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PORTRAIT. "Cœur tendre et regard noir" : qui est vraiment Pierre Mignoni, le manager du RC Toulon ?

  • Pierre Mignoni, approché par le XV de France pour remplacer Laurent Labit en tant que chef de l'attaque de la sélection, a préféré rester fidèle à Toulon. Mais pour lui, la déchirure est réelle...
    Pierre Mignoni, approché par le XV de France pour remplacer Laurent Labit en tant que chef de l'attaque de la sélection, a préféré rester fidèle à Toulon. Mais pour lui, la déchirure est réelle... Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Fabien Galthié et le vaisseau amiral du rugby français ont récemment souhaité que Pierre Mignoni remplace Laurent Labit comme chef de l’attaque du XV de France, après le Mondial 20323. Si l’affaire ne se conclura finalement pas, laquelle des deux parties nourrira-t-elle bientôt le plus de regrets ?

Le cliché est ici tenace, la pellicule indélébile et quoi qu’on fasse, la première image qui vient à l’esprit, lorsqu’il est question de Pierre Mignoni, est celle d’un homme au visage fermé, vêtu d’un jogging ordinaire et portant entre les pognes le carnet à spirales d’un prof de gym. Aux yeux du grand public, "Pierrot le fou" (45 ans), c’est avant tout une pupille noire, une mâchoire serrée, 1,69m d’adrénaline et, sur le bord du terrain, un concert de borborygmes qu’il destine aux arbitres, à ses propres joueurs ou aux adversaires du jour. Mais au-delà du stéréotype, qui est vraiment le manager du RCT ? Thibault Privat, son ancien coéquipier à Béziers et Clermont, explique en préambule : "L’image que peuvent avoir les gens de lui n’est pas la bonne. Pierrot est quelqu’un d’une incroyable humanité, d’une sensibilité que les gens ne peuvent soupçonner". Jacques Delmas, son ancien adjoint au RCT et actuel entraîneur d'Aix-en-Provence, développe : "Pierre, je le considère un peu comme un petit frère. Il a la gagne, reste sanguin comme un Toulonnais et souvent, je lui dis : "Mais tu vas la fermer, le nain ?" Il en a conscience et c’est d’ailleurs pour ça qu’il s’isole désormais en tribunes, en première mi-temps : ça nous fait gagner quarante minutes de calme... Mais cette image de petit gueulard est finalement très réductrice. Ce n’est pas vraiment lui, en fait". David Attoub, consultant au CSBJ et vieil ami dudit Pierrot, va un peu plus loin dans l’analyse : "Pierre est un vrai passionné mais parfois, c’est vrai qu’il est complètement zinzin. Sur le bord de touche, il tape des pieds comme un gamin qui fait un caprice. Les jours où il engueulait Julien Bonnaire, la fille de celui-ci lui lançait toujours : "Hey Mignoni ! Tu n’es vraiment pas mignon !" Mais vous savez, il est aussi tellement exigeant envers lui-même, tellement droit dans son rapport à l’autre que derrière, les joueurs adhèrent. Moi, je sais en tout cas que je pourrai toujours compter sur lui". Et pour cause. "Quand Garba (Xavier Garbajosa) ne m’a pas gardé au Lou, Pierre est entré dans une colère noire. Il est alors allé à la guerre pour moi, il aurait même pu mourir pour sauver ma tête. J’ai plus que du respect pour Pierre : j’ai de l’amour pour lui."

Bien plus fragile qu’on ne le pense, bien plus tendre que ne le laissent croire les gesticulations auxquelles il se livre dans les vestiaires du RCT, Pierre Mignoni est un être complexe. Un écorché vif, un homme aux mille visages. Privat poursuit : « Joueur, il était très en avance sur son temps. Il s’imposait des séances individuelles, s’étirait trois heures après les matchs, s’entraînait à faire des passes allongé, à genoux… Pierre déteste la médiocrité : pour vous donner un exemple, le jour où il a jugé que je ne pouvais pas continuer à jouer au rugby sans avoir de passe à droite, il m’a dit : « Viens, le grand. Tu vas passer un mois avec moi et je vais t’apprendre. Ça ne peut plus durer ». Alors, il m’a fait bosser ma passe à droite jusqu’à ce qu’elle soit moins foireuse. Mais ça ne m’a jamais trop servi, hein... » Sans blague ? « Cette exigence, raconte à présent Mario Ledesma, ancien sélectionneur de l’Argentine et ex-coéquipier de Mignoni à l’ASMCA, il l’a toujours eue en lui. À l’époque, il n’y avait pas un mec à Clermont qui s’entraînait comme lui : il ne bouffait jamais de frites, ne touchait jamais une tranche de saucisson et ne buvait pas d’alcool… Il était dingue… Mais de ce que je vois à la télé, il a changé ses habitudes alimentaires : on voit bien que le saucisson, il l’aime bien finalement ! » Super Mario se marre, marque une pause et reprend : « Pierre, il est vrai, authentique et surtout, pas jaloux : quand il a quitté Clermont (pour rejoindre le RCT) après avoir perdu trois finales avec nous, il a été le premier mec à m’appeler quand on a enfin fini par remporter le Brennus… Au fond de lui, il souffrait, évidemment... Mais il a toujours eu la classe de ne jamais nous le faire sentir... »

Delmas : « Le XV de France, ça le faisait bander. Tout ça est pour lui un déchirement »

Le nom de Pierre Mignoni, jusque-là vissé au quotidien du Top 14 comme une moule à un rocher, a récemment pris une envergure bien plus large, au soir où Midol a annoncé que Fabien Galthié et quelques apparatchiks du vaisseau amiral (Serge Simon, Bernard Laporte…) lui avaient proposé de remplacer le chef de l’attaque tricolore Laurent Labit, après la Coupe du monde. Au vrai ? Le sujet de la Cocotte est chez l’actuel manager du RCT hautement sensible, une source de questionnements infinis et de loin, on jurerait que la relation qu’il entretient avec la sélection tricolore a quelque chose d’inabouti. Qu'elle conserve comme un goût d’inachevé. A-t-il oui non un compte à solder avec ce XV de France qui n’eut de cesse, dans sa carrière de joueur, de lui tendre les bras puis de le rejeter ? Les faits plaident en tout cas en ce sens et Jean-Claude Skrela, sélectionneur des Bleus lors de l’épopée de 1999, remonte ainsi le cours du temps : « En 1999, Pierre avait réalisé une magnifique tournée d’été aux Samoa. Il était donc à nos yeux naturel qu’il nous accompagne en Coupe du monde ». Propulsé titulaire après la lourde blessure au genou de Philippe Carbonneau, « Pierrot » était alors fauché par une élongation lors d’un match contre la Namibie, quittait le groupe France avec perte et fracas pour y faire une place à un certain… Fabien Galthié qui, si l’on en croit une légende n’ayant jamais été démentie par l’intéressé, prenait alors la main sur la sélection tricolore pour la mener jusqu’en finale du Mondial.

Las, la relation douloureuse qu’entretint Mignoni avec l’équipe de France ne s’arrêta pas là : huit ans après l’épopée de la bande à Galette au Royaume Uni (2007), l’actuel manager du RCT est depuis devenu l’indéboulonnable demi de mêlée de l’ASMCA, un club replacé au sommet du rugby français par le Néo-Zélandais Vern Cotter. Dans l’esprit de Bernard Laporte, le patron des Bleus, Mignoni devance alors les autres numéros 9 du territoire (Jean-Baptiste Elissalde, Dimitri Yachvili, Frédéric Michalak…) et c’est dans la peau d’un titulaire qu’il démarre donc la Coupe du monde 2007 : mais ce soir-là, au Stade de France, Pierre Mignoni, et comme le furent tout autant que lui Rémi Martin, David Skrela ou Aurélien Rougerie, est dépassé par la dinguerie argentine et surtout mis à mal par le harcèlement psychologique auquel le soumet Agustin Pichot pendant plus d’une heure.

Dans la foulée de cette sanglante défaite, Pierre Mignoni subit donc de plein fouet la colère divine, est écarté des compositions d’équipe par "Bernie le Dingue" et finalement dépassé par Jean-Baptiste Elissalde, lequel ne lui rendra son bâton de maréchal que pour la petite finale, perdue au Parc des princes face à ces mêmes Pumas. Dès lors, Monsieur Jacques ? "Avec Pierre, confie à présent Delmas, on s’est longuement appelé dimanche soir au sujet de l’équipe de France. Je lui ai dit : "Tu as le choix du roi, Pierrot. Mais choisir, c’est renoncer".

Delmas suspend sa phrase, reprend ainsi: "La sélection, c’est un aboutissement mais Toulon, c’est son pays, sa ville, son club. Ce fut un dilemme incroyable pour lui et je l’ai senti vraiment déchiré par rapport à tout ça. […] Le XV de France, c’est un autre métier et ça le faisait bander, si vous voulez bien me passer ce trait de vulgarité. Mais la fibre toulonnaise a finalement été la plus forte : en partant, il aurait eu l’impression de trahir le RCT". In fine, ne nourrira-t-il pas tôt ou tard des regrets ? Et son cas étant réglé, la FFR ne va-t-elle pas devoir désormais ratisser (trop) large pour trouver un remplaçant compétent à Laurent Labit ? On ne sait pas… On demande…

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