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Série le jour où j'ai disjoncté (1/5) : et Tian voulut « choper » l’arbitre

Par Rugbyrama
  • À la suite d’événements, Silvère Tian est exclu par Romain Poite avant de perdre ses nerfs et de s’emporter contre l’arbitre...
    À la suite d’événements, Silvère Tian est exclu par Romain Poite avant de perdre ses nerfs et de s’emporter contre l’arbitre... Jean Paul Thomas / Icon Sport - Jean Paul Thomas / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Dans un sport où la discipline et la maîtrise des émotions sont érigés en principes fondamentaux, les «pétages de plomb» n’en sont que plus légendaires, sur lesquels Midi Olympique reviendra tout l’été durant… Cette semaine, Silvère tian, l’arrière d’Oyonnax. Le 2 avril 2016, lors d’un derby perdu à domicile contre Grenoble (20-27), l’arrière d’Oyonnax perdit complètement le contrôle de ses nerfs jusqu’à menacer Romain Poite, quelques secondes après s’être fait expulser. Un épisode sur lequel il revient sans complaisance six ans plus tard, apaisé et assumant tout autant son propos que ses erreurs, qui lui valurent une sanction réduite de 64 à 36 semaines de suspension…

C’est l’histoire d’un enfant d’Abidjan. Celle d’un gamin d’Afrique de l’Ouest, venu au monde au bord du golfe de Guinée, pour qui le rugby aurait très bien pu ne jamais rester qu’un objet de fantasmes. Sauf que, quelque part dans les lignes de la main de Silvère Tian, le destin avait écrit qu’elles lui serviraient à tripoter un drôle de ballon ovale à plusieurs milliers de kilomètres plus au Nord. Quels qu’en soient les caprices. Quels qu’en soient les rebonds.

Et c’est peu dire que ceux-ci furent nombreux, qui trimballèrent le jeune Silvère de Rodez (où il débarqua en 1999) à Oyonnax, en passant par des détours aussi improbables que Tours, Bourg-en-Bresse ou bien sûr Flers, au fin fond de la Normandie, où il retrouva son sélectionneur Claude Ezoua après une première année d’adaptation difficile en métropole. Un parcours qui force l’admiration par son abnégation, celle d’un passionné arrivé sur le tard au meilleur niveau, après avoir imposé ses choix à la seule force de sa volonté.

« J’ai commencé à jouer au rugby à l’âge de 6 ans, à l’Association sportive du Port Autonome. Mon père travaillait au port mais il n’était pas au courant. Il ne l’a appris qu’au bout d’un an, et ça ne lui a pas plu. À ma mère non plus. Alors, je suis allé voir un ami de mon père pour qu’il le raisonne… Mais ça a pris le temps : la première fois qu’il est venu au stade pour me voir jouer, j’avais 22 ans… Et pourtant, c’est grâce à lui si j’ai persévéré. Lors de ma première année à Rodez, alors que je pleurais tous les jours, c’est lui qui m’a dit un jour au téléphone : « Tu es un grand garçon, arrête de pleurer ! » Cela a été le premier déclic même si pour moi, rugbystiquement, c’est à Bourg-en-Bresse que j’ai pris conscience de mes capacités. La dernière année que j’ai passée là-bas, je leur ai annoncé : « On monte, et après je pars. C’est à ce moment que je me suis dit que je pouvais vraiment faire du rugby mon métier. »



« Peut-être que je me suis pris pour Superman ? »

Une carrière embrassée sur le tard, à 28 ans, débutée et terminée à Oyonnax après avoir mené Silvère Tian de Bourgoin à Agen pour 239 matchs disputés et 668 points marqués en dix ans. Plus qu’honorable, n’est-ce pas ? Reste que la mémoire est injuste, qui ne retient de Silvère Tian qu’une image : celle de cette exclusion par Romain Poite le 2 avril 2016 lors d’une réception de Grenoble par Oyonnax (20-27), après un craquage en règle de la part de l’international ivoirien.

Un épisode dont Silvère Tian préfère se souvenir avec légèreté et humour, preuve d’une certaine sagesse et d’un joli recul sur les choses, six ans plus tard… « Le pire c’est qu’il ne s’était rien passé de particulier pour moi ce jour-là, sourit Tian. C’était juste une accumulation de petites choses qui a fait que tout a débordé. Quand tu as des doléances à chaque fois que tu croises des supporters, c’est difficile de ne pas se mettre dans la peau du sauveur. Peut-être que je me suis pris pour Superman ? Le fait est que nous jouions le maintien depuis plusieurs années, que les saisons sont très longues, que la pression dans une petite ville comme Oyonnax n’est pas aussi facile à absorber que dans une grande métropole. Ce jour-là, on disputait notre « derby » contre Grenoble à domicile, le gagnant allait prendre un gros bol d’air pour le maintien. Et parfois, même quand on y est habitué, cette pression devient difficile à gérer. »

Tout avait pourtant bien commencé, au demeurant, avec un exploit individuel et un essai de 80 mètres inscrit par l’arrière de l’USO à l’heure de jeu. Reste que l’inexplicable allait survenir 10 minutes plus tard, ici raconté par l’auteur des faits. « Nous étions sur une accumulation de fautes, et l’arbitre me prend sur une faute technique sur un contest au sol dont j’étais persuadé qu’il était tout à fait légal. D’un coup d’œil, en voyant le chronomètre, je comprends que je ne reviendrai plus sur le terrain. Là, le premier sentiment, c’est l’injustice, parce que je ne comprends pas pourquoi cela tombe sur moi. Je conteste un peu alors que cela ne servait déjà plus à rien, le ton commence à monter. J’en rajoute une couche et logiquement, et il sort le carton rouge. C’est là que je perds vraiment mes nerfs, et que mes mots dépassent de très loin mes pensées. »
 

« J’ai lu des choses qui m’ont fait pitié »

Des mots que Silvère Tian n’a jamais niés, assumant ses actes jusqu’au bout tout en faisant amende honorable, sans jamais chercher à de défausser. « Dans un moment comme ça, tout se mélange, tu penses à tout. Ta famille qui est dans le stade, la défaite, l’injustice, le public qui hurle, la descente, les conséquences… Et elles n’ont pas manqué. Les réseaux sociaux n’étaient pas encore tout à fait aussi omniprésents qu’aujourd’hui, mais ils existaient déjà depuis longtemps et certaines choses sont allées très loin. C’est ça qui me dérange, dans cette histoire : aujourd’hui, dès le moment où on a un clavier et un accès internet, on peut dire tout ce qu’on veut pour tout le monde. Certaines choses que j’ai lues m’ont fait pitié pour le genre humain. Ma femme est blanche de peau, mes filles sont métisses, je ne m’imagine pas une seconde écrire quelque chose comme : « tiens, c’est bien une réaction de blanc, ça » au sujet d’un type que je ne connais pas. Et pourtant, c’est ce que des tas de gens ont fait… À notre époque, j’insiste, mais cela fait vraiment pitié. »

Cet acharnement n’étant jamais le fruit que d’un inévitable effet de loupe, fruit de la couverture médiatique de « l’événement ». « À l’époque, les caméras de Canal + ont beaucoup insisté sur mon craquage… Cela a forcément joué dans son retentissement. Lorsqu’ils sont revenus à Oyonnax quelque temps après pour me donner la parole, ils m’ont même présenté des excuses. Je suis évidemment pour la liberté d’expression de tout le monde, mais tout de même, il devrait y avoir des limites. Je n’avais évidemment pas montré un bon exemple, mais je n’avais non plus fait de mal à personne. »


Sanction réduite en appel

Une vérité qui se heurte toutefois à des images : celle d’un Tian inexplicablement revenu au bord du terrain et retenu par Stéphane Glas et Jérémy Maurouard, lesquelles ont causé autant de tort à Silvère Tian qu’elles furent mal interprétées, à l’en écouter.

« Je suis un grand garçon. Si je suis capable de monter très vite dans les tours, je suis aussi capable de redescendre très vite, de passer à autre chose et de discuter, jure l’ancien arrière d’Oyonnax. J’avais beaucoup travaillé sur moi pour en être capable. Donc, après le match, mon seul but était d’aller discuter avec l’arbitre. Mais les gens ont mal interprété ce que je comptais faire, et ça a créé encore plus de tensions. Quand tout le monde t’attrape, te retient, tu n’as qu’une envie : c’est qu’ils te lâchent. Ça a encore envenimé le contexte alors que je peux jurer que je ne comptais rien faire de mal. Je courais assez vite, à l’époque. Si j’avais voulu frapper l’arbitre ou quoi que ce soit, croyez-moi, j’y serais arrivé… » « Il ne m’a pas plus approché que cela mais je n’ai pas souhaité le rencontrer à ce moment-là, confirmait à l’époque Romain Poite dans les colonnes de Midi Olympique. Le joueur est même venu présenter ses excuses dans les vestiaires après coup, mais vu l’ampleur des propos, je n’avais pas d’autre alternative qu’adresser un rapport pour que les autorités compétentes puissent en juger. »

Ce jugement ? Il fut immanquablement sévère, suspendant Tian en première instance pour une durée de 15 mois. « Je suis monté à Paris avec un avocat, ce à quoi je n’étais pas forcément favorable au départ car je m’estimais capable de me défendre tout seul, se souvient l’Ivoirien. Heureusement, dans un deuxième temps, j’ai vu ma sanction réduite en appel de 64 à 36 semaines. Cette deuxième audience s’est beaucoup mieux passée que la première parce qu’on m’a laissé parler, tout simplement. Lorsqu’ils m’ont demandé pourquoi j’avais craqué de la sorte, je me suis adressé à des gens qui avaient été sportifs et qui m’ont entendu, parce qu’on a tous été un jour confronté à la difficulté, à deux doigts de craquer. »
 

« Comme si je sortais de prison »

C’est ainsi que la « clémence » de la commission d’appel permit à Silvère Tian de retrouver les terrains de rugby, et même de disputer deux nouvelles saisons avec Oyonnax pour boucler sur une note positive sa carrière professionnelle. « Mon retour a eu lieu à Colomiers, je m’en souviens comme si c’était hier, se marre Tian. J’étais entré en jeu une vingtaine de minutes, et j’avais l’impression de sortir de prison… Pourtant, aussi bizarre que cela puisse paraître, je n’avais jamais eu peur de voir ma carrière se terminer sur cette suspension. Je suis né en Côte d’Ivoire, je n’ai pas fait de centre de formation, ni été formaté pour jouer au rugby. Ce n’était pas une fin en soir, à mes yeux. J’aurais changé de travail, et puis voilà… Le rugby a fait partie de ma vie pendant beaucoup d’années, mais s’il avait fallu basculer sur autre chose, je l’aurais fait sans problème. » À la manière, d’ailleurs, dont Silvère Tian a assuré sa reconversion.

« Lorsque j’en ai terminé avec « Oyo », je suis partie une saison à Nantua, puis deux autres à Lons-le-Saunier. Ensuite, je suis revenu à Nantua où j’ai passé mon DE, tout en devenant manager pour les boulangeries Marie. Mais récemment, au mois d’avril, je suis devenu chargé de projet pour le groupe d’agences d’intérim Mare Nostrum, dont le président est aussi celui du club de Grenoble, Nicolas Cuynat. Je travaille pour le moment sur le site de Lyon mais à terme, mon projet est d’ouvrir une agence à Bourg-en-Bresse. J’ai dit au club de Nantua que s’il avait besoin de moi ponctuellement, je pouvais lui donner un coup de main mais que pour le moment, je comptais solidifier mon projet professionnel pas à pas avant de me réinvestir pour trois entraînements par semaine dans un club de rugby. » Histoire d’éviter les trop-pleins d’émotions, désormais…

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