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Justice - Procès « Laporte-Altrad » : que justice soit faite

Par Marc DUZAN
  • La décision, elle, sera rendue le 13 décembre prochain et appartient à Rose-Marie Hunault, la présidente du tribunal. Et à elle seule...
    La décision, elle, sera rendue le 13 décembre prochain et appartient à Rose-Marie Hunault, la présidente du tribunal. Et à elle seule... Abaca / Icon Sport - Abaca / Icon Sport
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Les deux derniers jours du procès « Laporte-Altrad » ont été intenses et, à la barre, l’accusation et la défense se sont rendus coup pour coup. La décision, elle, sera rendue le 13 décembre prochain et appartient à Rose-Marie Hunault, la présidente du tribunal. Et à elle seule...

Soudain, la terre s’est dérobée sous leurs pieds… Et à l’instant où François-Xavier Dulin, le procureur de la République, a conclu son réquisitoire, demandant de la prison ferme pour les cinq prévenus (lire ci-contre), Serge Simon, accompagné par son épouse depuis le début du procès, eut un brusque mouvement de recul ; Bernard Laporte, les bras croisés et le feu aux joues, est resté longuement prostré, sous le choc ; Claude Atcher, lui, a baissé la tête, s’est frotté les yeux, comme s’il ne croyait toujours pas à ce qu’il venait d’entendre. Mohed Altrad ? Retenu par des obligations professionnelles, il n’avait pu prendre aux débats mais serait informé, dans la minute qui suivait et par l’entremise de son avocat, des demandes du parquet financier. Mardi soir, c’est donc la tête du rugby français dans son entièreté qui a tangué, sonnée par des réquisitions auxquelles elle ne s’attendait vraisemblablement pas…

Ces cinq hommes avaient-ils été trop sûrs d’eux, lors de leurs audiences ? Avaient-ils provoqué sans le vouloir la colère du magistrat en le regardant, à la barre, dans le blanc des yeux ? On avait ainsi pu constater, au fil des débats, que le proc‘ n’avait guère apprécié être harponné de la sorte par Bernard Laporte (« il joue sa carrière sur ce procès, lui ! ») quand son face à face avec Serge Simon (« Je vous adore, vous !, avait dit le vice-président de la FFR. Mais vous êtes l’architecte d’une construction intellectuelle qui ne tient pas ! ») fut encore un poil plus tendu. Mais passé l’escarmouche, on ne sera pas assez sots pour assurer que le très lourd réquisitoire de François-Xavier Dulin fut une vendetta personnelle, certains des faits reprochés aux prévenus étant évidemment sérieux. Ceci dit, et comme le souffla fort justement l’avocat de Simon, Pierre Blazy, lorsque fut conclu le procès mercredi soir : « Serge Simon avait ici tous les droits d’un citoyen qui n’a jamais été condamné. Il est présumé innocent et a le choix de vous parler d’égal à égal, monsieur le procureur. »

Le procureur : « Il n’y a chez eux aucune remise en question »

Quel fut le cheminement de pensée de l’accusation, au fil de cet exercice oratoire de trois heures prononcé devant une salle comble ? Et pourquoi a-t-elle considéré que les griefs retenus contre l’aréopage du rugby français valait à ses yeux des peines de prison ferme et un bannissement du rugby à « exécution provisoire », c’est-à-dire non suspensif en cas d’appel ? Le réquisitoire, très technique dans son ensemble, a en fait consisté pour l’accusation à définir les délits en question puis de démontrer, en listant les faits, comment les prévenus s’en étaient à leurs yeux rendus coupables. « On a compris que la charte de déontologie n’était pas le livre de chevet de Bernard Laporte, disait d’abord Céline Guillet, l’alter ego dudit Dulin. L’intervention du président de la FFR auprès de la commission de la discipline est avérée. Ce n’est pas la Ligue nationale de rugby qui écrit cela. C’est le ministère des Sports lui-même. Ce même ministère qui, quelques jours après la victoire du dossier France 2023 confortait le parquet national financier dans son enquête. » Ce à quoi Dulin ajoutait : « L’argent du contrat d’image, monsieur Laporte en avait besoin. L’état de ses finances était catastrophique et l’accord le liant à RMC s’arrêtait. On sait aussi que le président de la FFR a fait du lobbying pour que le rachat de Gloucester par Mohed Altrad soit effectif, M. Altrad l’a d’ailleurs écrit dans un email. »

L’attaque était sévère, avait le poids de mille coups et n’épargnait personne et surtout pas l’institution dans son ensemble, accusée de complaisance vis-à-vis de ses élus. « M. Simon assure avoir été traité comme un voyou, enchaînait Guillet. En revanche, il ne s’est jamais offusqué que son ami Bernard Laporte fasse pression sur la commission d’appel ou signe un contrat d’image avec un président de club. Après la parution de l’article, il a juste voulu savoir qui avait parlé à la presse et jamais ne lui vint à l’esprit de diligenter une enquête interne pour savoir si les faits révélés par le Journal du Dimanche étaient avérés ou non… Nous avons aussi entendu au fil des audiences que « Bernard Laporte, ce n’est pas la fédération ». Rien n’est moins sûr. Ce dossier ne serait pas ce qu’il est si l’institution avait été moins complaisante avec son président. » À ce titre, le positionnement de la FFR, partie civile lors du procès, fut largement raillé par les deux magistrats, qui reprochaient à la fédé de n’avoir jamais pris « la position de victime » qu’elle devait embrasser dans les faits, l’instance ayant quelques heures plus tôt refusé d’estimer son préjudice avant que ne soit rendu le délibéré. « Les cinq prévenus ont abîmé la probité qui entoure le rugby français, concluait Dulin. Chez eux, je ne constate par ailleurs aucune remise en question. Rien n’est exclu que dans une situation similaire, ils agissent encore de la même façon. » L’association Anticor, qui lutte contre la corruption en France et fut la seule partie civile à exiger réparation, demanda quant à elle à messieurs Simon, Altrad et Laporte la somme de 5 000 euros ainsi que le remboursement des frais de procédure, estimés dans leur intégralité à 10 000 euros.

La défense a fait reculer les accusations de corruption et de trafic d’influence

Alors, le réquisitoire, bien plus corsé que ne l’aurait imaginé la défense "dans ses pires scénarios", disait l’avocat Mohed Altrad au lendemain de la tempête, n’a rien d’un jugement définitif. Il n’est qu’un argumentaire censé convaincre la présidente, à qui il appartient de suivre ou pas les souhaits du parquet. Et si la tête du rugby français est aujourd’hui sur le billot, rien ne dit qu’elle tombera avant les fêtes. Rien n’assure que Rose-Marie Hunault retiendra les sanctions les plus lourdes, à savoir la prison pour les uns, l’interdiction de gérer une société commerciale (le groupe Altrad compte par exemple 64 000 employés…) pour les autres, et pour tous le bannissement immédiat de toute fonction, même à titre bénévole, dans le rugby. Ce qui nous fait dire ça ? Les points marqués mercredi, au crépuscule du procès, par cette défense en supériorité numérique (les prévenus comptaient sur un banc de dix avocats chevronnés) et unie comme un seul homme, face aux deux seuls fonctionnaires du ministère public. "À quoi sert-il de faire des réquisitions aussi lourdes ?, démarrait Antoine Vey, conseil d’Altrad et ancien bras droit d’Eric Dupont-Moretti. Ça sert à chauffer à blanc les tribunaux populaires… Ça sert à ce que des milliers de personnes, confondant réquisitoire et décision, puissent commenter, se déchaîner, condamner…" Aussitôt, Vey faisait feu de toutes parts, s’évertuant à démanteler le pacte de corruption par "une absence de preuves manifeste". "Quand la concertation a eu lieu au sujet du sponsor maillot, aucun autre partenaire ne voulait mettre le prix proposé par Mohed Altrad ! Et que dire du témoignage de cet employé de Lagardère, spécialisé dans le marketing sportif, qui assura aux enquêteurs que le maillot des Bleus avait été "bien vendu". Les procureurs n’ont pas les preuves : ni sur la corruption, ni sur la prise illégale d’intérêts ni sur rien d’autre ! Ils vous demandent à vous, madame la présidente, d’en générer avec des préjugés. Pourtant, quand on fait de vraies enquêtes, on en retrouve toujours, des preuves."

Au soutien de Vey, l’avocate du président de la FFR, Fanny Colin, apporta un éclairage moins emphatique mais plus technique : "On nous parle d’un pacte de corruption secret. Mais le contrat d’image est tout sauf secret, puisque signé entre une entreprise dans laquelle l’Etat est actionnaire et la société BL communication traçable : M. Laporte, en tant que "Personnalité Politique Exposée", voit en effet tout mouvement sur son compte en banque soumis à l’œil de "Tracfin" (service de renseignement français luttant contre la criminalité financière, N.D.L.R.). En matière de dissimulation, on repassera ! La seule personne qu’ait favorisée mon client, c’est la FFR. Les 6,2 millions d’euros qu’a déboursés Mohed Altrad pour le maillot tricolore ne sont pas allés dans sa poche. Ils sont allés aux licenciés." Dire que la défense a foudroyé le réquisitoire des procureurs de la République serait une folie. Mais à la fois offensive, éloquente et technique, elle a au dernier jour du procès marqué des points et fait reculer l’accusation sur la corruption et trafic d’influence. Désormais, le sort de cinq des personnages les plus influents du rugby français est entre les mains de Rose-Marie Hunault, petit bout de femme d’une cinquantaine d’années dont la finesse et le discernement nous a souvent subjugués ces quinze derniers jours. Pour les prévenus, il est en revanche à prévoir quelques nuits blanches, en attendant que l’épée de Damoclès ne disparaisse… ou s’abatte.

Ce qu’ils risquent

Bernard Laporte

Au sujet du président de la FFR, les procureurs du PNF ont réclamé trois ans de prison, dont deux avec sursis. Une amende de 50 000 euros a également été prononcée, tout comme deux ans d’interdiction d’exercer toute fonction en lien avec le ballon ovale, même en tant que bénévole. A également été évoqué une exécution provisoire. Ce qui signifie que si la juge va dans le sens du procureur, Bernard Laporte devra quitter ses fonctions dès le moment où sa peine sera prononcée, même s’il fait appel.

Mohed Altrad

Concernant le président de Montpellier, les mêmes peines ont été demandées, à un détail près qui a tout de même son importance. Les trois ans de prison dont deux avec sursis sont encore là mais c’est l’amende qui est plus imposante, d’un montant de 200 000 euros. Altrad risque également deux ans d’interdiction de gérer une société commerciale et comme Laporte, d’interdiction d’exercer toute fonction dans le rugby.

Serge Simon

Les peines sont "moins lourdes" à l’encontre de Serge Simon. A été requis de la part du procureur : un an d’emprisonnement dont six mois avec sursis, une amende de 10 000 euros et toujours l’interdiction d’exercer toute fonction dans le monde du ballon ovale mais "seulement" pendant un an.

Claude Atcher

Deux ans de prison dont un avec sursis ont été requis par les procureurs du PNF pour ce qui concerne l’ancien directeur général de la Coupe du monde 2023. Ainsi qu’une amende d’un montant de 50 000 euros et toujours cette interdiction d’exercer toute fonction en lien avec le rugby, d’une durée de trois ans cette fois.

Benoît Rover

Le gérant de la société Score XV risque jusqu’à un an d’emprisonnement dont six mois avec sursis. Ainsi que trois ans d’impossibilité de gérer une société commerciale et toujours une interdiction de toute fonction en lien avec le monde du ballon ovale.

Délibéré le 13 décembre, une situation qui n'arrange personne

Dans son réquisitoire contre les prévenus, le parquet a demandé l’exécution provisoire des possibles sanctions prononcées. Depuis mercredi, la juge Rose-Marie Hunault, s’est donné jusqu’au 13 décembre pour rendre son verdict. Une date qui empêche de fait d’utiliser l’assemblée générale financière de la FFR de la fin d’année si jamais on devait procéder à l’élection d’un nouveau président de fédération. Tant et si bien, le cas échéant, comme le prévoient les statuts de la FFR (article 21) : « En cas de vacance du poste de Président, pour quelque cause que ce soit, les fonctions de Président sont exercées provisoirement par un membre du bureau élu au scrutin secret par le comité directeur. Dès sa première réunion suivant la vacance, et après avoir, le cas échéant, complété le comité directeur, l’assemblée générale élit un nouveau Président pour la durée du mandat restant à courir. » En clair un président par intérim sera nommé avant que lors de la prochaine assemblée générale ordinaire, programmée en juin 2023, les 1 800 clubs élisent un nouveau président.

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