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Une sélection et trois essais... Rodolphe Modin, une stat qui colle à la peau

  • Outre son exploit face au Zimbabwe, Rodolphe Modin a réussi une très belle carrière en club.
    Outre son exploit face au Zimbabwe, Rodolphe Modin a réussi une très belle carrière en club. Photo Archive Midol
Publié le Mis à jour
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On se souvient d’eux pour un moment précis, une embellie extraordinaire. Midi Olympique vous fait revivre les destins furtifs, d’accord, mais brillants de ces joueurs qui ne sont pas des têtes d’affiche mais qui ont marqué la mémoire. Et ce n’est pas donné à tout le monde. Cette semaine, le demi de mêlée Rodolphe Modin, la plus belle moyenne d’essais de l’histoire du rugby international. Un triplé pour une seule sélection. Qui dit mieux ?

« Bonjour ! Oui, oui, pas de problèmes. Mais quand on m’appelle, c’est toujours pour me parler de ça. Alors que j’ai quand même fait plein d’autres choses. » La voix enjouée de Rodolphe Modin nous place d’emblée au cœur du problème. La force des statistiques, le charme des anecdotes, la cruauté du réductionnisme.

Le demi de mêlée de Brive n’a connu qu’une sélection, en Coupe du monde en plus. Et il en a profité pour marquer trois essais. Fait unique dans l’histoire du rugby mondial.Mathématiquement, aucun joueur n’a fait preuve d’une telle efficacité offensive.C’est comme si Philippe Sella avait marqué 333 fois, ou Fabien Pelous 327. Dans les années 30, René Finat avait affolé les compteurs en marquant cinq essais pour ses deux seules sélections, les deux fois contre l’Allemagne.

Rodolphe Modin, lui, a réussi son triplé contre le Zimbabwe le petit Poucet du Mondial 1987.Ce fut le match de tous les records : 70-12, plus gros succès de l’histoire du XV de France et plus gros total pour un seul homme, Didier Cambérabéro auteur de 30 points (délogeant Guy, son propre père).

Plus jamais Rodolphe Modin ne revêtirait le maillot bleu. « J’ai vécu la fameuse demi-finale contre l’Australie en tribune, mais concentré. Pierre Berbizier s’était blessé en quart de finale contre les Fidji, il ne s’était pas beaucoup entraîné dans la semaine… » Mais le titulaire put tenir sa place et Rodolphe fut rendu à sa dure condition de doublure.

De nos jours, il aurait forcément cinq ou six capes, avec au moins des entrées en fin de partie : « À l’époque, on jouait vraiment à quinze. Seuls deux changements sur blessure étaient autorisés. C’est la grande différence avec le rugby d’aujourd’hui. Quand vous discutez de ça avec un gars de 18 ans. Il ne vous croit pas. »

Un contexte totalement nouveau

Rodolphe Modin ne fait pas la fine bouche pour autant. Il avait conscience de vivre un événement inédit : « Bien sûr que ça reste un grand souvenir, c’était totalement nouveau. Le contexte n’avait rien à voir avec les tournées, j’en avais quand même vécu deux avec le XV de France en 85 et 86. En 1987, on a débarqué à Auckland et on s’est retrouvé dans un hôtel en compagnie des Argentins et des Fidjiens, qu’on ne connaissait pas trop à l’époque. Ces deux équipes se rencontraient en poule en plus. C’était un esprit totalement nouveau, même pour ceux qui avaient 40 sélections. Après, nous sommes partis à Christchuch, puis à Wellington et enfin retour à Auckland et j’ai fait le dernier match. Ça reste un événement avec le coq, la Marseillaise, même si ce n’était que le Zimbabwe en face. J’ai versé ma petite larme pour ma première En plus, c’était dans un beau stade, l’Eden Park, même s’il n’était pas plein. »

Ses trois essais ne furent pas des exploits personnels de folie : « Non, j’ai marqué en finissant des actions collectives. Au début, on a un peu roupillé, je me dis que j’ai amené mon énergie et mon désir de bien faire pour mes débuts. Après ces trois essais… Ça reste anecdotique, même si je ne veux pas faire preuve de mauvais esprit. Évidemment, j’étais très content qu’on fasse appel à moi. »

Converser avec Rodolphe Modin, c’est se replonger dans une époque où les joueurs, même doués, devaient parfois se contenter de peu. Il y avait statistiquement moins de blessures et moins de rendez-vous internationaux. En plus, les entraîneurs ne cherchaient pas à faire souffler leurs cadres comme aujourd’hui. Peut-être que les parcours étaient davantage balisés par des coups du sort.

Après tout, si Rodolphe a fait la première Coupe du monde, c’est parce que Jérôme Gallion avait décliné sa sélection, officiellement pour se consacrer à son cabinet dentaire. Il était le chouchou du grand public, mais Fouroux lui préférait son concurrent Pierre Berbizier, moins spectaculaire, mais stratège hors pair.

L’épaule qui chauffe au mauvais moment

Rodophe Modin ne se vivait pas comme un perdreau de l’année pour autant. « Je n’ai pas été parachuté comme ça, avec un drapeau bleu-blanc-rouge. J’avais connu des capes avec France Universitaires, le Bataillon de Joinville, France B, France A prime, plus les sélections régionales qui affrontaient les équipes en tournée. »

Ces échéances, désormais oubliées, pesaient d’un certain poids, elles passaient même parfois à la télévision, les joueurs savaient les savourer. La Coupe d’Europe n’existait pas. Une convocation en France B faisait figure de marche intermédiaire entre le quotidien du championnat et le niveau international.

Si Rodolphe ne revêtit plus jamais le maillot national, c’est que la poisse lui fit payer très sèchement l’embellie du forfait de Gallion. En 1988, l’Argentine vint en tournée alors que Pierre Berbizier était blessé, fait très rare. « Je devais rencontrer les Pumas à Marmande, avec une sélection régionale à forte ossature agenaise. Je fais un bon début de match, je mets un bouchon terrible au numéro 8 argentin, Gustavo Milano. Il sort illico. Moi je finis le match, car le docteur m’avait mis du Dolpic, mais mon épaule chauffait, la douleur augmentait. J’ai filé à l’hôpital en suivant. Bilan : fracture de la clavicule, et depuis j’ai une vis dans l’épaule. Avant ce match, Fouroux m’avait dit : il y a deux tests contre les Pumas, il y en aura un pour toi et un pour Henri Sanz. »

Sanz fit donc les deux. La légende de Rodolphe Modin se forgea là-dessus. « Mais c’est surtout en 80-82 que j’ai manqué quelque chose. Mais il y avait plein de bons demis de mêlée. Je m’estimais heureux. Je n’ai pas enquillé, puis Pierre Berbizier s’est imposé. Il avait un tel sang-froid, c’était un leader. » On sent poindre une forme de regret à l’évocation d’un huitième de finale en 1981. « Avec Brive, on avait fait un gros match à Agen en battant Toulouse 24-23… »

Mais est-ce finalement si douloureux ? Une conversation d’une demi-heure avec lui, nous ramène au niveau des pâquerettes, celles qui parsèment les pelouses du rugby quotidien. Dans notre esprit, l’ancien demi-de-mêlée de Brive a tutoyé les étoiles. On l’a vu en direct à la télé, mais ses souvenirs les plus forts viennent d’ailleurs, d’une série de matchs réservés à des puristes. Un derby toulousain qui était aussi une finale universitaires entre le Crepset l’Uereps. « C’était aux Sept-Deniers, je jouais pour le Crepsavec Karl Janik et Thierry Maset sous l’autorité de Robert Bru. En face, il y avait Denis Charvet et les journalistes locaux s’étaient déplacés. »

Il fut aussi champion de France Reichel 1978 avec le Racing avec Laurent Pardo à l’ouverture et Éric Blanc au centre : « J’étais de Gennevilliers, et j’étais le voisin d’Éric : même escalier, moi au septième étage, lui au quatrième. Nous sommes allés ensemble au Racing sur un coup de tête, en cadets. » Il n’a pas fait la fine bouche avec les fleurs offertes par la providence : « Les France Universitaires m’ont aussi beaucoup plu. On amenait notre nourriture, on se retrouvait dans des hôtels de moyenne gamme, ça faisait partie du truc. »

Son unique sélection, on la lui envie évidemment, mais si on devait lui jalouser un match, un seul. Ce serait le quart de finale 1980, duel homérique entre Brive et Tulle, derby déplacé à Clermont. Il l’a vécu comme un morceau de bravoure, plus émouvant assurément que le France-Zimbabwe. Brive, malmené pendant plus d’une mi-temps, qui renverse le cours de la partie avec un Joinel impérial. « L’abnégation des gars de devant l’a impressionné. Ils ont été bouffés pendant 40 ou 50 minutes, mais ils n’ont jamais lâché le morceau… Et puis, à l’Eden-Park D’Auckland, il n’y avait que… 4 000 spectateurs pour le France-Zimbabwe (le premier mondial fut un fiasco populaire). Il y en avait 15000 dans le vieux stade de Clermont, serrés comme des sardines. Ce qui faisait l’intérêt de notre championnat, c’était les phases finales. Il y avait 6 000 spectateurs qui nous suivaient, quand on voyait tous ces drapeaux, quelle communion ! »

L’unique sélection de Rodolphe Modin à laquelle on le ramène si souvent n’est donc qu’un épiphénomène dans une trajectoire riche et pleine de virages. Cette carrière de prof d’EPS toute tracée qu’il refusa pour travailler dans le privé (Coq Sportif, Havas Media, Eden Park) avant de créer sa propre affaire de distributeurs automatiques de sandwiches, Bonbons. Même son arrivée à Brive releva d’un petit coup de poker.

Il chevauchait sa 125 entre Paris et les fêtes de Bayonnne quand il fit étape en Corrèze où personne ne le connaissait, ni ne l’attendait. « J’ai même eu du mal à trouver les bureaux du club. » Il se proposa au culot aux dirigeants brivistes, fort de son Bouclier de Reichel. Pourquoi ? Il ne sait plus très bien. Sans doute voulait-il se rapprocher de son père qui vivait à Sarlat, sans doute était-il fasciné par ce fier fief provincial où l’ovale est au centre de toutes les discussions.

Après une demi-heure, de discussion, on cerne bien le décalage entre cette statistique qui lui colle aux doigts comme le sparadrap du Capitaine Haddock et la perception qu’à Rodolphe Modin de sa carrière. « Oui, ok, j’aurais préféré avoir 15 sélections, être champion de France évidemment. Mais ce match d’Auckland et mes trois essais, ça reste un clin d’œil journalistique… En club en revanche, je faisais tous les matchs, les 80 minutes. Je ne veux pas passer pour un ringard, mais les meilleurs souvenirs de ma carrière, ce sont ces matchs que j’ai fait au Boucau, à Bagnères ou à Graulhet. Des équipes qui n’existent plus à haut niveau, d’accord mais que j’ai rencontré si souvent, quand elles étaient très fortes. »

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