au vainqueur du Championnat de France de Rugby." Un modèle réduit trône toujours sur la tombe de Charles Brennus au cimetière de Franconville (Val-d’Oise). Mais vérification faite, Charles Brennus ne s’appelait pas Charles Brennus à l’État Civil mais Brennus Ambiorix Crosnier. Rare, le prénom Brennus résultait donc du choix de ses parents qui ne pouvaient l’avoir choisi par hasard. Ils voulaient sans doute témoigner d’un certain patriotisme adapté à la redécouverte de l’héritage gaulois, en vogue sous le second empire. Le Bouclier a donc un lien indirect avec le chef gaulois, seul homme à avoir conquis la ville de Rome en 800 ans.

Une nouvelle version en 2004 après un oubli

Ce trophée de cuivre, encastré dans un panneau de bois a voyagé dans la France entière jusqu’en 2004, avant qu’une nouvelle version soit fabriquée. Le trophée original profite d’une retraite méritée dans les locaux de la FFR. Mais si l’on a éprouvé le besoin de créer un deuxième Bouclier c’est aussi parce que l’Usap, s’était rendue compte qu’on avait oublié l’un de ses titres dans la liste des champions.

En 130 ans d’existence, il est à peu près tout arrivé à ce grand pavois, avec de fréquents séjours en milieu aquatique, océan, piscines, ports, jacuzzis évidemment. Il a été secoué et cogné de partout par les joueurs, les dirigeants ou les supporteurs.

Il a été brandi aux balcons des mairies et de divers édifices, secoué dans plein de soirées privées, il a servi de pavois pour des Clovis des temps modernes. Il a même été perdu pendant trois jours, à Castres, avant d’être retrouvé au fond de la piscine d’un joueur. À Toulon, il est carrément tombé dans la rade et des courageux ont plongé pour aller le sauver de la noyade. Il a même servi de planche de surf, supportant à la fois cent kilos de muscles et la fureur de Neptune.

À partir des années 90 (à vue de nez) signe de l’évolution des mœurs, il a subi de plus en plus d’outrages au point que la FFR a décidé de le faire restaurer chaque année. C’est le Stade toulousain qui, évidemment, l’aura abrité le plus longtemps. En 1995, il revint sérieusement fendu après une journée d’agapes, les Stadistes firent le possible pour le rafistoler avec des ficelles et de la mie de pain. En 2013, l’ébéniste chargé de le restaurer découvrit un autocollant du club rouge et noir au dos de la plaque de cuivre centrale, comme un titre de propriété un rien abusif.

Le Bouclier, c’est aussi un son particulier quand on tambourine avec le poing fermé. On dit que certains vainqueurs l’ont fait écouter au téléphone à trois heures du matin, à des entraîneurs vaincus qu’ils voulaient faire enrager. C’est sans doute cruel, mais on se doute que du temps du vrai Brennus (le chef gaulois, pas l’artiste), les triomphes étaient plus impitoyables encore.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (1)
Victorludorum Il y a 1 année Le 25/06/2022 à 11:51

En fait, Rome a été prise deux fois au cours de son histoire. La première par Brennus. Et la seconde, beaucoup plus tardive (410 après JC), par le Wisigoth Alaric II.