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Olivier Roumat, coup de pompe aux antipodes

Par Jérôme Prévôt
  • À droite de l’image, on voit le geste d’Olivier Roumat sur la tête du capitaine des All Blacks Sean Fitzpatrick sous les yeux de l’arbitre.
    À droite de l’image, on voit le geste d’Olivier Roumat sur la tête du capitaine des All Blacks Sean Fitzpatrick sous les yeux de l’arbitre. Capture écran
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22 avril 1992. Sélectionné dans un XV Mondial aligné face aux All Blacks, Olivier Roumat se laisse aller à un magistral coup de chausson sur Sean Fitzpatrick. Le plus incroyable, c’est qu’il s’en est bien sorti.

«Le pire moment de ma carrière, clairement.» Pour un pétage de plombs, ce fut un beau pétage de plombs et pas n’importe où, ni avec n’importe quel maillot. Avril 1992, Olivier Roumat est sélectionné dans un XV mondial qui devait affronter les All Blacks à l’occasion du centenaire de la fédération néo-zélandaise… Rien que ça. Trois tests au programme à Christchurch, Wellington et Auckland. Olivier Roumat poussait en deuxième ligne aux côtés de l’Australien John Eales, champion du monde. Marc Cécillon jouait en numéro 8. «Nous avions gagné le premier test à Christchurch mais Brian Lochore qui était notre manager, nous avait avertis que le deuxième match serait plus difficile car les All Blacks seraient plus agressifs.»

Le deuxième ligne de l’US Dax avait 25 ans, en pleine possession de ses moyens : «De toute façon, je ne devais pas faire le troisième test, car je devais jouer les phases finales avec mon club.» Il ne devait donc pas terminer le second. La cause ? Un bon vieux coup de pompe sur Sean Fitzpatrick, nouveau capitaine des All Blacks, devant la tribune officielle. «Un mauvais réflexe, il m’avait pris deux fois à retardement. J’avais bien vu que j’étais visé. En 1990 à Paris et à Nantes, on s’était déjà accrochés. Avec l’équipe de France, on avait pris deux fois trente points et ça avait été chaud. Je savais aussi que Sean Fitzpatrick devait montrer l’exemple sur ce second test avec des All Blacks frustrés par la défaite du premier test. Ils avaient été "crépis" par la presse locale.»

En revoyant les images, on sent que les All Blacks étaient très remontés, avec une entame de feu et un essai très rapide. Le combat est rude. «Sur le premier regroupement il me prend à retardement, sur le second, je prends un coup de tête et sur le troisième, je sors et il me tombe dans les pieds…» On jouait la neuvième minute et… paf, on voit Fitzpatrick à terre et le pied gauche de Roumat partir illico, plein axe de la caméra. Le coup de pompe est manifeste. Un cas d’école. Chahut du public, geste auguste de M. Bishop qui montre immédiatement les vestiaires au Dacquois. Il le prend même par le col, puis par l’épaule. «Je lui ai marché dessus, devant l’arbitre. Pas de discussion possible, le carton rouge était évident (NDLR : il n’existait pas physiquement à l’époque…). Je me suis dit : quel imbécile que je suis. Il m’avait fait disjoncter. Et cette histoire m’a énormément servi… C’était une erreur de jeunesse, que je n’ai pas rééditée.»

Roumat le reconnaît : à ses débuts, il était sanguin. «Oui, je voyais rouge.» En plus, avec ses deux mètres, on ne voyait que lui et sa détente à une époque où l’ascenseur n’était pas autorisé faisait des ravages. Ses adversaires le voyaient surréagir avec délectation : «C’était le rugby de l’époque, mais les gestes violents étaient beaucoup moins sanctionnés qu’aujourd’hui. Quand je dis tout ce qui se passait à mon fils, il a du mal à me croire.»

La caméra de la télé filme le Dacquois de dos en train de revenir au vestiaire, image classique de pénitence. Les images repassent tout de suite sur le grand écran du stade, nouveauté. Dans la tête du banni, des idées circulent : «En plus Pierre Berbizier alors entraîneur du XV de France était très porté sur la discipline. Avant lui, nous étions l’équipe nationale la plus pénalisée, il voulait qu’on finisse les matchs avec moins de dix sanctions contre nous.»

Aujourd’hui, ça tournerait en boucle

Mais il faut aussi comprendre que le contexte servait Roumat. Ces tests exceptionnels se déroulaient en pleine nuit en France, au mois d’avril en plein championnat. Ils n’étaient pas télévisés et leur caractère très particulier, le centenaire de la NZRFU, les rendait un peu vagues pour le public de l’hexagone. «Heureusement que ça ne m’est pas arrivé en équipe de France. Et puis, à l’époque tout était moins médiatisé, aujourd’hui, ça tournerait en boucle. Ceci dit, Pierre Salviac ne m’avait pas manqué sur France 2. Il m’avait assassiné.»

On sortait tout juste du Tournoi 1992 avec le fameux France-Angleterre où Moscato et Lascubé avaient été expulsés coup sur coup. Les avants français avaient plus que jamais la réputation de dégoupiller pour un oui ou pour un non. «Et en plus, il y avait eu une histoire en Du-Manoir entre Eric Champ et Abdelatif Benazzi, expulsés pour s’être battus l’un contre l’autre.» «Mal à la France» avait titré Midi Olympique. Bernard Lapasset, président de la FFR et présent à Wellington avait tonné : «Il y avait dix-sept présidents de fédérations et le seul qui se fait remarquer, c’est un Français. … Je vais frapper fort.»

Marcel Martin lui sauve la mise

Pourtant, le plus étonnant, dans toute cette histoire, c’est qu’Olivier Roumat n’écopa que d’une sanction légère : quatre semaines, alors que Vincent Moscato avait pris six mois après le terrible France-Angleterre, pour un geste objectivement moins grave. «J’avais quand même manqué les phases finales de l’US Dax. Pierre Berbizier m’avait téléphoné pour me dire qu’il ne m’amènerait pas en tournée en Argentine mais que je serais repris à l’automne si je faisais des bons matchs. Je crois qu’il avait dit la même chose à Abdelatif Benazzi. Et il a tenu parole». Bernard Laporte alors capitaine de Bordeaux-Bègles ne se privait pas de faire remarquer sarcastique et dégoûté : «Vincent (Moscato, son coéquipier) a pris six mois pour une entrée en tronche, alors que Roumat a chaussé un mec face à la tribune officielle et n’a pris qu’un mois.»

Si le tribunal ad hoc avait été clément, c’est parce qu’il s’était découvert deux bons avocats : «D’abord, Sean Fitzpatrick a été super. Il ne m’a pas chargé et il a dit qu’il n’avait pas de séquelles. Et puis, il y a eu Marcel Martin, il a été formidable, il a quasiment renversé les rôles, en disant que j’avais été provoqué, que je n’étais qu’un être humain, et cætera. En plus, il était à l’International Board, il m’a arrangé le coup. Je ne savais pas qu’il serait mon président à Biarritz dix ans plus tard. » Marcel Martin, dirigeant madré et anglophone avait peut-être réussi son plus beau tour de magie. Même le président de l’US Dax, Jean-Pierre Lux n’avait pas caché son étonnement devant une telle mansuétude. «En France, il aurait pris un an. Je m’étonne de la disparité des sanctions entre les deux hémisphères. Quatre semaines c’est surprenant en comparaison des cas de Moscato et de Lascubé.»

Une lettre de son père

Olivier Roumat revint à Dax la tête basse : «Je n’avais plus qu’à me taire. J’ai fait un gros travail sur moi au cours de cet été 1992. Rien de spécial mais avec l’idée de travailler sur la maîtrise de soi, pour ne plus disjoncter à ce poste qui demande de l’agressivité. Avec le recul, je pense que ce fut le pire moment de ma carrière mais il me fut salutaire. Je n’ai plus été expulsé après ça, à l’automne, on a battu les Springboks une fois sur deux à l’automne et en 1993, je suis devenu capitaine du XV de France. Je reconnais que si ça se passait aujourd’hui, j’aurais du mal à revenir.» Le rugby de ces années 90 avait encore ce charme de l’amateurisme avec des décisions et des verdicts très contrastés. Pour Roumat, la pièce était tombée du bon côté, le bon génie Marcel Martin était sorti de sa lampe au bon moment, au bon endroit. Dans les colonnes de Midi Olympique on trouvait aussi un autre article, une lettre signée… Ferdinand Roumat, père d’Olivier qui avait pris la plume pour défendre son fils, pas pour son geste, mais pour sa non-sélection pour la tournée. «Une justice s’exerçant deux fois sur un condamné n’est-elle pas d’un autre âge ?» Nous avons relu cette lettre avec émotion, M. Roumat y parle de la difficulté de son fils à concilier les tournées, les stages du XV de France et ses examens de géomètre – expert. On peut contester ses arguments, mais sa fibre paternelle s’y déploie avec ferveur à chaque ligne. «Oui, mon père, c’était très particulier. Il avait aussi écrit en 1995 quand j’étais parti en Afrique du Sud et que je m’étais retrouvé en licence rouge. C’était son mode de communication, en tant qu’ancien professeur, il écrivait des lettres, même à moi. Quand j’ai quitté Dax pour le Stade Français, il m’avait envoyé une lettre de trois pages pour me dire qu’il n’était pas d’accord…» On vous le dit : une autre époque…

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