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EXCLUSIF. "Un jour, j’ai même failli m’ôter la vie": Paul Alo-Emile (Stade français) brise le silence sur sa grave dépression

Par Propos recueillis par Marc Duzan
  • Victime d’une grave dépression, il a passé les six derniers mois loin des terrains. Après avoir longuement hésité à prendre la parole, il s’est finalement décidé à briser le silence
    Victime d’une grave dépression, il a passé les six derniers mois loin des terrains. Après avoir longuement hésité à prendre la parole, il s’est finalement décidé à briser le silence Icon Sport - Icon Sport
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Le pilier droit du Stade français est sans nul doute l’un des meilleurs piliers du Top 14. Victime d’une grave dépression, il a passé les six derniers mois loin des terrains. Après avoir longuement hésité à prendre la parole, il s’est finalement décidé à briser le silence sur un mal qui touche, autour de nous, tant et tant de personnes…

Il y a quelques mois, le président Hans-Peter Wild nous confiait que vous souffriez d’une grave dépression. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui. Il y a six mois, on m’a donc diagnostiqué une lourde dépression. Derrière ça, j’ai passé deux mois à l’hôpital, pris beaucoup de médicaments. J’en prends encore, pour tout dire… Mais mon épouse, le club et mes potes m’ont tous beaucoup aidé à sortir la tête de l’eau. Ce fut une bataille difficile. Probablement la plus difficile qu’il m’ait été donné de vivre.

Combien de temps êtes-vous resté loin des terrains de rugby ?
Six mois. Je n’avais plus envie de rien. Je n’avais plus d’énergie. Un jour, j’ai même failli m’ôter la vie… Quelques heures plus tard, j’étais hospitalisé. (il soupire) En fait, tu arrives à un point où tu vois tout en noir. J’aime ma femme et mes enfants plus que tout au monde mais ce mal, en moi, ne me permettait même plus de les voir. Je n’étais plus personne. Mon cerveau m’envoyait de mauvais messages.

Sortiez-vous parfois ?
Je faisais du shopping. Mais il m’était réellement difficile, alors, de voir des gens et, surtout, de parler. J’étais tout le temps fatigué. Je voulais rester seul.

Quand êtes-vous revenu à l’entraînement au juste ?
Il y a quatre semaines. Et je devrai, ce week-end, pouvoir affronter les Lions à Johannesburg en Challenge Cup.

Paul Alo Émile à l'échauffement avec le Stade français
Paul Alo Émile à l'échauffement avec le Stade français Icon Sport - Icon Sport

Comment vous êtes-vous senti à votre retour au club ?
La course fut l’exercice le plus difficile, pour tout dire. Il y avait six mois que je n’avais plus rien fait avec mon corps.

Et en mêlée alors ?
Vasil Kakovin ne m’a pas fait de cadeau à l’entraînement mais j’en avais besoin. C’était cool, franchement. Les sensations en mêlée me manquaient…

Comment expliquer cette dépression ?
Je me suis souvent posé la question ces derniers mois… Je crois simplement que la dépression survient sans prévenir. Il n’y a pas eu de signe avant-coureur. Et ce fut d’autant plus violent.

Aviez-vous le mal du pays ? L’Australie vous manquait-elle ?
Je ne sais pas. Je me sentais triste, abattu et vide sans pouvoir vraiment me l’expliquer. En octobre, je suis reparti en Australie avec mon épouse et mes enfants. Cela m’a fait du bien de voir la plage, d’aller pêcher en mer mais ça n’a rien résolu : ce n’était pas la réponse à mes problèmes. Il y avait donc autre chose que le mal du pays.

Qu’est-ce qui vous a le plus aidé dès lors ?
Le fait d’être suivi par un psychologue et un psychiatre sur du long terme m’a permis d’ouvrir mon cœur à quelqu’un, de parler sans tabou et sans craindre le jugement des autres. La foi m’a aussi donné beaucoup de force. Ma relation à Dieu est très importante.

N’y a-t-il pas autre chose pour légitimer ce mal-être ?
(il soupire) Franchement, je n’en sais rien… J’ai été longtemps blessé l’an passé (au pubis). J’ai très peu joué et la saison fut rude : j’étais tout le temps stressé, angoissé, en colère. Mais sans savoir vraiment savoir pourquoi.

Le capitanat a-t-il pu vous peser, d’une manière ou d’une autre ?
Disons que lorsque j’ai été nommé capitaine du Stade français, je l’ai pris comme une immense fierté mais aussi comme une très grande responsabilité. Je succédais à Sergio Parisse, qui est une légende à Paris et dans le monde entier. J’ai essayé d’être à la hauteur, néanmoins.

Paul Alo Emile aux côtés de Tolu Latu
Paul Alo Emile aux côtés de Tolu Latu Icon Sport - Icon Sport

Vous étiez très proche de Tolu Latu, l’ancien talonneur : son départ du club a-t-il pu jouer sur votre moral ?
Peut-être, oui. Tolu est quelqu’un d’attachant. Même s’il sort beaucoup le soir et fait parfois n’importe quoi, c’est un homme d’une grande sensibilité, d’une grande générosité. Il me manque beaucoup mais pour lui, c’était probablement mieux de retrouver sa famille et l’Australie.

Vos enfants ont-ils compris la maladie ?
Non, ils sont trop petits. Le plus grand de mes deux garçons a 3 ans. Mais ils étaient très tristes quand j’étais hospitalisé. Cette période fut également très difficile à vivre pour mon épouse. Elle a ressenti le besoin de voir aussi un psychologue pour réellement comprendre ce qui m’arrivait.

En quoi la libération de la parole a-t-elle eu pour vous certaines vertus ?
Ma culture polynésienne (il est d’origine samoane, N.D.L.R.) ne pousse pas vraiment à la confession. Chez nous, on grandit avec ça : il est mal vu d’ouvrir son cœur, de parler de ses émotions. Les hommes ne le font pas. Alors, j’ai tout gardé pour moi pendant des mois jusqu’au jour où j’ai explosé… Cette pudeur est souvent un handicap pour nous les Polynésiens. Je connais d’ailleurs quelques joueurs qui, une fois leur carrière terminée, ont fait des tentatives de suicide à leur retour chez eux.

Mais vous avez grandi en Australie vous…
Oui. Et je pensais être différent, affranchi de ce poids culturel polynésien. Je me trompais lourdement. Je l’ai toujours eu en moi.

Est-il difficile de parler d’une dépression dans le milieu du rugby ?
Oui. Dans un vestiaire, tu dois montrer à tes coéquipiers à quel point tu es fort, à quel point ils peuvent s’appuyer sur toi pour gagner… Mais quand mes coéquipiers ont pris connaissance de ma maladie, certains d’entre eux se sont beaucoup ouverts à moi pour évoquer leur vie, leurs doutes, leurs malheurs. Des murs sont brutalement tombés entre nous. C’est pour cela que je veux partager mon histoire. Je veux que les gens se disent : « C’est arrivé à Paul et moi aussi, je ressens de la tristesse, du stress, de la pression. Je vais en parler et me faire aider, comme il l’a fait. »

Il a été question que vous quittiez le Stade français. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Si le nouveau staff veut bien de moi, je resterai à Paris jusqu’à la fin de mon contrat en 2025 : mes enfants sont scolarisés ici, ils parlent français et j’aime ce club. Et puis, j’aimerais aussi beaucoup pouvoir disputer la prochaine Coupe du monde avec les Samoa. Qui sait… Ce sera peut-être possible si je retrouve une forme physique décente.

Qu’avez-vous pensé du début de saison du Stade français ?
Je suis très fier des garçons. Même si je n’ai pas été à leurs côtés ces derniers mois, je les ai suivis du mieux que je pouvais. Giorgi Melikidze a fait des matchs fantastiques et ça me rend heureux : il est un peu comme un petit frère.

Giorgi Melikidze avec le maillot du Stade français
Giorgi Melikidze avec le maillot du Stade français Icon Sport - Icon Sport

Êtes-vous surpris par ses récentes performances ?
Non, j’ai toujours su qu’il avait ça en lui. Cela dépendait juste de lui en fait. Il suffisait qu’il le décide et il l’a fait. À mon retour au club, j’ai aussi récemment découvert Vincent Koch : il m’a parlé de la dynamique des Springboks, du sens qu’il donne à ce maillot, de la détermination qu’il a toujours mise au service de son équipe nationale, qu’il soit titulaire ou remplaçant. J’ai aimé son discours.

La qualification est-elle envisageable pour Paris ?
Il est trop tôt pour le dire. Mais je veux y croire.

Comment avez-vous vécu l’annonce du départ de Gonzalo Quesada ?
Je ne veux pas encore penser à la saison prochaine. Aujourd’hui, je suis surtout focalisé sur mon retour à la compétition. Mais pour être franc, je suis triste que Gonzalo s’en aille. C’est lui qui m’a fait venir à Paris il y a sept ans. Nous avons créé des liens, forcément…

Avez-vous pris du poids pendant ces six mois d’absence ?
Oui. À l’hôpital, je ne pouvais pas bouger. Je ne faisais rien. Alors j’ai pris du poids… Mais j’ai bon espoir de revenir en forme. Je n’ai que 30 ans après tout. Et puis, la concurrence me fera du bien : Giorgi (Melikidze), Vincent (Koch) et Nemo (Roelofse) vont me pousser. Je vais aussi devoir combattre avec mon jeune frère Moses, qui vient d’être essayé à droite ! Ca va être compliqué ! (rires)

Êtes-vous guéri ?
Je me sens mieux mais ce n’est pas terminé. Je dois poursuivre mon travail avec le psychologue, à bosser sur mes émotions. Mais ce que je souhaite le plus au monde, c’est revenir à une vie normale.

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