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Portrait - Pierre Boudehent (La Rochelle) : Il était une foi dans l’Ouest

Par Vincent Bissonnet
  • Pierre Boudehent avec le maillot de la Rochelle Pierre Boudehent avec le maillot de la Rochelle
    Pierre Boudehent avec le maillot de la Rochelle Icon Sport
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L’Angevin d’origine est un joueur au parcours atypique et au tempérament singulier. Poussé par une motivation extrême et ses croyances religieuses, le Maritime ne se fixe aucune limite.

Dans la catégorie des ovnis, ces phénomènes déroutants si chers à Fabien Galthié, La Rochelle compte un spécimen étonnant en la personne de Pierre Boudehent. L’athlétique trois-quarts (1,96 m, 107 kg), devenu un élément clé cette saison avec quatre essais, vient de loin. "J’ai commencé le rugby à 12 ans, à Angers, raconte-t-il. J’ai suivi les traces de mon père qui avait joué au SCO. Il était capitaine de la B et a joué en Série ou en Fédérale 3." À l’origine, rien ne prédestine l’Angevin à une carrière. Si ce n’est un physique et une détermination au-dessus de la moyenne : " Pour monter en niveau, je suis parti à Nantes à 15 ans. J’y ai fait mes années de centre de formation et mes études. Dès que je suis parti d’Angers, mon objectif était clair : c’était finir pro et en équipe de France. Quand je me lance dans quelque chose, je le fais à fond. Et il faut que je réussisse." L’œil brillant, un demi-sourire en coin, le trois-quarts mesure l’écho de ses propos : "Je sais que ce discours peut déranger certains mais je l’assume. Ce n’est pas un manque d’humilité. Ces valeurs, je les ai, mais elles ne doivent pas empêcher la confiance. Je suis un compétiteur. Je ne dis pas, loin de là, que je suis le meilleur mais je suis persuadé qu’en se donnant à fond, il est possible d’atteindre tous ses objectifs."

Son parcours lui a donné raison : cinq ans après sa première licence, les portes du monde professionnel s’ouvrent à lui. "Avec Nantes, on jouait de grosses équipes, Mont-de-Marsan, La Rochelle, le Racing… J’ai été repéré à partir de là. À 17 ans, j’avais le choix entre La Rochelle, le Racing et Clermont. La proximité, le fait que ce soit un club à taille humaine, le projet qui était en train d’être mené : tout ça mis bout à bout m’a convaincu de venir au Stade." L’ambitieux voit ses vœux être exaucés les uns après les autres. À une vitesse étonnante : "Venant de là où je viens, ma progression a été assez rapide, oui. Dès 17 ans, j’ai eu mes premières sélections jeunes aussi. Je suis rapidement arrivé au haut niveau." Le moment est doublement charnière : "À l’origine, je jouais troisième ligne. C’est à 17 ans que j’ai changé. Olivier Lièvremont, mon entraîneur d’alors, et Antoine Praud, coach de l’académie à La Rochelle désormais, me l’avaient proposé : "Tu vas basculer derrière, au centre." J’étais trop content. Ça me sortait des rucks et des mauls. C’est à partir de ce moment-là que j’ai franchi un palier. Je pense que j’aurais pu jouer troisième ligne à haut niveau mais j’avais le potentiel physique et la technique pour évoluer derrière."

"Ça avait bien commencé et, après, c’était le vide"

Année après année, l’international jeunes poursuit son avancée sur les sentiers de la gloire, jusqu’aux débuts en équipe fanion à 19 ans : "J’étais tellement fier. Cette première saison en pro s’est très bien passée. J’en ai bavé mais c’était enrichissant. Cette année-là, j’ai aussi gagné le Tournoi avec les moins de 20 ans et j’ai disputé la Coupe du monde à VII à San Francisco." Jusque-là, tout allait bien... "Après très bonne première saison, j’ai connu trois années blanches. J’ai enchaîné les grosses blessures : deux luxations de l’épaule, une fracture d’un rein, une entorse à un genou, à une cheville… Pendant ces trois années, j’ai un peu joué mais c’était un match par-ci, par-là. J’avais très bien commencé et, après, c’était le vide." Pierre Boudehent doit alors revenir de loin. À la force du mental : "La chance que j’ai eue, c’est de rester persévérant. J’étais en retard à cause de ces blessures mais je n’ai pas lâché le train. Je ne me suis pas dit : "Pierre, tu es blessé, laisse le rugby de côté." Je n’ai jamais douté. C’est mon mental qui me permet d’être encore là. De toute manière, si tu n’as que le physique, tu ne peux pas aller loin dans ce sport." Après sept feuilles de match en trois saisons, l’exercice 2021-2022 acte son retour au premier plan avec quinze apparitions. Le public de Deflandre découvre une nouvelle version de Pierre Boudehent, façonnée par ses passages à VII : "J’ai dû adapter mon jeu. J’ai été opéré d’une épaule et, je le vois en musculation, je suis moins fort désormais. Au développé-couché, j’ai perdu. Ce n’est pas plus mal en soi. Je me suis renouvelé, j’ai développé d’autres aspects de mon jeu. Je cherche davantage à éviter le contact. Avant, quand je voyais un défenseur, je fonçais dessus. Je suis moins frontal, j’utilise plus la prise d’intervalles." Avec succès.

Ses performances lui valent d’être convoqué par Fabien Galthié dans le groupe élargi du XV de France, lors de la tournée de novembre : "J’étais super fier, d’autant plus que mon frère y était déjà passé. Je m’étais alors dit : "Je suis super content pour lui mais j’aimerais y être aussi." Quand on m’a appelé, c’était un cadeau. Il y avait plein de messages à travers cette convocation : tu as fait de bons matchs, on t’a supervisé, on te suit… Et quand je me suis retrouvé entre Dupont, Marchand et Alldritt, je me suis dit : "Là, c’est la crème de la crème du rugby." Ce n’était que six jours et un groupe des quarante-deux mais c’était une expérience exceptionnelle." Toucher du doigt le très haut niveau rend ses ambitions encore plus concrètes, accessibles. À commencer par la Coupe du monde 2023, davantage perçue comme un objectif que comme un rêve. "J’ai été marqué par ce que Fabien Galthié nous a dit : "Vous savez, tout est possible. Entre le groupe qui est là et celui qui sera à la Coupe du monde, ça peut évoluer." Il y a des gens qui se ferment des portes mais je suis convaincu que rien n’est figé. J’en suis persuadé. Peut-être que je ne jouerai pas le Mondial, peut-être que si. Intérieurement, je suis convaincu que si je bosse bien, je pourrai postuler. Il faut se motiver comme ça."

"J’avais peur du regard des autres"

Pierre Boudehent est habité par une inaltérable foi. En son destin. Et en autre chose : "Sans Dieu, je n’en serai pas là aujourd’hui", clame ce catholique pratiquant. Le centre ou ailier se livre avec emphase sur la prépondérance de ce guide invisible : "C’est difficile à expliquer mais c’est ancré en moi : je suis persuadé que Dieu existe. Je ne me sens jamais seul. En tant que rugbyman, il faut arrêter de se cacher, on a souvent peur, avant une grande compétition, face à un adversaire… Pour moi qui viens d’un petit club, j’avais peur. Et ça m’a aidé de savoir que Dieu était à mes côtés, qu’il veillait sur moi. À travers toutes les épreuves, il m’a accompagné. Quand j’étais blessé, je lui demandais : "Seigneur, je ne comprends pas pourquoi m’arrive-t-il ces choses-là ?" Sauf que ça m’a apporté beaucoup : la patience, la persévérance, le courage, l’humilité… Ça a fait l’homme que je suis." Un joueur prêt à relever tous les défis : "Quand je dis que rien n’est impossible, c’est parce que j’ai la foi. Tout est possible à celui qui y croit. Et c’est pour ça que j’y crois dur comme fer."

Cette force intérieure, Pierre Boudehent la dévoile au quotidien avec parcimonie. Voire avec une pointe de gêne : "Je dirais que c’est un sujet tabou. On est dans un pays chrétien et catholique, certes, mais je suis dans un milieu de rugbyman professionnel qui est particulier. On va dire les choses comme elles sont : c’est argent, popularité et tout ce qui s’ensuit. Quand j’arrive avec ma foi, ma Bible, mes croyances, c’est à l’opposé complet. C’est compatible mais c’est très compliqué." Et l’Angevin de confier ses réticences : "Pour être honnête, j’avais très peur du regard des autres au début. Chez moi, je prie à table mais je ne le fais pas au club. Je me dis : "Comment le mec à côté de moi va me regarder ?" Les Sud-Africains ou les Fidjiens n’ont, eux, aucun problème avec ça. Je devrais partager avec eux mais j’ai cette retenue. C’est très personnel. Je n’ai pas envie de choquer, je préfère ne pas déranger." Le Rochelais concilie, comme il le peut, les deux facettes de sa personnalité : "Je vais à l’église le dimanche quand c’est possible, j’essaye de lire la Bible même si ce n’est pas simple, je vais aussi en réunion de prière le mardi soir… J’ai besoin de concilier les deux." Une foi peut en cacher une autre.

Digest

Né le : 6 février 1998 à Angers (Maine-et-Loire)

Mensurations : 1,96 m, 107 kg

Poste : ailier-centre

Clubs successifs : Angers (2010-2013), Nantes (2013-2015), La Rochelle (2015-2020), Vannes (février 2020-juin 2020), La Rochelle (depuis 2020)

Sélections nationales : 42, en équipe de France VII (depuis 2017)

Palmarès : vainqueur du Tournoi des 6 Nations moins de 20 ans (2018)

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