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Gurthrö Steenkamp : « Je pense que les Français sont mieux préparés que les Sud-Africains »

Par Romain ASSELIN
  • Gurthrö Steenkamp s'est longuement livré sur la confrontation brutale qui attendent Français et Sud-Africains.
    Gurthrö Steenkamp s'est longuement livré sur la confrontation brutale qui attendent Français et Sud-Africains. Icon Sport - Icon Sport
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En France depuis plus d’une décennie, titré en Top 14 avec le Stade toulousain puis en Champions Cup avec le Stade rochelais, le champion du monde 2007 (53 sélections) a le cœur tiraillé avant ce choc. S’il était l’un des grands bonhommes de la déséquilibrée confrontation de 2010, celle qui se profile a d’autant plus de saveur à ses yeux que sept de ses avants maritimes étaient à Marcoussis cette semaine.

Ce match vous fait forcément de l’œil. Vous êtes l’un des plus Français des rugbymen sud-africains…

(sourire) Franchement, c’est un match difficile pour moi. Comme vous dites, ça fait onze ans que je suis en France. C’est devenu mon pays d’adoption. J’y ai vécu tellement de choses comme joueur puis entraîneur, je suis bien installé avec ma famille. Bon, je travaille avec des joueurs pour les aider à être sélectionnés en équipe de France et être plus forts en mêlée, j’espère que je ne vais pas le payer cash samedi soir (rires). Je fais toujours des blagues avec Uini (Atonio) en lui disant : "Il faut que tu oublies tout notre travail quand tu joues contre l’Afrique du Sud !" (rires)

En plus d’Atonio, six autres avants que vous entraînez au quotidien (Alldritt, Bourgarit, Lavault, Picquette, Tanga, Wardi) ont préparé ce duel. Sans compter Dany Priso, qui était sous vos ordres il y a encore quelques mois…

Ça va être super intéressant ! Bien sûr, je reste un Springbok. Mais j’ai décidé de rester en France parce que je voulais apporter quelque chose de bien, avec mes approches. Pas vraiment des approches "sud-af’" mais mon éthique de travail, qui passe par l’humilité et la résilience. Je suis très investi dans mon boulot, ça me plaît et même si je suis un étranger, je mise beaucoup sur les jeunes Français.

Vous entraînez d’ailleurs aussi l’équipe espoirs du Stade rochelais, en plus d’intervenir auprès de la mêlée de l’équipe première…

Je passe beaucoup de temps avec les jeunes, toujours à la recherche de moyens pour accélérer leur développement. Pour moi, ça va être un match difficile… D’un côté, j’ai envie que les Sud-af’ gagnent ce match mais je pense que c’est davantage lié à mon collègue Jean-Baptiste Paquet, le préparateur physique des espoirs.

Racontez-nous…

C’est une drôle d’histoire. En 2002, j’ai joué contre lui en Afrique du Sud, en moins de 21 ans (la Coupe du monde espoirs, remportée par les Baby Boks). Jean-Baptiste était avec la France. Déjà, depuis l’année dernière, ça chambre pas mal dans les bureaux, au sujet de qui va gagner la coupe du monde 2023. Afrique du Sud ou France ? Samedi, ça va être un match très tendu pour nous deux. J’espère qu’on ne le regardera pas ensemble (rires).

Où le regarderez-vous ?

J’ai un match avec les espoirs, samedi à Montpellier. Il y a moyen qu’on le voit ensemble sur le portable, en fait (rires). Je ne le manquerais pour rien au monde.

À quoi vous attendez-vous ?

J’aime bien la façon dont joue l’équipe de France en ce moment. En tant qu’entraîneur de rugby mais surtout supporter et passionné, c’est vraiment chouette ce que Fabien Galthié et son staff ont réussi ces trois dernières années. Je ne leur souhaite que des bonnes choses. J’aimerais bien qu’ils fassent un super match mais je pense - enfin j’espère (sourire) - qu’à la fin, le score sera pour les Sud-Af’.

La France n’a plus battu les Springboks depuis 2009 et la dernière confrontation remonte à 2018. Bien des choses ont changé, depuis…

Je pense que les Français sont mieux préparés. Le Top 14 est, pour moi, un championnat vraiment complet. Quand je suis arrivé en 2011, c’était très physique mais très lent. Alors qu’en Super Rugby, à l’époque, ça allait à 2 000 à l’heure. Mais depuis trois ou quatre saisons, il y a un grand changement. Ça a "switché". Ça va très vite en Top 14, surtout quand le terrain est sec. L’intensité, le temps de jeu effectif, le "ball in play"… Et il y a toujours ces collisions, cette agressivité. Je ne pense pas qu’il existe un autre championnat comparable, dans le monde.

Vous souvenez-vous combien de France - Afrique du Sud vous avez disputé ?

Trois ou quatre, pas plus. Le dernier, c’était en 2010, je crois…

2013. Mais votre unique titularisation face aux Bleus est en 2010… Une victoire écrasante (42-17) où vous avez brillé, n’est-ce pas ?

C’était spécial ! En 2009, j’ai vécu une année très difficile en sélection. J’étais toujours dans le groupe mais je n’étais pas sur la feuille de match. J’ai vécu un cauchemar contre les Leicester Tigers et Martin Castrogiovanni (lors d’un match de tournée avec sa sélection), j’ai cru que c’était la fin de ma carrière internationale… En Afrique du Sud, je me faisais défoncer par tout le monde, c’était très dur. On me demandait de prendre ma retraite. Déjà… ! C’était une impasse dans ma carrière professionnelle…

Mais ?

Mais j’ai eu une opportunité. J’ai fait un très bon Super Rugby en 2010. Être rappelé en sélection… "Wow !" C’était énorme. Alors en plus, être titulaire face à l’équipe de France…

C’était un certain 12 juin 2010…

Le jour de mon anniversaire ! J’ai eu la chance de bien le fêter avec Thomas Castaignède, après. C’était un match important pour moi.

Il vous a particulièrement marqué ?

Je me souviens du discours de Peter de Villiers, le sélectionneur de l’époque. Il m’a dit, juste avant le coup d’envoi : "L’année dernière, tu étais nul. Même catastrophique, parfois. Mais tout ce que j’ai vu cette année, c’est un peu mieux. Bon match !" (rires)

Lapidaire mais efficace, visiblement…

On a eu de très bonnes mêlées et j’ai même marqué un essai, en position d’ailier ! Romain Millo-Chluski et Clément Poitrenaud ne m’ont pas rattrapé. Le truc drôle, c’est que quelques mois après, j’ai signé au Stade toulousain. Ce match-là, je ne suis pas près de l’oublier.

Sacrés souvenirs qui remontent à la surface, cette semaine…

C’est ça le rugby, vous voyez. C’est ce que j’essaie d’expliquer aux joueurs. On a tous vécu des moments difficiles. Il y a toujours moyen de rebondir si on y croit, si on travaille avec humilité, si on reste exigeant. En 2009, tout le monde disait que c’était fini pour moi. En 2010, je suis élu meilleur joueur sud-africain. Grâce à ça, j’ai l’opportunité de passer six ans au Stade toulousain.

Que retenez-vous de vos trois tests joués face au XV de France (2005, 2010, 2013) ? Tous remportés, d’ailleurs…

C’était toujours dur. On savait que la France jouait partout. Partout et après contact. En face, t’es comme un enfant qui essaie d’attraper un sac plastique qui vole au vent : tu essaies d’attraper et ça repart (rires). C’était toujours comme ça contre la France. Quand j’étais un jeune joueur, j’aimais beaucoup le French Flair.

Pour en revenir au match de samedi, vous allez forcément titiller davantage Uini Atonio, non ?

Je pense que c’est mieux pour les deux si on ne se parle pas (rires). Non, je vais bien sûr lui envoyer un message pour lui souhaiter un bon match. C’est un super joueur et un super être humain, il amène une très bonne énergie dans un groupe. Je suis super content pour lui. C’est énorme ce que Uini réalise depuis deux saisons au niveau international. Il est devenu un joueur très important pour l’équipe de France… C’est bizarre d’être devenu son entraîneur de mêlée après avoir joué contre lui, à une époque.

Comment travaillez-vous avec lui, au quotidien, depuis l’été 2021 ?

Il est expérimenté, je ne l’emmerde pas trop avec les extras (sourire). Et je n’ai pas besoin de lui expliquer comment ça fonctionne en mêlée. Mais on échange avec Uini sur ce qu’il peut améliorer, ce qu’il a vécu. Des fois, on est d’accord. Des fois, non.

Quel regard portez-vous sur son évolution à vos côtés ?

Il a franchi un cap dans son travail en mêlée. C’est un joueur atypique, au regard de son gabarit. Il est dominant et constant en mêlée et il se déplace bien. J’aimerais qu’il fasse le maximum possible samedi pour faire un bon match et de bonnes mêlées. Même si c’est contre l’Afrique du Sud (rires).

Décidément, votre cœur balance…

Quand tu travailles au quotidien avec des joueurs comme lui, Greg Alldritt, Pierre Bourgarit, tous ceux qui partent à Marcoussis, c’est difficile de ne pas les soutenir. Si je ne regarde que ce lien-là, j’aimerais bien qu’ils gagnent… Vous voyez, j’ai déjà changé d’avis plusieurs fois depuis tout à l’heure (rires).

Il n’y aura pas de Rochelais en face. Raymond Rhule et Dillyn Leyds - qui étaient des trois tests de juin 2017 face aux Bleus - n’ont plus été appelés depuis, respectivement, 2017 et 2019…

Honnêtement, c’est dommage pour eux. Si j’étais à la place des entraîneurs…

Oui ?

Ces deux joueurs connaissent bien les adversaires, ils jouent en Champions Cup, ils ont de l’expérience. Raymond et Dillyn font des super matchs, ils méritent d’y être. Au moins d’être appelés. Après, je ne connais pas la stratégie de l’Afrique du Sud. L’entraîneur choisit les joueurs pertinents pour cette stratégie. Pour nous qui sommes en dehors du contexte, on ne comprend pas tout le temps. C’est comme quand on se pose tous la question : "Pourquoi ils ne jouent que devant ?" ou "Pourquoi ils ne lâchent pas la balle et jouent large ? Pourquoi ils font autant de jeu au pied, tout le temps ?" (rires) Mais ils ont une stratégie. Il faut croire en sa stratégie.

Vous êtes bien placé pour le savoir, avec plus de 50 sélections…

Et quand je jouais chez les Bulls, on avait un projet de jeu très simple : C’était "9-les avants, 9-les avants, 9-les avants (rires)… 9-10-des fois 12." C’était tout. Et ça fonctionnait. Je me souviens, à l’époque, Corey Flynn - on a joué ensemble à Toulouse - détestait les Bulls car il n’y avait rien de spécial, même pas une "vraie" stratégie, mais c’était très difficile à défendre. Parce que c’était tellement fort quand ça portait le ballon. Tu avais pourtant d’énormes joueurs derrière… Mais bon, chacun sa stratégie (rires).

Que diriez-vous d’un score de parité, finalement, comme compromis ?

Un match nul ? (il réfléchit et éclate de rire) Oui… Ou alors je laisse ce match-là pour l’équipe de France et je serai pour l’Afrique du Sud à la Coupe du monde.

Vous êtes hors-jeu !

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