Abonnés

200 ans de légendes (2/52) - Joseph Anduran ou la traque du quinzième homme !

Par Jérôme Prévôt
  • 200 ans de rugby, épisode 2/52
    200 ans de rugby, épisode 2/52
Publié le
Partager :

Pour leur première dans le Tournoi, les Français ne sont que quatorze au rassemblement. Les dirigeants s’affairent dans Paris pour trouver un quinzième élément et poussent la porte d’une galerie d’art. Il faut absolument persuader son patron, Joseph Anduran, d’être celui-là.

1823 - 2023 : 200 ans de rugby

En cette année 2023, le rugby fête ses 200 ans. Midi Olympique vous propose de célébrer cet événement à travers une série d'articles qui retraceront l'histoire de notre sport depuis 1823. Le vendredi nous évoquerons les moments les plus forts et les plus émouvants de deux siècles de passion ovale, en toute subjectivité.

ÉPISODE 2 / 52

Nous sommes le 31 décembre 1909, les Bleus doivent jouer le lendemain contre le pays de Galles, pour leur entrée dans le Tournoi. Un événement historique. Il n’y a pas de stage préparatoire, évidemment. Qui pourrait d’ailleurs avoir une idée aussi saugrenue ? Déjà que les joueurs sont presque énervés d’être là, à cause de la longueur du voyage. Ils ont tous reçu une même lettre, sous forme de commandement : "Rendez-vous vendredi à 14 heures à la gare Saint-Lazare, à l’endroit du départ du train pour Dieppe. MM. Charles Brennus et Cyril Rutherford, les deux dirigeants, seront sur le quai pour vous accueillir. Surtout, soyez à l’heure !"

La grande aventure des Bleus commence ainsi par un énorme raté. À l’heure dite, il n’y a que quatorze joueurs. Prévu comme titulaire, le Bordelais Hélier Tilh, manque à l’appel ! Consigné à la caserne, il n’a pas pu avertir ses dirigeants. Charles est aussi indisponible et ne peut le remplacer ; deux autres remplaçants figurent sur la liste : Legrain et Moure. Ils sont appelés à la rescousse mais renoncent parce qu’ils sont blessés.

Charles Brennus vacille. Il craint l’humiliation pour le premier match. Avec Isambert, son acolyte et Cartoux, journaliste à L’Aurore, ils se partagent des adresses d’avants parisiens qui pourraient faire l’affaire. Brennus s’engouffre dans un taxi et donne une adresse au chauffeur : rue de la Boétie. Il sait par les gazettes qu’un troisième ligne ou talonneur du Scuf a ouvert dans la matinée une exposition de peintures dans une galerie réputée. Il s’appelle Joseph Anduran, dit Joe, il a 28 ans, il est né à Bayonne. On a du mal à se le représenter comme un rude avant de devoir mais plutôt comme un dandy raffiné qui se meut dans le milieu des arts.

Brennus a de la chance, il tombe tout de suite sur Anduran, en train de vendre un tableau de Corot, artiste côté à l’époque. Autant le dire, il n’a pas du tout l’esprit au rugby. Brennus se lance et voit entrer Isambert et Cartoux qui ont fait chou blanc de leur côté (Montmartre, Montrouge, rue Gaudot de Mauroy, etc.). Les autres candidats sont indisponibles. Isambert prend la parole : "Joe, veux-tu être international ?"

Comment on rate un réveillon en famille

À trois, ils parviennent à convaincre Anduran, en évoquant notamment la mère patrie reconnaissante. Celui-ci est tenté par l’aventure mais il est anxieux de la réaction de son épouse alors en pleins préparatifs du réveillon. La troupe fait irruption au domicile des Anduran : "Mais nos impératifs familiaux, Joseph ?" Le mari rétorque : "Ça ne fait rien. Ignorante ! Sache que devenir international, c’est un honneur de la race", avec une brutalité sans doute faite pour conjurer sa gêne.

Puis, il enfile un chandail de laine et saute dans le taxi avec les trois "gros pardessus". À Saint-Lazare, on se rend compte que l’arrière René Menrath (lui aussi du Scuf) n’est pas là. Mais il a fait dire qu’il serait libre vers 17 heures et qu’il rejoindrait les autres à Swansea après un voyage nocturne, il tiendra parole mais sans être très frais.

Le premier match des Français dans le Tournoi peut se dérouler dans des conditions normales, même si l’ambiance n’est pas celle d’un sommet bouillant… Les Gallois du capitaine et centre Billy Trew se montrent si supérieurs à des Français bien tendres et trop peu… Endurants. Le score final est lourd (49-14), mais Joseph Anduran vient de rentrer dans l’Histoire : il a sauvé la France du ridicule de ne pouvoir aligner quinze joueurs pour sa première participation au rendez-vous du Tournoi.

Anduran ne jouera plus jamais en équipe de France de toute sa carrière mais il eut le privilège de recevoir une superbe carte rayée de tricolore, un document spécial qui, pour lui, remplaçait la "cape" (casquette traditionnelle remise après deux sélections). Il perdit ce précieux parchemin juste avant son décès en 1914, sur le front de la Première Guerre mondiale. Deuxième sacrifice pour la patrie, fatal celui-ci.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?