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Richie McCaw : « J’adorerais voir jouer Antoine Dupont aux Crusaders »

Par Propos recueillis par Clément LABONNE
  • L'ancien emblématique capitaine des All Blacks Richie McCaw revient également sur le Mondial 2011 où les Néo-Zélandais jouaient leur survie.
    L'ancien emblématique capitaine des All Blacks Richie McCaw revient également sur le Mondial 2011 où les Néo-Zélandais jouaient leur survie. Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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L’ancien capitaine et double champion du monde des all blacks (148 sélections) nous a accordé un long entretien exclusif. Le déclin actuel des All Blacks, le renouveau du XV de France, son rapport aux arbitres et même Dupont aux Crusaders : confidences d’une légende.
 

En août dernier, vous avez été nommé au poste de directeur de la branche commerciale de la fédération néo-zélandaise. Quel est votre rôle précisément ?
Il sera triple. Premièrement, je vais apporter mes notions de stratégie concernant les revenus générés par la fédération. Ma deuxième mission sera de m’assurer des valeurs et de l’héritage portés et affichés par la NZRU. Enfin, je serai aussi là pour porter la voix des joueurs ; je serai en quelque sorte leur représentant. L’idée sera de trouver un équilibre en tous.

Quel est votre regard sur l’équipe actuelle des All Blacks ?
C’est une période difficile. Je ressens beaucoup de peine pour les joueurs. Il y a beaucoup de discussions au pays sur le fait que l’équipe ne serait pas assez bonne, l’entraîneur non plus… Mais, parfois, la marge entre une défaite et une victoire est très mince. Les rencontres face à l’Afrique du Sud et l’Argentine ont d’ailleurs tourné du bon côté après une première défaite. Evidemment, je souhaite voir les All Blacks gagner chaque match mais ce n’est pas le cas. J’espère qu’ils apprennent et tirent les leçons de leurs défaites. Je me rappelle aussi qu’en 2009, nous avions perdu trois tests et que nous avions quand même remporté la Coupe du monde deux ans plus tard…

Quelles sont les raisons de ce déclin ?
Il y a d’abord eu la pandémie de Covid-19. En 2020, beaucoup de tests ont été annulés et je sais que cela a été très difficile de relancer la machine. Il ne faut pas oublier qu’en 2019, les All Blacks étaient la première nation mondiale et qu’ils avaient fait un bon Mondial au Japon. Puis, ils ont perdu plusieurs rencontres, ce qui arrive à chaque nation. Ce qui fait chuter la confiance et pose question sur les méthodes à adopter pour gagner.
Je crois que la raison majeure se situe là, dans ce manque de confiance. À très haut niveau, cela ne pardonne pas. Quand vous êtes sélectionneur ou capitaine de la Nouvelle-Zélande, vous devez prendre vos responsabilités quand les choses ne tournent pas bien. Cela n’est jamais agréable, personne n’a envie de se poser ces questions mais je crois qu’il faut reconstruire cette confiance pour retrouver les All Blacks.

Faites-vous confiance à Ian Foster et Sam Cane ?
Oui je leur fais énormément confiance. Les résultats sont ce qu’ils sont aujourd’hui mais nous sommes à un an de la Coupe du monde et il reste du temps. En 2010, des questions se posaient également à propos de l’entraîneur et des joueurs et nous avions su rebondir. Les choses peuvent très vite tourner, vous savez. Cela ne garantit rien, il y aura plusieurs favoris pour cette Coupe du monde, mais je n’ai aucun doute sur le fait que nous ayons une équipe calibrée pour gagner le prochain Mondial. Il reste beaucoup de temps…

La Coupe du monde aura lieu en France. Que vous inspire l’équipe de France dirigée par Fabien Galthié ?
Je suis impressionné par la qualité de cette équipe française ! Le match d’ouverture face aux All Blacks sera une sacrée rencontre et je pense que ce sera très spectaculaire. J’ai regardé France-Nouvelle-Zélande, en novembre dernier… Antoine Dupont a été tellement sensationnel ! Depuis plusieurs années, il arrive à diriger cette équipe dans le bon sens. Ils n’ont pas de joueurs très âgés mais ils se font confiance, cela se ressent. Ils ont aussi les éléments pour maintenir un très haut niveau de vitesse… Beaucoup de joueurs de la même génération sont arrivés au même moment. C’est une équipe plaisante à voir jouer et qui y croit. Je parlais de manque de confiance à propos des All Blacks, pour les Français c’est l’inverse. Mais ils ne sont pas imbattables (rires) !

Justement, quelles faiblesses avez-vous repérées dans leur jeu ?
Pas de point spécifique, mais je crois que nous pouvons les défier et leur faire commettre des erreurs. Des choses simples du rugby : les tenir physiquement, les arrêter lorsqu’ils mettent beaucoup de vitesse, ne pas leur donner des opportunités trop faciles…

Vous avez rencontré à de multiples reprises le XV de France. Quelle chose vous a particulièrement marqué face aux Bleus ?
J’ai deux anecdotes. J’ai mentionné l’année 2009 où nous n’avions pas de bons résultats et où c’était plus compliqué pour nous. En novembre, nous avions joué à Marseille dans une ambiance folle, avec l’ambition de se redresser après des défaites face à l’Afrique du Sud. Je me souviens que cette victoire avait été fondatrice dans la conquête du titre de 2011. Une autre anecdote, plus personnelle, s’est déroulée en 2006. Nous devions jouer contre la France à Saint-Denis et je me souviendrai toujours de ce match car c’était la première fois que je menais le haka. J’étais beaucoup plus inquiet à l’idée de guider le haka que de jouer la rencontre (rires)... J’étais tellement concentré, je ne voulais pas faire d’erreurs et heureusement, je n’en ai pas fait. Une fois que le haka s’est terminé je me suis dit « mince, maintenant il faut jouer le match » !

Richie McCaw et les All Blacks s'étaient imposés (23-11) face au XV de France, le 18 novembre 2006.
Richie McCaw et les All Blacks s'étaient imposés (23-11) face au XV de France, le 18 novembre 2006.


Quel joueur français vous a le plus impressionné ?
J’ai joué de nombreuses fois face à Thierry Dusautoir. Il m’a toujours impressionné, notamment lors du quart de finale de 2007 et de la finale 2011. Je me rappelle qu’il avait été incroyable sur ces deux rencontres. J’ai beaucoup de respect pour Thierry, c’est un très bon mec, on entretient plus de relations aujourd’hui que lorsque nous jouions. J’ai un autre joueur français, contre lequel j’ai joué plus jeune, en 2003 : c’est Olivier Magne. Je me rappelle qu’il a toujours été très bon contre nous, il était très dur et c’était à chaque fois un défi de jouer contre lui.

Cela fait sept ans que vous avez pris votre retraite, qu’avez-vous fait depuis ?
Ces sept années sont passées très vite ! J’ai encore du mal à croire que j’ai arrêté depuis 2015. J’ai passé les premières années de ma retraite à me concentrer sur mes affaires liées aux hélicoptères. Mon but était d’apprendre et c’était une bonne chose pour couper après le rugby. Même si le Covid-19 est passé par là, beaucoup de choses ont changé dans ma vie. J’ai maintenant deux enfants, je suis marié, et c’est une bonne vie (rires) ! Mais le rugby me manque un petit peu, parfois.

Qu’est-ce qui vous manque particulièrement ?
Faire partie d’une équipe, travailler dur pour être performant le week-end, la préparation de la semaine, le partage après une victoire… Ces choses-là me manquent. Mais quand je regarde des matchs aujourd’hui, la dureté physique ne me manque pas ! Quand je vois certaines rencontres je me dis souvent « ouh, ça tape fort »…

Trouvez-vous que le rugby actuel est plus brutal qu’au cours de votre carrière ?
Oui, surtout au poste de pilier. Aujourd’hui, les piliers peuvent faire cent vingt kilos et être aussi rapides et techniques que des arrières. Et lorsqu’ils entrent en collision, il y a toujours cette peur qu’ils se fassent mal. Le jeu est plus physique qu’à mon époque.

Est-ce un danger pour l’avenir du rugby ?
Certaines décisions ont été prises pour éliminer ou réduire progressivement les commotions, notamment sur les plaquages hauts. C’est une bonne chose. Maintenant, chacun comprend que le rugby est physique et c’est pour ça que nous aimons ce sport en tant que spectateur mais aussi en tant que joueur. Il faut bien sûr plus de sécurité, mais je pense que l’on aura toujours besoin de ce côté physique dans le rugby et qu’il ne faut pas l’écarter. Un exemple, les jeunes joueurs se préparent de mieux en mieux et sont plus costauds qu’avant, donc je pense que la majorité des personnes comprend cela.

Pourquoi n’êtes-vous jamais venu jouer pour un club français ?
Je ne voulais pas jouer pour un club simplement pour gagner plus d’argent. Je ne pouvais pas aller dans une équipe en sachant que je ne serais pas pleinement investi. Je pensais aussi que si je pouvais continuer à jouer à haut niveau, je devais rester aux Crusaders et continuer à jouer pour les All Blacks. J’ai aussi eu une opportunité de m’orienter davantage dans le pilotage d’hélicoptères, donc je ne voulais pas manquer cela vers la fin de ma carrière. En plus, ma femme qui est joueuse de hockey sur gazon se préparait pour les Jeux olympiques de 2016 et je ne voulais pas m’éloigner. En fait, je n’ai jamais eu ce désir de partir de Nouvelle-Zélande.

Et vous n’avez jamais été tenté d’embrasser une carrière d’entraîneur ?
Non, pas pour l’instant. Je pense que je ressentirais trop de frustration à l’idée d’être coach. Quand j’étais capitaine, j’avais la sensation que je pouvais réellement influencer mes coéquipiers sur le terrain et aller au combat avec eux. Être entraîneur suppose de regarder ses joueurs et…ne rien pouvoir faire ! Pour moi, ce serait trop dur d’être comme un spectateur. J’ai déjà dirigé quelques entraînements pour des enfants ou des lycéens. J’ai apprécié le fait de leur apprendre certains gestes et comment s’améliorer mais ça s’arrête là. Peut-être qu’un jour je changerai d’avis !


N’y a-t-il pas un entraîneur qui vous ait quand même marqué ?
Je n’ai pas eu beaucoup de coaches au cours de ma carrière, mais je dirais que Robbie Deans et Steve Hansen ont été très importants pour moi. C’est drôle car ils ont été mes premiers entraîneurs chez les Crusaders et je les ai suivis, en quelque sorte chez les All Blacks ensuite. J’ai passé plus de temps avec Steve Hansen et je dirais qu’il n’a jamais cessé de me « challenger », surtout lors de mes dernières années. Je lui dois une grande partie de ma carrière.

Steve Hansen et Richie McCaw, vainqueurs de la Coupe du monde 2015.
Steve Hansen et Richie McCaw, vainqueurs de la Coupe du monde 2015.


Une carrière que vous avez bâtie avec humilité. Étant fils de fermier, en quoi votre environnement familial vous a-t-il aidé à devenir une légende des All Blacks ?
Je ne me suis jamais satisfait d’être juste bon. J’ai toujours cherché à m’améliorer durant ma carrière, même en tant que capitaine des Blacks. C’est grâce à mon éducation que je suis devenu comme ça. Garder l’humilité est aussi fondamental. Ce n’est pas parce que vous êtes un All Black que cela vous donne le droit d’être au-dessus de l’équipe, ou du jeu. J’ai toujours eu des amis et une famille qui me l’ont bien rappelé. C’est comme cela que la Nouvelle-Zélande fonctionne, tout le monde doit travailler pour l’équipe.

Quel a été votre plus grand regret ?
Comme j’ai toujours voulu être meilleur, je n’ai peut-être pas assez profité des grands moments. Juste prendre un peu de temps et profiter. Mais dans le même temps, si j’avais fait cela, je me serais peut-être éparpillé et je n’aurais probablement pas eu ces victoires. Pour être franc, je crois que le plus grand regret de ma carrière restera le quart de finale du Mondial 2007 contre la France. J’étais un jeune capitaine, c’était un échec très difficile à encaisser… Mais quand je regarde en arrière, je me dis que c’était la meilleure chose qui me soit arrivée et même chose pour l’équipe. Cela nous a ensuite permis d’apprendre à vraiment jouer sous la pression.

Comment cet échec vous a changé en tant qu’homme et capitaine de la Nouvelle-Zélande ?
Ce n’est pas parce que vous êtes un bon joueur que vous êtes un bon leader. Je l’ai compris à ce moment-là. Je devais m’améliorer pour mieux appréhender les moments à forte pression. Et je crois que cela a payé en 2011.

Cette défaite à Cardiff n’est jamais revenue dans vos pensées lors de la finale 2011 ?
Je me rappelle que le matin de la rencontre, je me suis dit : « Si on perd aujourd’hui, je ne serai probablement plus un All Black, je serai viré du groupe ». Et puis, j’ai repensé au fait que j’étais le capitaine de la Nouvelle-Zélande, en finale d’un Mondial, à l’Eden Park. Et que c’était le genre de moments dont j’avais rêvé toute ma vie. Le match se joue d’un rien mais la récompense en valait la peine.

Était-ce plus dur de gagner la Coupe du monde 2011 ou celle de 2015 ?
En 2011, on voulait survivre ! D’ailleurs, la finale a été le match qui m’a le plus marqué tant physiquement que psychologiquement. La victoire fut un soulagement quand celle de 2015 marqua plus une satisfaction. Les grandes équipes ne se contentent pas de gagner une fois, elles le répètent. En Angleterre (2015), on voulait s’épanouir plus que survivre. Résultat, on a gagné des matchs que nous n’aurions peut-être pas gagnés quatre ans plus tôt. Je me rappelle notamment de cette demi-finale face à l’Afrique du Sud jouée sous la pluie.

Quel regard posez-vous sur l’évolution du poste de troisième ligne ?
Quand j’ai débuté, les flankers ne portaient que très peu le ballon et se contentaient des tâches défensives. C’est toujours le cas en défense mais aujourd’hui, un flanker doit être un athlète. Ardie Savea par exemple représente bien cela. Même s’il joue davantage numéro 8, il sait faire des choses impensables au début des années 2000. Aujourd’hui, un flanker ne peut plus se contenter uniquement de défendre.

Quel a été votre secret pour influencer autant les arbitres ?
Je ne crois pas que je les ai influencés tant que ça (rires)… Plus sérieusement, j’ai toujours essayé de comprendre comment chaque arbitre fonctionnait. Si je pouvais discuter ou non, contester ou non. Comme les mêmes arbitres revenaient souvent, j’ai étudié leur manière de fonctionner. J’ai aussi étudié les momentums : c’était plus facile d’avoir les bonnes décisions quand l’équipe avançait et gagnait les collisions. Dans le cas inverse, il fallait faire profil bas. J’ai toujours essayé de m’adapter très rapidement à l’arbitre. Rien ne me rendait plus fou que de voir l’un de mes coéquipiers ne pas écouter l’avertissement d’un arbitre et se faire pénaliser.

Que pensez-vous du projet de Coupe du monde des clubs en 2024 ?
C’est extrêmement excitant ! Chaque année il y a ce débat pour savoir qui est la meilleure équipe du monde et cela permettra d’en savoir un peu plus. Ce sera aussi l’occasion de voir différents styles d’équipes s’affronter et laquelle aura le meilleur système de jeu. Lorsque j’étais joueur, j’aurais adoré pouvoir vivre cela ! Je crois que c’est une grande opportunité pour le rugby.

Quel joueur français voudriez-vous voir débarquer chez les Crusaders ?
J’adorerais voir jouer Antoine Dupont sous le maillot des Crusaders, ce serait plutôt cool (rires). Il fait partie de ces joueurs qui peuvent décider et dicter le sort d’un match à eux seuls. Donc ce serait un plaisir de le voir à Canterbury !

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Les commentaires (1)
Baloo2278 Il y a 1 année Le 12/09/2022 à 10:09

Merci pour ce bel article sur McCaw, âme des Crusaders et des Blacks. Demandez-lui à quand un match entre Toulouse et les Crusaders?

Baloo2278