Abonnés

Un jour une histoire : 1993, le Tournoi trouve sa coupe !

Par Jérôme PRÉVÔT
  • La fameuse coupe présentée par le XV de France au banquet de France-Galles. Jean-François Tordo est le septième debout en partant de la gauche. On reconnaît Didier Cambérabéro, Ougier, Montlaur, Seigne, Cabannes, Roumat, Tordo, Benazzi, Lapasset, Benetton, Berbizier, Armary, Laporte, Melville, Cecillon. Accroupis : Marty (médecin), Mesnel, Hontas, Lacroix, Hueber, Sella.
    La fameuse coupe présentée par le XV de France au banquet de France-Galles. Jean-François Tordo est le septième debout en partant de la gauche. On reconnaît Didier Cambérabéro, Ougier, Montlaur, Seigne, Cabannes, Roumat, Tordo, Benazzi, Lapasset, Benetton, Berbizier, Armary, Laporte, Melville, Cecillon. Accroupis : Marty (médecin), Mesnel, Hontas, Lacroix, Hueber, Sella. Photo Archives Midol - Photo Archives Midol
Publié le
Partager :

Il y a trente ans, le vainqueur du Tournoi des Cinq Nations reçut pour la première fois un trophée en bonne et due forme et c’est la France de Jean-François Tordo qui fut au rendez-vous de l’Histoire. L’apogée de la trop brève carrière d’un capitaine attachant.

Notre amour pour le Tournoi est quasiment sans limite. Il nous séduit par sa stabilité majestueuse, sa régularité, sa singularité qui résiste à presque tous les courants du modernisme. Il ne change que par à coups très espacés. Avant l’arrivée de l’Italie en 2000, nous n’avions vécu qu’un seul changement flagrant : l’apparition en 1993 d’un Trophée, un objet fabriqué pour récompenser le vainqueur. Il prenait la forme d’une coupe en argent pur de deux kilos dessinée par James Brent-Ward et forgée par huit orfèvres londoniens. Ils avaient façonné quinze panneaux censés représenter les quinze acteurs d’un match plus trois poignées qui rendaient hommage aux trois arbitres. Et c’est la France qui eut le privilège de la recevoir en premier via son capitaine, le talonneur niçois Jean-François Tordo, à l’issue d’un France-Galles remporté 26-10 au Parc des Princes avec un match énorme de Philippe Bénetton.

Tordo se souvient : "Ce qui m’importait c’est que ce trophée générait une sorte d’ADN. C’était la mise au grand jour de toute une histoire. Je l’ai vécu comme le témoin de tout ce qu’avaient fait les anciens avant moi et de la possibilité de le transmettre à mon tour." La "cafetière" de luxe était arrivée à Paris le samedi matin, en tenue camouflée dans deux malles transformées par Bob Weighill, secrétaire du Comité des 5 Nations et un certain M. Davies, galeriste, présenté comme un donateur généreux. Elle avait été réceptionnée par Marcel Martin président du comité et qui la fit exposer en avant-première au village d’Auteuil. Elle avait coûté 40 000 livres avant d’être assurée pour 500 000 francs. Grisé par le succès français et par la défaite parallèle des Anglais en Irlande (une grosse surprise), Marcel Martin avait transgressé le protocole, au lieu d’attendre le banquet, il remet le trophée aux joueurs dans la moiteur des vestiaires. Juste avant, il avait sorti de sa poche un petit coq d’argent pour le visser sur le couvercle. "Je n’ai pas osé le faire avant à cause de la scoumoune." Puis Jean-François Tordo arriva dans le studio d’Antenne 2, installé à quelques mètres pour poser le couvercle sur la tête de Pierre Salviac. La France entière put se l’approprier en apprenant qu’il pouvait contenir cinq litres de champagne.

Après 110 ans de récompenses imaginaires, le vainqueur de la vieille compétition pouvait enfin toucher le fruit de ses efforts et de sa réussite. Avec le recul, on se dit que l’apparition de ce trophée a marqué une nouvelle ère. Elle préfigurait sans doute le professionnalisme et la création d’une société commerciale destinée à gérer ses revenus de plus en plus confortables. Et puis, ce trophée se doublait aussi de la création d’un "classement officiel" : incroyable ! Il n’y en avait pas jusqu’alors, les journaux qui en publiaient n’engageaient qu’eux-mêmes. Le Tournoi était devenu une vraie compétition, avec tout ce que ça implique.

Sur le moment, Bernard Lapasset avait fait écho à notre nostalgie en expliquant : "Il faut garder la tête froide, je ne souhaite pas que le Tournoi devienne un championnat. C’est juste une récompense. Il faudra veiller à ce que ce trophée ne devienne pas trop important. Qu’il nuise au spectacle et tue le jeu sous couvert de victoire."

Un moment gravé dans l’histoire

Puis le patron de la FFR fit savoir que pendant un an, la Coupe aux trois anses dormirait dans un coffre parisien et serait remplacée par une copie exposée à la Cité d’Antin (alors siège de la FFR), et que chaque joueur recevrait une reproduction miniature.

La France entraînée par Pierre Berbizier avait gagné trois matchs sur quatre dans ce Tournoi, le Grand Chelem lui avait échappé de très peu, elle n’avait perdu qu’en Angleterre d’un petit point (16-15) en marquant deux essais contre un. Disons le tout net, la dernière étape de ce tournoi 1993 n’avait pas été un triomphe sportif, les Gallois étaient très faibles, et l’intensité de la partie trop erratique. Des sifflets avaient même jailli des tribunes du Parc des Princes. Mais la remise du trophée avait éclipsé cet après midi sans grand relief. Le sélectionneur Pierre Berbizier qui avait été menacé fin 1992 le méritait bien, il avait ouvert la voie de la discipline au XV de France.

Mais dans notre mémoire, la remise de la Coupe sonne comme une rosette à la boutonnière de Jean-François Tordo, troisième ligne reconverti au talonnage. Ses frisettes blondes et la richesse de son langage contrastaient avec son tempérament de pompier pyromane. Ce match fut l’apogée d’une carrière internationale marquée par la fatalité. L’été suivant, une vilaine agression d’un pilier sud-africain interrompit son parcours en bleu après quinze capes seulement. Ce France-Galles fut son avant dernier match en bleu et jamais il ne jouerait la Coupe du Monde. Quand on le croise ou qu’on pense à lui, on se dit qu’il a au moins vécu cet après-midi historique, lui qui en semaine bossait comme maçon sur les chantiers. "Il faut aussi se souvenir du contexte. À l’automne 1992, on avait perdu à domicile contre l’Argentine à Nantes, un revers qui avait fait couler beaucoup d’encre (lire Midi Olympique du 15 novembre 2022, N.D.L.R.)." C’était son premier capitanat. "Par la suite, j’avais invité les gars du cinq de devant chez moi à Nice, pour revoir des trucs sur les mêlées et les touches, pour passer du temps ensemble, pour se parler et boire des canons. Le trophée de 1993 me rappelle ces moments qui ont un sens très particulier pour moi. Il me rappelle aussi que par la suite, Pierre Berbizier avait programmé un entraînement du XV de France à Nice, une grande première."

Le trophée Cet hiver 92-93, personne ne pourra l’enlever du cœur de Jean-François Tordo. Peut-être que paradoxalement ceux qui ont connu leur centaine de sélections (les Sella, Pelous, Ibanez…) ne savent plus trop quels moments privilégier dans leur parcours royal. L’embellie de Jeff Tordo fut plus brève, mais elle a au moins correspondu ce moment extraordinaire et gravé dans l’Histoire.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?