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Série - Le match d'une vie, épisode 2 : Capitani, trois drops contre la malchance

  • Bernard Capitani s’est illustré en inscrivant trois drops face au Toulouse de Karl Janik dépité. À droite, le héros toulonnais de ce 7 mai 1988 aujourd’hui.
    Bernard Capitani s’est illustré en inscrivant trois drops face au Toulouse de Karl Janik dépité. À droite, le héros toulonnais de ce 7 mai 1988 aujourd’hui. Photo Archives Midol
Publié le Mis à jour
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On se souvient d’eux pour un moment précis, une embellie extraordinaire. Midi Olympique vous fait revivre les destins furtifs, d’accord, mais brillants de ces joueurs qui ne sont pas des têtes d’affiche mais qui ont marqué la mémoire. Et ce n’est pas donné à tout le monde.

Cette semaine, Bernard Capitani. Mai 1988 : sous la pluie, Toulon triomphe de sa bête noire, Toulouse, dans un quart de finale très dur (21-9). Pas d’essai, mais un triplé de drops de Bernard Capitani, un couteau suisse condamné à la patience et poursuivi par une certaine malchance. 76 minutes de pur bonheur pour lui.

Un temps de chien mais une après-midi paradisiaque : trois drops claqués pour faire basculer un match au couteau. Ce 7 mai 1988, Bernard Capitani n’est pas près de l’oublier. Il concentre (avec une dose d’injustice) le parcours de ce demi d’ouverture formé à Carqueiranne. À travers sa destinée, on mesure combien le rugby d’avant était cruel. Les joueurs non titulaires étaient condamnés à une forme aiguë de frustration car les remplacements étaient rares.

D’abord parce qu’on se blessait moins souvent, aussi parce que les entraîneurs répugnaient à faire des changements tactiques. L’International Board n’autorisait que deux changements. En plus, personne ne se souciait de la récupération ou du repos des joueurs. Le rugby semblait un sport dur vu de loin, mais il était encore des exigences actuelles. « On passait des périodes sans jouer une seule minute. En plus, je n’allais pas souvent en Nationale B. Et quand on y allait, il ne fallait pas se manquer, on était observé. D’ailleurs c’était difficile aussi de débarquer dans un groupe qui était en place avec une flopée de jeunes qui tapaient à la porte de la première », détaille aujourd’hui Bernard Capitani.

Il avait pourtant l’étoffe de l’élite, mais il était coincé. Les remplaçants des clubs majeurs se tenaient donc en lisière des grands chocs, installés dans les premiers gradins de la tribune officielle, sans aucune garantie de fouler la pelouse. Ils formaient une armée de réserve de talents reconnus, mais souvent inutiles. Bernard Capitani avait rejoint Toulon à 18 ans pour marcher sur les traces de son père, Philibert, deuxième ligne international dans les années 50. Il vivrait la grande période du RCT de Daniel Herrero et Jérôme Gallion au second plan : « Je pouvais jouer à la mêlée, à l’ouverture, au centre et à l’arrière. J’étais un couteau suisse. »

1987 : méga poisse pour une finale gagnée

Une année avant, il avait pris en pleine face la cruauté de son statut : « J’étais remplaçant pour la finale gagnée contre le Racing, premier titre depuis 56 ans. Je couvrais quatre postes et c’est un ailier qui s’est blessé. » Le seul cas de figure qui ne rendait pas son entrée automatique.

Voilà comment le surprenant David Jaubert marqua l’essai décisif du sacre de 1987, et gagna une notoriété pour un siècle au moins. « Pour l’anecdote, David venait juste d’entrer dans le groupe. Le remplaçant prévu, Thierry Fournier, s’était blessé. » Quelle différence avec la patience de Bernard Capitani.

Mais en 1988, au moins, le destin serait de son côté à Montpellier, pour un quart de finale qui promettait entre Toulouse et Toulon. « En demi-finale du Challenge Du Manoir, on avait largement perdu contre le même adversaire, 27 à 7. Je jouais à l’arrière pour ce match car Jérôme Bianchi était blessé. On avait passé trois semaines un peu difficiles à la suite de ce revers. Mais Daniel Herrero avait bien préparé ces retrouvailles. Et sur le terrain, Eric Champ a joué son rôle de leader charismatique. »

Toulon était champion en titre, mais les Varois nourrissaient toujours un complexe par rapport à Toulouse : « Contre eux, les victoires étaient rares. Ils nous avaient battus en finale 1985, un souvenir vivace. Ils restaient la référence. On vivait ce match comme une finale avant la lettre. »

Victime d’une cravate, Cauvy lui laisse sa place

Antenne 2 diffusait la rencontre, avec un micro offert à l’arbitre M.Doulcet. Il s’était mis à pleuvoir sur le stade de la Mosson. Coup du sort, Christian Cauvy, inamovible ouvreur du RCT de 32 ans, s’était blessé très vite. « Un des frères Portolan lui avait administré une cravate, il avait dû sortir quasiment d’entrée. »

Bernard Capitani, 26 ans, se retrouva soudain avec la responsabilité d’orienter le jeu toulonnais : « Je n’ai pas eu le temps de réfléchir. De toute façon, j’avais une mentalité de seizième homme. Je n’avais pas le luxe d’être fébrile. Je voulais prouver que je pouvais apporter quelque chose. Le plan de jeu était simple: on devait s’imposer sur les fondamentaux, l’agressivité des avants et la défense. Avec le ballon, on soignait d’abord l’occupation. »

Toulon ne venait pas pour s’enivrer de jeu comme un ours avec un pot de miel. Daniel Herrero avoua après la rencontre qu’il avait préparé ses hommes d’abord pour « mettre la pression et dérégler la machine adverse ». Le cœur de la mission : perturber le demi de mêlée adverse, Jérôme Cazalbou alors très jeune, pour paralyser les enchaînements toulousains.

Bernard Capitani devait donc jouer un match de géomètre et d’exécuteur, il ne s’en priva pas. « Ce fut un match sans essai. Est-ce que je me souviens de mes trois drops ? Le premier est venu d’un renvoi que nous avions donné. Jean-Charles Orso s’était imposé : un ballon rapide m’était parvenu et mon drop fut instinctif. Le deuxième et le troisième furent plus préparés par les avants, des trucs travaillés à l’entraînement. »

Jérôme Bianchi avait complété la marque par quatre pénalités et Toulon s’était imposé 21 à 9. Un match fermé et plein de coups défendus. Le Monde écrivit : « Explosif : c’était l’adjectif retenu pour présenter la rencontre Toulon-Toulouse. Le mot était bien choisi. Ce ne fut pas l’explosion d’un rugby d’allégresse. Ce furent quatre-vingts minutes de bassesse. »

Les brillants Toulousains, vexés par la résistance toulonnaise, s’étaient laissés aller à des réactions de dépit. Toulon avait dicté le tempo de la partie face à un adversaire pris dans une toile d’araignée. À la pause, Guy Novès dressait un constat terrible pour vexer ses avants : « Ils en veulent plus que nous. » Bernard Capitani reprend : « Dans le même sens, Codorniou avait reconnu qu’il avait lu de la férocité dans nos yeux. »

Trois traits de lumières dans une après-midi maussade

Dans ces conditions maussades, les trois drops de Capitani avaient jailli comme trois traits de lumière, trois motifs éclatants sur une toile en noir et blanc. « Des drops, j’en ai mis quelques-uns. Je me souviens d’en avoir réussi un de 60 mètres à Grenoble (Midi Olympique de l’époque en évoqua un autre à Graulhet, N.D.L.R.). Mais je ne m’entraînais pas plus que ça. De toute façon, c’était le jeu de Toulon, on jouait la carte de l’occupation. Il fallait mettre des points pour finir le travail des avants. Cette rencontre reste évidemment le meilleur match de ma carrière. Je me souviens aussi que sur mon premier ballon, j’ai percé. J’avais quand même Didier Codorniou en face de moi. »

En 76 minutes, Bernard Capitani s’est donc forgé sa petite légende. Personne ne pourra jamais lui enlever. « J’ai aussi joué deux demi-finales, en 1986 au centre et en 1988 à l’ouverture. En 1987, j’ai joué les deux huitièmes face à Hyères et le quart face à Béziers. » Autant de moments grappillés à son statut d’intermittent de luxe. « J’ai un peu souffert de tout ça, pour la finale 1987 évidemment. En 1985 aussi, j’étais remplaçant mais je ne suis pas entré en jeu alors qu’il y avait eu pourtant deux blessés derrière. Mais je n’étais pas encore buteur… »

Fargues et Salvarelli ont eu l’honneur de fouler la pelouse à sa place dans un match qui a basculé sur trois fois rien. « Tout ça a été un peu dramatique pour moi, je le reconnais. Comme cette demi-finale de 1986 que j’ai jouée mais que nous avons nettement perdue face à Agen. Le SUA avec Philippe Sella était très fort, à ce moment-là. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai fini par partir à Nice. Je savais que je me retrouvais dans un club moins huppé, mais j’y fus titulaire à l’ouverture pendant plusieurs saisons. » Capitani goûta encore aux phases finales, mais plus modestement.

Aujourd’hui, Bernard Capitani suit toujours le rugby : « Avec ce que je sais maintenant, et avec le travail que nous montrent les joueurs actuels, je me dis que j’aurais pu mieux faire quand je jouais. J’avais l’impression de donner le maximum. En fait, j’aurais pu travailler bien davantage ma vitesse et mon jeu au pied, par exemple. »

Son plus grand regret, ce fut finalement le match qui suivit l’exploit de Montpellier: la demi-finale perdue contre toute attente une semaine plus tard, face à Tarbes : « C’est pour ça que je vous ai dit que le quart face à Toulouse était une finale avant la lettre. Cette demie, nous ne l’avons pas préparée comme il le fallait. Et ce jour-là, j’ai mis un drop… sur le poteau. »

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