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Série - Dans la tête d'un buteur - Diego Dominguez : « Si tu as peur, tu ne peux pas être buteur »

  • Diego Dominguez : « Si tu as peur, tu ne peux pas être buteur »
    Diego Dominguez : « Si tu as peur, tu ne peux pas être buteur » Icon Sport - Icon Sport
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Du haut de ses 1010 points inscrits en sélection et de ses quatre Brennus remportés avec le Stade français, le buteur italien raconte la psychologie du buteur, façonnée par la solitude, le défi permanent et le travail acharné.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de buter ?

Depuis tout jeune, j’ai toujours eu des prédispositions naturelles pour taper. Dans un ballon rond, ovale, une petite balle de tennis... je tapais dans tout ! Cela a été facile. J’avais une bonne coordination générale du corps. J’adorais ça. Au retour de l’école, je passais des heures à envoyer un ballon de foot dans un mur pour le faire revenir à chaque fois au même endroit. Pied gauche, pied droit... En commençant le rugby, j’ai appris à taper dans un ballon ovale. La coordination générale reste la même.

Et si on n’a pas ces prédispositions naturelles ?

Cela ne sert à rien de continuer. Tu perds ton temps, tu ne seras jamais un bon buteur. Il faut être porté depuis le début par ce geste, le faire facilement, sans forcer. Il faut être fort dans la tête, se dire sans cesse que le ballon va aller exactement où tu veux, travailler la technique, explorer les différentes positions de pied : ouvert, fermé, écarté, serré... Une fois qu’on a tout vu, travailler, répéter encore et encore. Il faut se mettre une puce électronique dans la tête, comme un programme. C’est l’entraînement mais ce n’est pas assez. Certains sont excellents à l’entraînement mais se ch... dessus en match. Sans pression, terrain sec, silence total, ils sont forts. Mais avec des cris, des insultes ou du vent, ils dégueulent tout. La psychologie entre en jeu, il faut réduire au maximum son influence.

Comment ?

En s’appuyant sur le mouvement que tu as mis sur une puce dans ta tête. Tu dois en être sûr, à 100 %. Grâce à lui, tu vas réduire l’impact psychologique du stade, du public adverse, des copains qui te regardent, de la pression.

Vous formez beaucoup de jeunes durant vos stages. Quel genre d’enfants deviennent buteurs ?

Ceux qui réunissent toutes les conditions dont je vous ai parlé. L’aisance naturelle d’abord, et puis l’envie de travailler tout seul. Quand j’étais petit, je rentrais de l’école, je me faisais un Nesquik, un yaourt, et je partais tout seul au stade. J’avais cinq ballons et je tapais une heure trente tous les jours, tout seul, pendant six ans. Je n’étais personne, donc personne ne ramassait les ballons. Tu m’étonnes… c’est tellement chiant de le faire ! Tu mets deux fois plus de temps pour taper ! Du coup je ne tapais que cinquante coups de pied. Je suis passé à soixante-dix puis cent en moins de 18 ans, quand on a commencé à m’encadrer.

Quel est le profil psychologique de ces enfants ?

Ils ne doivent pas ressentir la pression. Il faut une grosse personnalité, du caractère, du charisme. Quand on est gamin, c’est difficile, mais certains ont des prédispositions. Avec le travail, on doit arriver à un point où plus rien ne peut nous toucher. On peut avoir des mauvaises journées. Mais des circonstances peuvent expliquer les échecs : tu as pris un coup sur la jambe, tu as fait douze plaquages, tu as couru partout et tu es carbonisé…

Faut-il avoir une mentalité à part pour devenir buteur ?

J’en suis persuadé. Mais il faut bien connaître son corps et ses limites. Parfois, il vaut mieux s’abstenir de prendre les points. Des fois, je refusais de taper. Les conditions n’étaient pas réunies pour me garantir un maximum de réussite. Il ne faut jamais taper pour taper. Si tu te forces et rates, tu te retrouves au fond du seau mentalement. Pour ton équipe, c’est pire.

On dit souvent qu’un gardien de but est un joueur à part au foot. Est-ce la même chose pour le buteur en rugby ?

Bien sûr. Quand tu es buteur, tu es très solitaire. Tu passes tellement de temps tout seul… Dans l’équipe, tu es celui qui s’entraîne le plus. Quand tout le monde a fini, pour toi, une autre séance commence ! Voilà pourquoi il faut se connaître, et économiser ses jambes, pour ne pas les casser. Parfois, je vois des joueurs taper quinze ou vingt ballons, pour déconner à la fin de la séance… Impossible ! Il ne faut pas faire n’importe quoi.

Comment se traduit cette solitude au quotidien ?

Tu arrives au stade, seul, avec ton sac de ballons. Tu les nettoies, les regonfles et tapes pendant des heures, qu’il pleuve, vente ou neige… Les autres ne sont pas là. Il faut y aller chaque jour. Je tapais toute l’année. Même hors saison. Je ne me laissais que deux semaines pour reposer mes jambes et profitais du mois de juillet pour travailler mes points à améliorer.

Quel est le coup de pied le plus difficile à réaliser ?

Le drop, et le coup d’envoi. Il faut beaucoup d’entraînement pour le faire avec précision. Combien d’ouvreurs au niveau international tapent bien les coups d’envois ? Trois, pas plus. Les autres sont nuls ! Le coup d’envoi est une phase de jeu hyper importante. Il faut y passer des heures, à viser les différentes zones.

Malgré cette solitude, certains buteurs disent qu’ils ont besoin du soutien de leur équipe, de sa confiance…

La confiance des autres, ce n’est qu’une conséquence de ton efficacité. Si tu es une pompe à roulettes, ton équipe ne va pas avoir confiance en toi et elle aura bien raison !

Comment faisiez-vous pour entrer dans votre bulle ?

Chacun à sa façon. Moi, je ne me concentrais que sur mon tir. Je ne pensais plus à rien. Je me vidais la tête. Je savais que j’avais tapé à ces endroits des milliers de fois à l’entraînement. Donc je ne pensais plus qu’à ma frappe. C’est dans la tête. Ce ne sont pas des maths, c’est de la psychologie. Cela ne s’explique pas. Certains sont très forts mentalement et résistent à toute forme de distraction et d’autres explosent au moindre bruit.

Aviez-vous une routine de gestes ?

Absolument, mais je l’adaptais au coup de pied. Avec une course plus ou moins longue, en fonction de la distance. Après, je synchronisais mes gestes de la même façon. Toujours. Cette routine t’aide à avoir confiance. Parce que si tu la suis scrupuleusement, tu augmentes tes chances de réussite.

Comment avez-vous construit cette routine ?

J’ai commencé à la formaliser à 14 ou 15 ans. Quand je suis arrivé en équipe première, j’étais très à l’aise. Mais je suis arrivé au sommet de ma précision seulement après 30 ans. Avant mes 30 ans, je me suis fait trois pubalgies. Je ne connaissais pas mon corps. Je tapais deux cents ballons par séance, c’était trop. Mon corps lâchait. Quand j’ai commencé à respecter mes limites, je n’ai plus jamais eu de pubalgie. Même pas d’élongation. Ça ne sert à rien de trop en faire. Quand tu arrives à un geste fluide et facile au soixantième ballon, tu n’as pas besoin de continuer ta séance, même si tu avais prévu d’en taper cent.

Est-il est important de revisionner ses coups de pied ?

Je les revisionnais presque tous. Je me souvenais de chacun, mais je voulais comparer les images à mes sensations. Je le faisais à chaque match. Parfois trois fois. Quand je manquais une pénalité, j’allais buter le dimanche matin. Je partais au stade avec les enfants, je me remettais au même endroit, et je tapais dix ou quinze fois, et je devais faire dix sur dix ou quinze sur quinze. Ensuite, je terminais par dix ou quinze autres frappes ailleurs, et je rentrais chez moi. En une heure, c’était plié.

Un buteur vit-il avec une constante peur de l’échec ?

Surtout pas ! Il ne faut pas avoir peur. Moi, j’étais sûr que je la passerais. Ça ne marchait pas à tous les coups, mais on doit être sûr de pouvoir la mettre. Quand on rate, il faut comprendre pourquoi. Il y a toujours une raison. L’approche, la frappe, le pied d’appui ou autre.

Vous n’avez jamais eu peur de l’échec ?

Non, il ne faut pas avoir peur. Si tu as peur, tu ne peux pas être buteur, c’est impossible. Si tu as peur de lancer, tu ne peux pas être talonneur. Si tu as peur de rater ta passe, tu ne peux pas jouer ouvreur. C’est pareil. Tu travailles, tu renforces ta confiance à l’entraînement, puis en match, et tu construis petit à petit. Au bout d’un moment, quand tu fais gagner un titre à ton équipe, ton mental devient en acier.

Mais tout peut vite s’effondrer, non ?

Impossible. Si tu travailles correctement, c’est impossible. Quand j’étais au top de ma carrière, cela m’arrivait de rater. Mais je l’acceptais, je le comprenais, et je continuais. Il ne faut pas se faire des nœuds au cerveau parce que tu rates.

Quelle relation a le buteur avec le capitaine ? Qui décide de prendre les points ou pas ?

Le buteur. Il doit travailler en relation avec les leaders de jeu, mais ce doit être un échange. Et le buteur a le dernier mot. Le capitaine doit toujours demander à son buteur s’il la sent.

Ronan O’Gara dit le contraire : en signe de sa confiance en son buteur, le capitaine doit indiquer les perches sans même le consulter. Êtes-vous d’accord ?

Non. Le capitaine ne sait peut-être pas que son buteur est, à ce moment précis du match, dans de mauvaises dispositions. On se regarde, on se fait un clin d’œil, et le buteur la prend. S’il ne la sent pas, il demande à aller en touche. Pour les pénalités faciles, à la rigueur. Mais sur des coups de pied difficiles, il faut consulter le buteur. Il faut toujours taper quand les probabilités de réussite sont les plus hautes.

Vous souvenez-vous de votre plus beau coup de pied ?

Non. Tous les coups de pied réussis sont jolis. Même sur les petits matchs, où tu ne mets que douze points. Sur les gros matchs, tu en mets dix-huit, vingt-quatre, parfois vingt-six et là, c’est un exploit. Mais toutes les réussites sont belles. Quand ça ne passe pas, par contre… c’est la merde !

Quel est votre pire souvenir ?

En 1996, je jouais avec Milan la première Coupe d’Europe. On était dans la poule du Leinster, de Toulouse et des Wasps. On avait une super équipe. Seize mecs sur vingt-deux jouaient avec l’Italie. Il pleuvait des cordes, le terrain était très lourd mais on a fait un grand match. Sauf qu’on a perdu à cause de moi, de trois points. J’avais manqué cinq pénalités ! En rentrant au vestiaire, je me suis excusé. J’ai dit : "les enfants, ce match, c’est pour moi. Cela n’arrivera plus jamais." Derrière, on a remporté quatre fois le championnat. C’est mon pire match en tant que buteur.

étiez-vous obsédé par les records ou les séries ?

Non, je n’étais pas obsédé. Je ne comptais pas mes séries de pénalités réussies. Par contre, je commençais chaque saison avec l’objectif de terminer meilleur réalisateur. Le titre pour l’équipe, et meilleur réalisateur pour moi.

Vous avez inscrit 1010 points avec l’Italie. Qu’est ce que cela représente ?

C’est très important. D’abord parce que cela a aidé l’équipe, qui tait bien plus faible que les autres. D’autant qu’à l’époque, on avait beaucoup de mal à marquer des essais. Passer mille points avec l’Italie, c’est plus dur qu’avec les Blacks, les Boks, la France ou l’Angleterre, parce qu’on mettait bien plus rarement nos adversaires sous pression et qu’on gagnait moins de pénalités.

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